Cet article est une synthèse et traduction d’un chapitre de l’ouvrage « Down with elections » de Campbell Wallace (voir Source).
La démocratie directe
Le principe de la démocratie directe est on ne peut plus simple : plutôt que de confier un mandat à un représentant, les citoyens votent chacune des décisions collectives. La démocratie athénienne comporte une part importante de démocratie directe, puisque tout citoyen peut se rendre à l’Ecclésia et voter les lois. La Confédération Suisse et ses multiples référendums constitue aussi un exemple moderne d’utilisation de la démocratie directe. Néanmoins, celle-ci n’est jamais appliquée seule : elle se greffe sur un système de représentation (la Boulè tirée au sort à Athènes et l’Assemblée fédérale élue en Suisse).
L’usage radical de la démocratie directe ne s’observe que dans les petits groupes sociaux : clubs, associations, etc. Lorsque les membres d’une communauté se connaissent mutuellement, ils peuvent plus rapidement et plus efficacement s’entendre sur les décisions collectives à prendre. Bien que ces structures élisent parfois un président ou un chef, celui-ci dispose plutôt d’un pouvoir d’arbitrage et d’exécution que de décision. Les membres peuvent librement proposer une résolution à l’Assemblée générale, déposer un amendement, demander à clarifier un point de l’ordre du jour, décider d’ajourner le vote si nécessaire, etc.
Le référendum
Dans nos démocraties modernes, le référendum est souvent vu comme un instrument de démocratie directe. Toutefois, plusieurs indices laissent à penser que ce n’est pas le cas :
- Si les citoyens ne peuvent pas définir eux-mêmes la question du référendum ou proposer des amendements, le principe démocratique de définition de l’ordre du jour n’est pas respecté (voir définition de la démocratie de Dahl)
- Le référendum, tout comme l’élection, ne garantit pas que les citoyens prennent une décision « éclairée », car aucun processus délibératif n’assure une discussion fructueuse dans un cadre démocratique. Les débats sont organisés par des médias ou sur les réseaux sociaux dont les intérêts ne coïncident pas avec l’intérêt général : le spectaculaire est privilégié au détriment du nécessaire. Une solution à ce problème spécifique a été développée en Oregon : les Revues d’initiative citoyenne.
- Dans les démocraties électives, le référendum est parfois utilisé par le gouvernement pour se débarrasser d’une « patate chaude ». Le but du référendum n’est donc plus de satisfaire un idéal démocratique, mais d’appuyer la popularité du parti au pouvoir (celui-ci pourra abonder dans le sens du résultat du référendum, et donc de l’opinion majoritaire).
- Le résultat d’un référendum est très sensible à la manière dont la question a été formulée. Son rédacteur dispose d’un pouvoir important, car il peut masquer une partie des implications réelles de tel ou tel choix. Le référendum peut aussi servir à diviser l’opposition en y incluant des clauses clivantes.
- De manière générale, il est plus aisé de convaincre les citoyens de choisir le statu quo que de se prononcer en faveur d’une réforme. Cet effet, souvent amplifié par les médias, peut permettre au gouvernement de contrecarrer une revendication populaire en la soumettant au référendum.
- Le résultat d’un référendum est souvent sacralisé et ne peut plus être remis en question. Cela même alors que le taux de participation est généralement faible, que les votants ne sont pas suffisamment informés (faute d’avoir une délibération de qualité), que la question est ambiguë, ou que les impacts ne sont pas suffisamment bien anticipés (notamment dans le cas du référendum sur le Brexit). Paradoxalement, vouloir organiser un second referendum sur la même question est alors perçu comme anti-démocratique.
- L’issue d’un référendum est parfois davantage dictée par la confiance du peuple dans le gouvernement que par une réflexion sur la question posée. Ainsi, le référendum de 2005 sur la Constitution européenne a notamment été impacté par la faible popularité du Président Chirac à l’époque (entre autres choses).
