L’utopie de la misarchie

Introduction

Voyage en misarchie est un ouvrage écrit par Emmanuel Dockès, professeur de droit. Il s’agit d’un essai présenté sous forme de roman, afin d’en faciliter la compréhension et l’accessibilité.

La misarchie signifie littéralement « la haine du pouvoir », il s’agit d’un système politique qui essaye donc de réduire au maximum la concentration des pouvoirs et les rapports de domination entre les individus.

Ce régime fictif se présente comme une alternative au capitalisme. D’ailleurs, les systèmes capitalistes sont considérés comme arriérés au sein de la misarchie, et les « capitalos » sont aussi peu fréquentables que les « fachos » de notre monde.

La société misarchiste diffère radicalement de la nôtre sur de très nombreux aspects. Parmi les propositions les plus exotiques, on trouve par exemple :

  • la rotation des enfants entre plusieurs familles tout au long de leur épanouissement afin de ne pas leur imprimer une pensée unique ;
  • nouvelle conception du droit de propriété qui « fond » avec le temps pour empêcher l’accumulation du capital ;
  • la disparition de la monnaie fiduciaire (les espèces) au profit d’une monnaie entièrement scripturale (compte auprès d’une banque centrale unique) ;
  • des entreprises dont les associés n’ont aucun pouvoir et dont les salariés achètent progressivement les parts sociales avec une partie de leur salaire ;
  • etc.

Les idées sont nombreuses, certaines semblent désirables, d’autres moins. Quoiqu’il en soit, ce qui nous intéresse ici, c’est la manière dont le pouvoir politique est distribué au sein de la misarchie.

La politique en misarchie

Les districts globaux

La misarchie rappelle, par beaucoup d’aspects, la démarchie de Burnheim. L’État est découpé en de nombreuses unités indépendantes, si bien que les habitants de la misarchie ne considèrent pas qu’il existe un État en tant que tel.

Chaque fonction essentielle au fonctionnement du pays est attribuée à un « district global ». Il en existe par exemple un pour la banque centrale, l’éducation, la police, la justice, les réseaux de communication, le recouvrement de l’impôt, etc.

Chacun de ces districts est cogéré par une assemblée de citoyens tirés au sort d’une part, et une assemblée d’élus d’autre part. Les élus sont généralement des experts reconnus dans leur domaine, ou bien des politiciens ayant mené campagne pour défendre telle ou telle politique au sein du district. L’idée est de contrebalancer l’incompétence des tirés au sort par les élus, et de contrebalancer l’abus de pouvoir des élus par les tirés au sort.

Chaque district fonctionne selon ses propres règles, mais les décisions ne généralement adoptées que selon deux modalités :

  • Soit d’un commun accord entre les deux assemblées ;
  • Soit l’assemblée tirée au sort a le dernier mot dans les discussions avec l’assemblée élue.

En outre, sans que cela soit précisément défini, les « grandes décisions » de chaque district doivent être approuvées par referendum avant d’être mises en œuvre. Les citoyens peuvent également « désélir » un élu par referendum.

La vie politique de la misarchie est rythmée par la « négociation quinquennale » qui se tient tous les cinq ans entre les différents districts afin d’arrêter le budget global pour les cinq prochaines années. Le budget ne peut être approuvé qu’à l’unanimité des différents districts globaux, au nombre de douze. Ces négociations peuvent durer plusieurs mois avant qu’un accord ne soit trouvé.

Les autres districts

Si les districts globaux sont l’équivalent de nos ministères, il existe bien d’autres districts en misarchie qui fonctionnent de la même manière. Toute organisation relative à un espace géographique déterminé est constituée sous forme de district, de la gestion d’un réseau d’eau potable à une copropriété en passant par la gestion d’une route qui relie plusieurs villages entre eux.

Pour les petits districts, les décisions sont prises en « comice ». Il s’agit tout simplement d’une réunion de toutes les personnes appartenant à ce district. Naturellement, quand la taille du district devient trop importante, la démocratie directe devient ingérable et le modèle passe sur celui des districts globaux : assemblées tirée au sort et élue.

Un citoyen appartient donc à un certain nombre de districts selon l’endroit où il habite, y compris les districts globaux qui concernent l’intégralité du territoire du pays.

Outre ces districts spécialisés, le territoire est également divisé en communes, qui sont des districts sans objet spécifique et qui s’occupent de toutes les tâches qui n’incombent pas aux districts spécialisés.

Hormis les douze districts globaux, tous les autres districts peuvent librement fusionner ou scissionner par referendum.

