Introduction
Après avoir présenté le modèle de Zakaras, l’auteur s’attache à définir quelles sont selon lui les quatre principales valeurs qui caractérisent la démocratie. Il étaye ses explications en s’intéressant aux cas de l’élection et du tirage au sort comme instruments pour désigner des représentants au sein d’un pouvoir législatif.
Les quatre valeurs
Une protection égale de tous les intérêts
Le principe le plus évident de la démocratie repose sur l’égalité entre les citoyens, aucun ne doit apparaître comme supérieur ou inférieur, et tous doivent être considérés de la même manière. Pour ne négliger aucun groupe d’intérêt, il convient de donner la même voix à chaque citoyen.
Les Athéniens pensaient qu’aucune classe sociale n’était en mesure, à elle seule, de représenter toutes les autres et de défendre l’ensemble des intérêts de la population. C’est pourquoi l’élection était cantonnée à des fonctions précises – militaires, notamment – où la compétence importait davantage que l’égalité, tandis que le tirage au sort était utilisé pour le reste.
Plusieurs études montrent que les citoyens sont souvent mal informés sur les programmes électoraux défendus par les candidats. Ainsi, en votant pour tel candidat, ils sont convaincus que cela servira leurs intérêts, alors que ce n’est pas toujours le cas et qu’ils peuvent être trompés : par une habile rhétorique, on peut faire croire tout et son contraire, et un candidat peut aussi faire des promesses qu’il ne tiendra pas.
En comparaison, le tirage au sort, en ce qu’il permet de constituer un corps législatif plus ou moins représentatif de la population, est plus à même de satisfaire cet idéal de protection de l’intérêt général, car en défendant leurs intérêts personnels, ses membres défendent les intérêts de l’ensemble de la population.
La reconnaissance
Le vote est un rituel démocratique qui permet ponctuellement de reconnaître à tout citoyen son droit à participer à la vie démocratique du pays. Il s’agit d’une manifestation publique des principes d’égalité et de liberté.
Cependant, ces principes ne s’appliquent qu’aux électeurs, et pas aux candidats. Mener une campagne électorale coûte cher, nécessite des ressources importantes, un réseau relationnel solide et n’est pas à la portée de n’importe quel citoyen désireux de porter un combat politique.
Avec le tirage au sort, la reconnaissance de l’égalité entre les citoyens est absolue : tous ont exactement les mêmes chances d’être sélectionnés pour exercer un mandat de représentant, qu’ils soient riches ou pauvres.
L’autonomie politique
Il s’agit du pouvoir que les citoyens peuvent exercer sur les institutions et leur capacité à influencer la décision publique. Dans le cadre de l’élection, cette autonomie passe essentiellement par le vote : les électeurs autorisent les élus de leur choix à exercer le pouvoir en leur nom et sanctionnent ceux qui les ont déçus en ne les réélisant pas. De cette manière, ils peuvent ponctuellement donner une direction d’ensemble au système politique.
Cependant, dans le cas du tirage au sort, les citoyens n’ont pas leur mot à dire sur le choix de leurs représentants, ils ne peuvent ni les soutenir ni les sanctionner. Une assemblée tirée au sort peut donc agir selon son bon vouloir, sans avoir à rendre de comptes à la population, ce qui réduit considérablement l’autonomie politique des citoyens. On peut même remettre en question la qualité de « représentant » des tirés au sort, car ils n’ont aucun contact avec leurs « représentés ».
Mais il faut distinguer deux types de représentation :
- La représentation responsive, qui consiste à défendre la cause d’un groupe de personnes sans pour autant qu’on la partage personnellement. Un tel représentant sera soucieux de savoir ce que pensent ses représentés de manière à se montrer fidèle à leurs attentes. Son comportement est une « réponse » aux souhaits des représentés.
- La représentation indicative, qui consiste à défendre une cause à laquelle on croit et à laquelle, accessoirement, d’autres personnes croient. Un tel représentant agira selon ses propres convictions et, de ce fait, se fera le représentant de tous ceux qui les partagent. Son comportement est « indicatif » du comportement qu’auraient eu ses représentés à sa place.
Ainsi, l’élection permet une représentation responsive, alors que le tirage au sort favorise une représentation indicative. Les citoyens n’abandonnent pas vraiment leur autonomie politique quand une assemblée tirée au sort est au pouvoir, puisqu’ils sont, d’une manière ou d’une autre, représentés au sein de cette assemblée par des gens qui leur ressemblent.
Cette distinction ne résout cependant pas le manque de contrôle des citoyens envers leurs représentants tirés au sort, qu’ils ne peuvent sanctionner en refusant de les réélire. En réalité, ce manque de contrôle est nécessaire à l’exercice d’une représentation indicative : les citoyens tirés au sort doivent agir exactement comme le feraient les autres citoyens si on les mettait dans les mêmes conditions. Si les représentants tirés au sort sont individuellement révocables, cela les pousse à se comporter différemment pour rester en fonction et compromet dès lors leur représentativité.
Le manque de contrôle fait donc partie intégrante de la représentation indicative, tout comme le manque de ressemblance entre les élus et leurs électeurs est inhérent à la représentation responsive, c’est la raison pour laquelle les chercheurs en science politique choisissent souvent de combiner les deux, en ayant par exemple une chambre élue et une chambre tirée au sort, exemples : modèle de Zakaras, modèle de Wright et Gastil.
La délibération
L’intérêt de la démocratie représentative sur la démocratie directe est la capacité à transformer une opinion publique brute en jugement politique raffiné. Cette transformation passe par la délibération, soit des représentants entre eux, soit des représentants avec le reste des citoyens.
Dans le cas du tirage au sort, certains soulignent le fait que de tels représentants sont incompétents par nature et inaptes à délibérer autour de thèmes politiques complexes, contrairement à leurs homologues élus.
S’il est vrai que les citoyens sont généralement incompétents dans le champ politique, cela ne signifie pas qu’ils sont incapables de prendre part à une délibération et d’élaborer des solutions de qualité. Cela a été démontré à l’occasion de nombreuses expériences de démocratie délibératives où les citoyens ont su se former et se départir de leurs préjugés initiaux pour résoudre des questions épineuses. Exemples : sondages délibératifs, assemblées citoyennes irlandaises.
En outre, si les citoyens souffrent de cette incompétence politique, c’est pour la simple et bonne raison qu’ils n’en ont aucune utilité dans leur vie de tous les jours. Or, on peut imaginer que dans un système politique où chacun a une chance raisonnable d’être tiré au sort pour des fonctions officielles, les citoyens développeraient davantage d’intérêt pour ce sujet.
L’incompétence naturelle des tirés au sort exige aussi qu’on ne leur confie que des tâches qu’ils sont capables de remplir. Ainsi, il vaut mieux attribuer un rôle simple à plusieurs petites assemblées, plutôt que de larges prérogatives à une seule, aussi grande soit-elle.
Le tirage au sort a l’avantage de réunir des personnes aux profils très diversifiés et de créer un cadre propice à de fructueux échanges, là où l’élection tend à mettre autour de la table des personnes qui se ressemblent.
Conclusion
On comprend qu’il n’existe aucun instrument magique permettant de satisfaire ces quatre valeurs démocratiques d’un seul coup. La construction d’un système politique passe nécessairement par la combinaison de l’élection, du tirage au sort et de la démocratie directe pour tirer parti du meilleur de ce qu’ils ont à offrir, tout en limitant leurs défauts.
Source
ZAKARAS – Lot and democratic representation, a modest proposal (2010)