Une question de taille
Dans un club ou une association la démocratie directe fonctionne, car chacun de ses membres dispose d’un intérêt pour son objet (sport, culture, etc.). Les décisions à prendre relèvent de cet objet dont chacun a une connaissance relativement étendue. De plus, les membres sont souvent bénévoles et passionnés : ils sont prêts à investir du temps dans le processus décisionnel afin de rechercher le bien commun du groupe.
À l’échelle d’un pays de plusieurs millions d’habitants, il semble peu probable que toutes ces conditions soient réunies. Tout d’abord, la politique traite tous les sujets : des plus populaires aux plus techniques et complexes. Les citoyens ne sont pas mus par un intérêt commun pour l’ensemble de ces questions, seule une faible fraction d’entre eux dispose d’une véritable connaissance du sujet et est en mesure de prendre une décision « éclairée ».
En outre, une petite communauté a un nombre limité de décisions à prendre. Un État, lui, doit traiter une quantité considérable de questions chaque jour. Si elles devaient être traitées par l’ensemble des citoyens, ceux-ci ne disposeraient pas du temps nécessaire à consacrer à leur étude, si tant est qu’ils participent aux référendums.
Conclusion
La démocratie directe, dans sa forme la plus pure et radicale, est adaptée aux petites communautés d’individus qui ont un nombre limité de décisions à prendre et qui sont reliés par des intérêts communs. Néanmoins, des outils de démocratie directe peuvent efficacement se greffer à des systèmes démocratiques plus larges basés sur la représentation, comme ce fut le cas à Athènes. Le référendum est un instrument qui doit être utilisé en connaissance de ses défauts et des risques de manipulation qui en découlent. Le système de la Confédération Suisse en comble une partie en laissant l’initiative de certains référendum à ses citoyens.
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*Sur la critique de la démocratie directe*
Il y a des tas de sortes de stochocratistes la majorité d’entre eux semblent appartenir à deux groupes :
1° Les stochocratistes adeptes de la démocratie indirecte qui veulent disrupter les électorats abstentionnistes par le tirage au sort. Ceux-là citent souvent l’Athènes antiques pour tenter de prouver que le tirage au sort des dirigeants est plus représentatif que leur élection. Il critique le référendum d’initiative populaire alors que ce scrutin est plus démocratique qu’une séance de l’Ecclesia : les pauvres ont plus de faciliter pour participer et le scrutin est secret.
2° Les stochocratistes hostiles à la démocratie indirecte qui veulent disrupter les partis et les lobbies. Ceux-là proposent le tirage au sort des dirigeants en insistant sur la possibilité de les contrôler par le biais de la démocratie directe, des référendums législatifs obligatoires ou d’initiative ainsi que les référendums révocatoires. Pourtant, un mandataire élu n’est pas moins contrôlable par ces procédés alors qu’un stochocrate peut être tout aussi influençable par les lobbies.
Bien que n’étant pas un partisan de la démocratie directe, je ne trouve pas la démocratie directe proposée par le site Démocratie & Résilience plus utopique ou moins remarquable que le modèle stochocratique de Campbell Wallace ou même les propositions d’Etat sociocratique. Je pense que les idées nouvelles sont complémentaires et qu’on peut les combiner entre elles de manière à les renforcer mutuellement.
Liens :
https://www.democratie-directe.com/1910-2-2/
http://sociocratie-populaire-francaise.e-monsite.com/pages/livres-deposes-par-la-s-p-f.html
Quelques remarques :
– Le vote bloqué est une technique de rationalisation de l’activité législative. Cette pratique est parfois nécessaire au vu des circonstances, l’inefficacité n’étant jamais démocratique.
– Dans une démocratie semi-directe, le recours au référendum permet d’éviter des réactions ochlocratiques ou lever des blocages parlementaires. La longue série de mouvements protestataires français n’a pas d’équivalent en Suisse ou en Californie. L’Italie a su compenser les déficiences d’un régime parlementaire copié sur la IIIe République française grâce aux référendums abrogatifs.
– Les excès ou manquements commis lors de l’organisation de certains scrutins référendaires ne sont pas plus condamnables que ceux commis lors des campagnes électorales. Je renvoie à ce qu’en dit Christian Felber dans « L’Economie citoyenne ».
