Introduction
L’Union européenne est souvent vue comme une administration byzantine, technocratique et peu transparente. Les auteurs de cet article (voir source) s’interrogent sur l’opportunité de réformer les institutions européennes, notamment en y incluant du tirage au sort, de manière à les démocratiser et à restaurer la confiance des citoyens européens.
Leur plan se décline en trois parties : la Commission européenne, le Parlement européen et une nouvelle Chambre citoyenne européenne.
La Commission européenne
Fonctionnement actuel
La Commission est au cœur des institutions européennes. Elle agit globalement comme un gouvernement : elle propose les lois à soumettre au vote du Parlement européen et s’assure de leur exécution dans les différents États membres.
Actuellement, la Commission est gérée par 27 commissaires qui se voient chacun attribuer un portefeuille, des Affaires étrangères à l’Économie en passant par les « Valeurs et la Transparence ».
Le Président de la Commission est proposé par le Conseil européen (réunion des 27 chefs d’État) et élu par le Parlement. Il agit en quelque sorte comme le Premier ministre de l’UE : il définit l’agenda politique de la Commission et peut révoquer les commissaires.
Réforme
Les auteurs proposent de réduire le nombre de commissaires à 15 et de choisir les pays d’origine par tirage au sort, pondéré en fonction de la population de chaque État membre. En outre, le mode de nomination des commissaires dans chaque pays ne change pas. De cette manière, on évite la sur-représentation des petits États comme Malte (400 000 habitants) qui, actuellement, ont le même poids que l’Allemagne (82 millions d’habitants) à la Commission. L’UE comptant environ 500 millions d’habitants, un commissaire devrait théoriquement en représenter 33 millions.
La réduction du nombre de commissaires est aussi un moyen d’abroger des portefeuilles « honorifiques » dont l’intérêt pour l’UE est discutable.
Pour éviter de totalement exclure les petits pays comme Malte, il est possible de mettre en place un système de proportionnalité dégressive, comme c’est actuellement le cas au Parlement européen. Il s’agit simplement de sous-représenter légèrement les gros pays pour sur-représenter les petits. Ainsi, Malte a 6 sièges de députés au lieu de 0,6 en théorie et l’Allemagne en a 96 au lieu de 123. La même règle pourrait être appliquée au coefficient de pondération du tirage au sort des pays représentés à la Commission européenne.
Le Parlement européen
Fonctionnement
Le Parlement européen est l’organe législatif de l’Union européenne. Il fonctionne d’une manière très similaire aux parlements nationaux. Les 750 députés sont élus dans chaque État membre selon des règles électorales variables.
Ils appartiennent chacun à l’une des 20 commissions parlementaires chargées de traiter des thèmes politiques spécifiques : affaires constitutionnelles, contrôle budgétaire, commerce international, etc.
En général, les députés européens rejoignent une commission parce qu’ils sont doués dans ce domaine et qu’ils ont fini par en faire une spécialité. Les commissions sont aussi équilibrées d’un point de vue politique, de manière à ce que chaque parti européen soit plus ou moins fidèlement représenté.
Réforme
Le problème du fonctionnement actuel des commissions parlementaires, c’est la tendance des députés européens à se professionnaliser à l’intérieur des commissions, ce qui crée des espaces politiques peu renouvelés où l’influence des lobbies parvient à s’installer. Le lobbying n’est pas un mal en soi lorsqu’il est légitime et déclaré, mais il s’agit ici de lobbying opaque qui peut, selon les cas, être assimilé à de la corruption. Cette situation est problématique, car elle jette l’opprobre sur l’ensemble des institutions européennes et contribue à la défiance et au désintérêt des citoyens pour l’UE.
Consciente de ce problème, l’UE cherche depuis longtemps à le combattre en imposant des codes éthiques aux députés et en exigeant davantage de transparence. Mais les résultats ne sont généralement pas au rendez-vous.
