Le sondage délibératif chinois

Alors que les processus délibératifs soulèvent plusieurs critiques dans les sociétés « démocratiques », des pays de tradition plus autoritaire tels que la Chine ne sont pas en reste sur l’expérimentation du tirage au sort et de la délibération.

La méthode du sondage délibératif

La consultation des citoyens sur une question de politique publique fait face à un éternel dilemme. Soit le choix émane directement des citoyens, disposant d’une opinion peu voire pas du tout informée. Soit la décision est confiée aux élites politiques, avec le risque de ne pas satisfaire l’intérêt général.

Le tirage au sort d’un panel citoyen permet de sortir de ce dilemme en confiant à un groupe représentatif le temps de s’informer convenablement sur les questions à traiter.

Le sondage délibératif est un processus délibératif informatif qui cherche à mesurer la manière dont l’opinion des citoyens évolue au fil des délibérations. Un sondage est donc effectué en amont et en aval (d’où le nom du processus).

District de Wenling : une tradition participative

Le district de Wenling (1,4 M d’habitants) dispose d’une certaine expérience dans la consultation publique, pratiquée dans les villages (env. 1200 consultations en 4 ans de 1996 à 2000), quelques villes (200), et des entreprises publiques (200). Ce processus participatif est nommé minzhu kentan (littéralement : réunions démocratiques à cœur ouvert). Ils sont tantôt organisés à des fins informatives tantôt afin d’aider le gouvernement local à prendre une décision.

Toutefois, comme dans les démocraties occidentales, les consultations publiques ont leur limites et ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population (puisque seuls les volontaires s’expriment). La corruption tend aussi à orienter les participants dans un sens prédéterminé.

L’expérimentation du quartier de Zeguo

Zeguo est situé dans le district de Wenling et compte environ 200 000 habitants. Une trentaine de programmes d’investissement public (pont, école, parcs, etc.) sont dans les cartons pour un total de 137 000 000 ¥ alors que la collectivité ne peut débourser que 40 000 000 ¥. Un sondage délibératif a donc été organisé pour sélectionner les projets d’investissements qui méritent d’être poursuivis. Le gouvernement local s’est engagé à respecter la décision des citoyens tirés au sort.

Un groupe d’experts a été préalablement réuni afin d’étudier chacun des 30 projets. D’autres experts en délibération [les chercheurs à l’origine de l’article] ont été sollicités pour organiser le processus délibératif.

235 citoyens ont participé aux délibérations, sélectionnés par tirage au sort de leur adresse. Ce mode de sélection s’est avéré problématique puisque l’échantillon s’est retrouvé non représentatif au regard du genre notamment (66% d’hommes). En ne précisant pas qui était désigné à l’intérieur du foyer, ce sont majoritairement les hommes qui ont répondu présent. Suite à cette expérience, les autres sondages délibératifs chinois se sont par la suite basés sur les listes électorales.

Les délibérations ont duré une journée, pendant laquelle des session plénières ont alterné avec des sessions en petits groupes (16 tables de 15 personnes), assistés par un facilitateur (choisi parmi les professeurs de l’université de Zeguo). Le panel d’expert était également présent afin de répondre aux questions des participants.

Les résultats du sondage montrent que les participants ont complètement changé d’avis sur le classement des projets à réaliser. Notamment les projets de collecte des eaux usées, peu populaires au début, et dont la délibération a permis de les placer en tête des priorités.

Critiques et apports du processus

La sagesse du peuple

Un des challenge de la démocratie délibérative consiste à faire émerger, au sein d’un panel de citoyens, une volonté de satisfaire l’intérêt général plutôt que les intérêts individuels de ses membres, de sorte que le groupe agisse avec la « sagesse du peuple ».

La technique du sondage délibératif est particulièrement adaptée pour démontrer cet effet de manière empirique. Dans le cas de Zeguo, il a été montré que les projets retenus en aval de la procédure visaient davantage à satisfaire la communauté du quartier dans son ensemble plutôt qu’une poignée de villages qui le constituent, contrairement au choix des participants avant la délibération (davantage tourné vers les projets impactant les villages).

Influence et délibération

Une critique récurrente vise la délibération : l’influence de certaines classes sociales sur l’orientation et les résultats des discussions. Encore une fois, le sondage délibératif est un processus particulièrement intéressant pour essayer de comprendre la manière dont la délibération agit sur l’opinion des délibérants.

En l’occurrence, l’expérience de Zeguo montre que l’opinion de l’échantillon n’a pas de tendance particulière à suivre l’opinion de ceux considérés comme privilégiés (hommes, niveau d’étude élevé, et statut social respecté), et, au contraire, s’en éloigne (pour chacun des trois cas de figure). Cet effet d’influence est donc absent dans le cadre de cette expérience.

Polarisation et délibération

Une théorie considère que, dans un débat ou une discussion, le point de vue de chaque participant tend à évoluer dans un seul sens jusqu’à se radicaliser entièrement, conduisant à une polarisation du groupe en deux majorités distinctes (qui peinent donc à parvenir à un consensus). Cette théorie prend sa source dans des phénomènes psychologiques réels, tels que la peur de l’individu de ne pas faire partie de la majorité.

Les sondages délibératifs évitent ces écueils d’une part grâce à l’alternance entre sessions plénières et petits groupes de travail (où la parole est plus libre et la pressions sociale moins forte) ainsi que par la confidentialité du sondage qui diminue encore davantage la pression sociale.

La polarisation du groupe est très dépendante des techniques de délibération qui sont employées, ainsi que de la finalité de la procédure.

Conclusions

Ironiquement, la structure autoritaire de la société chinoise a facilité l’implémentation du sondage délibératif à Zeguo. Le taux de participation des tirés au sort est très élevé (contrairement aux sociétés occidentales où la phase de tirage au sort coûte très cher en raison du faible taux de participation) et le gouvernement local a tenu sa promesse d’implémenter les projets retenus par les citoyens tirés au sort.

Les autorités chinoises se rendent compte du différentiel important qui peut exister entre d’une part ce que les gouvernements locaux estiment être l’intérêt général, et d’autre part ce que le peuple, à l’issue des délibérations, considère aussi être l’intérêt général. Ils observent aussi que les décisions publiques prises dans ce cadre jouissent d’une popularité et d’une légitimité bien plus forte que toutes les autres.

Les auteurs se demandent si l’usage des sondages délibératifs permet de constituer le terreau d’une société plus démocratique en Chine ou bien, à l’inverse, si cela ne fait que légitimer le pouvoir en place en se limitant à l’usage de ce processus délibératif.

Source

FISHKIN, HE, LUSKIN, SIU – Deliberative Democracy in an Unlikely Place: Deliberative Polling® in China (2010)

3 réflexions sur “Le sondage délibératif chinois

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