– Aucune génération n’est prisonnière des décisions des générations précédentes. Ce qui est antidémocratique, c’est d’annuler les résultats d’un référendum par un vote parlementaire.
– Tout référendum initié par une institution publique devrait être doublé d’un référendum de destitution/dissolution. Les électeurs peuvent ainsi d’une part répondre à la question posée, par exemple l’annulation des résultats d’un référendum antérieur, d’autre part destitué le ou les mandataires de l’institution ayant initié le référendum s’ils désapprouve son action ou son initiative référendaire. Là, on ne pourra plus décréter arbitrairement que les électeurs ne votent pas sur la question posée quand ils ne votent pas selon les vœux de leurs politiciens.
– On peut introduire le vote blanc lors d’un référendum décisionnel. Si l’abstention dépasse 50% des électeurs ou si moins de la majorité absolue des votants n’ont adopté ou rejeté la proposition, l’Etat convoque deux assemblées de réflexion, l’une élue à la représentation proportionnelle selon la méthode de Sainte-Laguë des plus fortes moyennes, l’autre tirée au sort ; c’est le modèle « démocratie athénienne révisitée » de Kovner et Sutherland. Les deux assemblées seront chargées d’élaborer un questionnaire en vue d’une consultation populaire. La publication des résultats clarifiera la position des électeurs.
– Les partisans de la démocratie directe sont généralement les partisans du fort localisme et admettent la délégation de pouvoirs temporaires aux institutions élues, selon le principe du système d’ordonnance de la Ve République.
*Sur la responsabilité du référendum dans l’échec du Traité constitutionnel*
Concernant le Traité établissant une Constitution l’Europe (ou Traité constitutionnel), je suis un eurofédéraliste européen et j’étais favorable à l’adoption de la Constitution fédérale proposée par Bayrou lors des élections européennes de 1999. J’ai voté non à cette réécriture du Traité de Rome. Je peux témoigner que cette Constitution a été largement débattue et commentée dans la presse et les magazines télévisés en dépit des tentatives de censure initiale des partisans du non. J’ai lu de nombreux livres sur les versions successives du traité et j’en ai longuement débattu dans les forums. Je n’ai pas voté contre Jacques Chirac ; ce n’était pas la question. J’ai voté contre le mépris de plusieurs décennies de revendication des masses populaires en matière d’intégration européenne.
Concernant les parties I et II du traité, la Constitution européenne, j’ai voté contre le passage de trois à quatre « présidences de l’Union », le maintien de l’absence de vote parlementaire sur une partie du budget, l’absence d’initiative législative des députés, la lobbycratie institutionnelle organisée dans le cadre de la comitologie. Concernant la partie III, j’ai voté contre le maintien de l’inscription du programme du PPE dans le Traité : le programme de l’UE doit être voté périodiquement par le Parlement européen, lequel doit pouvoir rompre avec logique atlantiste et anarchocapitaliste de l’intégration européenne. Comme une majorité de noniste, mon vote n’était ni un vote-sanction contre chaque Chirac, ni par l’article sur les symboles européens. Reprenant la structure de la Constitution portugaise de 1978, le Traité constitutionnel était délibérément long et difficilement déchiffrable afin d’en cacher la portée réelle : plus d’ultralibéralisme, pas plus de démocratie providentielle fédérale. Cet artifice n’a pas résisté au passage à la loupe systématique de ses dispositions par les gens du Non. Si on m’avait proposé une vraie constitution fédérale – comme celle de l’Inde, du Brésil ou du Mexique, j’aurais voté oui.