Le droit

La misarchie est régie par une Constitution qui récapitule les principes fondamentaux du système qui s’applique à tous les citoyens.

Les lois, quant à elles, ne s’appliquent pas de la même manière à tout le monde. Les citoyens peuvent librement appartenir à des « associations » qui sont des petits groupes de personnes (moins de 200). Ces associations ont des objets divers et variés relatifs à la philosophie, la culture, la religion, la politique, etc. Chacune de ces associations peut décider d’adopter un ensemble de lois qui s’appliquent à leurs membres, tant qu’elles sont conformes à la Constitution.

Pour tous les autres citoyens qui n’appartiennent pas à ces associations spéciales, un « code supplétif » s’applique. Dans l’histoire, il est dit qu’environ deux tiers des citoyens sont dans ce cas de figure.

Chaque district peut ensuite adopter des « règles » pour régir son espace géographique dans la limite des lois qui émanent, selon les cas, du code supplétif ou d’un code spécial.

Conclusions

La misarchie est proche de la démarchie de Burnheim, bien qu’elle continue à recourir aux élus. L’éclatement de l’État permet de réaliser l’idéal de la misarchie : restreindre la concentration des pouvoirs. Cependant, comme dans toute proposition qui s’éloigne autant de la réalité, on peut se demander si un tel système arriverait à se maintenir dans le temps.

Dans le récit, la cohésion est assurée par une population qui croit fermement et unanimement aux principes de la misarchie. Ainsi, tous semblent révulsés à l’idée qu’un État puisse centraliser et contrôler l’essentiel des fonctions utiles à la gestion d’un pays. Cela parce que la misarchie existe depuis des décennies, voire des siècles et qu’elle est devenue la nouvelle norme, comme la démocratie élective l’est pour nous aujourd’hui.

Comme l’essai s’attaque à beaucoup d’autres sujets que la politique, la proposition n’a finalement pas le temps d’être très développée, ce qui laisse apparaître des trous assez importants dans le raisonnement. On ne sait par exemple pas comment le système réagirait face à une situation d’urgence qui requiert une étroite collaboration des districts globaux et une réactivité très importante. On ne sait pas non plus comment la Constitution peut être modifiée ni comment les lois du Code supplétif sont adoptées.

La question des médias n’est pas abordée dans l’essai, mais on comprend qu’elle n’est plus un problème avec la nouvelle forme d’organisation des entreprises qui fonctionnent davantage comme des coopératives tout en conservant un certain esprit d’entrepreneuriat.

Source

DOCKÈS – Voyage en misarchie

Une réflexion sur “L’utopie de la misarchie

  1. Donc pour résumer :
    – La misarchie est une république fédérale.
    – L’autorité fédérale est composée de douze ministères fédéraux appelés districts globaux.
    – Le budget fédéral est adopté tous les cinq ans à l’unanimité par les districts globaux.
    – Les entités fédérées sont les districts fédérés, les districts communaux et les associations spéciales.
    – Les districts fédérés sont les petits et grands districts spécialisés, les districts communaux et les associations spéciales.
    – Les compétences qui ne sont pas déléguées aux districts globaux et spécialisés ou aux associations spéciales sont assurées par les districts communaux.
    – Les associations spéciales exercent une partie des compétences réservées aux districts globaux et peuvent déroger au droit fédéral.
    – Chaque district global et grand district spécialisé est dirigé par un parlement bicaméral composé d’une assemblée élue et d’une assemblée tirée au sort.
    – Les petits districts spécialisés, les districts communaux et associations spéciales sont dirigés selon le principe de la démocratie directe ; les assemblées populaires des districts sont appelées comices.
    On passe les détails sur l’économie post-capitaliste.

    Les anarchistes de gauche proposent des systèmes politiques plus compréhensibles qui permettent d’arriver au même résultat : les républiques des conseils créés dans l’Europe centrale de l’Entre-Deux Guerres ou les fédérations de communes libertaires imaginées par Murray Bookchin et Janet Biehl. Dans ce genre de régime, toutes les décisions sont prises par des assemblées de coopérateurs, des assemblées populaires locales ou par la voie des référendums fédéraux. Il n’y a pas besoin de décideurs politiques tirés au sort puisqu’il n’y a plus de dirigeant politique. On en parle dans un article de la Revue Ballast « Le municipalisme libertaire : qu’est-ce donc ? » (https://www.revue-ballast.fr/le-municipalisme-libertaire-quest-ce-donc/#footnote_6_39030).

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