A visionner sur YouTube // la Constitution européenne 2005: « Quand les Français ont dit non à l’Europe »
Je relève que les partisans du Oui ont rarement lu le traité, avaient des attentes contradictoires par rapport à celui-ci. Quand les gens du Non argumentaient leurs positions en citant des passages du traité, ils ne savaient que leur coller des étiquettes infâmantes : idiots, communistes, fascistes, souverainistes, antifédéralistes, membres de l’axe du mal franco-allemand, etc… On peut se demander ce que deviendrait une fédération européenne gouvernée par ce genre d’individu : L’URSS pendant la NEP ? La Fédération de Russie version Putine ? En dépit des prévisions des pourfendeurs du non, j’ai voté Bayrou lors des élections présidentielles de 2007 comme la majorité des gens du Non après avoir voté Chirac au deuxième tour de l’élection précédente. Arrivé en troisième position grâce au vote du Non, il a clairement torpillé la candidature de Marine Lepen et Marie Georges Buffet pour qui je n’ai aucune affinité. Parmi les politiciens qui ont diabolisé les gens du Non, combien ont fait part de leur admiration pour la liberté d’action des dirigeants chinois, jamais entravés par des mouvements protestataires et jacqueries électorales.
A lire sur le Taurillon // François Bayrou : refaire du sujet européen un sujet politique
https://www.taurillon.org/Francois-Bayrou-refaire-du-sujet-europeen-un-sujet-politique
Question : Si les Etats membres qui ont ratifié le Traité constitutionnel était tellement convaincu de sa pertinence, pourquoi ne l’ont-ils pas appliqué entre eux dans le cadre d’une coopération renforcé ? Pour les mêmes raisons, sans doute qui ont poussés les Etats ayant adopté le Traités sur la CED à ne pas l’appliquer entre eux, à rejeter le Plan Fouchet, à se désintéresser de l’Union de l’Europe Occidentale. Ils ont préféré faire adopter par le Parlement français les Traités de Lisbonne reprenant 95% du contenu du Traité constitutionnel. Les autres gouvernements européens demandent à la France d’accepter une Europe non fédérale faite pour eux, par eux mais financée avec l’argent des Français. Symptomatiquement, la France est encore critiquée pour le rejet de certains traités quand les non des autres pays ont été oublié ; les institutions européennes ont longtemps cité en exemple le R-U qui pratiquait l’intégration minimale et a fini par se retirer. La Pologne et la Hongrie, pays mis sur la sellette pour non respect des valeurs de l’Union, sont plus influents que la France au sein de la comitologie.
* Aucune alternative progressiste au Traité constitutionnel, vraiment ?*
La manière dont les institutions communautaires ont géré les crises qui ont suivi démontre que l’Union européenne avait bien besoin d’un plan B. La reconnaissance du déficit démocratique et social des institutions communautaires progresse d’année en année. Face à la montée du péril russe et à la garantie incertaine du soutien militaire américain, l’absence d’une vraie fédération se fait cruellement sentir.
A ce propos, quelques « Plans B qui n’existent pas », certains antérieurs au Traité constitutionnel, certain postérieur aux Traités de Lisbonne :
-Le projet Traité constitutif de la Fédération européenne de l’Institut Jacques Delors
Cliquer pour accéder à versfederationeuropeennegodinoverdierne-ijd-fev14.pdf
-Le projet de Constitution des Etats-Unis d’Europe de Mackay
https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=117&lang=FR
-Le projet de Constitution des Etats-Unis d’Europe de François de Menthon
https://www.cvce.eu/obj/projet_de_constitution_federale_des_etats_unis_d_europe_de_francois_de_menthon_juin_1948-fr-ede91831-efb7-4cc9-b801-977654a7e60f.html
-Le projet de Constitution des Etats-Unis d’Europe du mouvement Paneurope (1944)
https://www.cvce.eu/obj/projet_de_constitution_des_etats_unis_d_europe_new_york_1944-fr-1e64890f-9a3e-4f2b-be6d-9f86aff930cc.html
-Le projet de statut de la Communauté (Politique) européenne de 1952
https://mjp.univ-perp.fr/europe/1953cpe.htm
-Le projet de Constitution de l’Union européenne présenté par François Bayrou en 1999.
http://bayrou.blogg.org/constitution-europeenne-c26461784
– « Une Constitution fédérale pour les Etats-Unis d’Europe. Pourquoi et Comment? », essai de Jean Marsia
https://www.seurod.eu/livres.html
Morale : lls ont bon dos les référendums.
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