Ce que les auteurs proposent, c’est de nommer les membres des commissions parlementaires par tirage au sort parmi l’ensemble des députés. Cela permettrait de briser les liens établis de longue date entre les commissions et les lobbies. En contrepartie, les députés seraient un peu moins compétents au début de leur mandat, car ils n’auraient pas d’affinité particulière avec le thème de la commission.
Les députés seraient plus polyvalents, et donc plus à même de défendre les intérêts de leurs électeurs. Et le problème de la compétence n’en est pas vraiment un, puisque les députés ont des attachés qui les aident sur les questions techniques.
Le tirage au sort garantirait la proportionnalité de chaque parti politique au sein des commissions et empêcherait les députés d’exercer plusieurs mandats au sein de la même commission. Les présidents de commission et les rapporteurs pourraient également être tirés au sort, au lieu d’être choisis par séniorité comme c’est le cas actuellement. Ce sont ces postes d’influence qui sont généralement la cible des lobbies.
Une chambre européenne tirée au sort
Pour aller plus loin, les auteurs proposent de créer une chambre tirée au sort dotée de véritables pouvoirs institutionnels. Il s’agit de revitaliser la démocratie européenne en permettant aux citoyens de participer et de délibérer sur des sujets d’importance.
Une telle chambre n’aurait pas pour vocation de remplacer le Parlement européen, mais de le compléter. Elle pourrait comporter 200 citoyens tirés au sort renouvelés tous les deux ans et demi, contre cinq ans pour les députés européens. Pour éviter les biais d’auto-sélection, ce mandat serait obligatoire, comme pour les jurys d’assises. Les citoyens tirés au sort auraient les mêmes conditions de travail que les députés européens.
La chambre européenne aurait les prérogatives suivantes :
- Émettre des recommandations et avis en matière législative auprès du Parlement, de la Commission et du Conseil européen ;
- Exercer un droit de veto sur toute loi votée par le Parlement ;
- Soumettre une proposition de loi à la Commission européenne qui la fera ensuite voter au Parlement.
La chambre fonctionnerait par alternance entre sessions plénières et travaux délibératifs en groupes de 15 à 30 choisis par tirage au sort. De cette manière, les propositions élaborées en petits comités peuvent être débattues en plénière. Les citoyens pourraient recourir à divers experts pour les aider à défricher certains sujets.
La chambre serait responsable d’un nouveau pôle chargé de la démocratie participative de l’Union européenne. Elle serait ainsi l’interlocutrice directe des citoyens européens qui pourraient s’exprimer et proposer des idées sur une plate-forme en ligne ou à l’occasion de sondages.
Cette chambre citoyenne pourrait occuper les locaux du Parlement européen de Strasbourg, de sorte que les députés européens soient définitivement assignés aux locaux de Bruxelles et n’aient plus besoin de voyager entre les deux villes, ce qui génèrerait une économie d’environ 100 millions d’euros par an : de quoi financer la création de cette chambre européenne tirée au sort.
Pour réduire les tentatives de corruption des membres de la chambre, les scrutins pourraient être rendus secrets. Ainsi, les lobbyistes ne pourraient vérifier avec certitude que leurs « cibles » ont bien voté selon leurs instructions.
Cette deuxième chambre parlementaire n’alourdirait pas nécessairement le processus législatif européen, car elle ne serait jamais obligée d’exercer son droit de veto. Cependant, elle modifierait drastiquement la manière dont se comporteraient les autres institutions, sachant que l’épée de Damoclès du véto citoyen pèse au-dessus de leur tête.
Conclusions
Mettre en œuvre ces différentes réformes aujourd’hui serait assez difficile, car les citoyens européens accordent relativement peu de légitimité au tirage au sort. Cependant, les choses semblent évoluer petit à petit, et l’engouement politique et populaire pour les Conventions citoyennes ou la Conférence pour l’avenir de l’Europe – certes dénuées de pouvoirs – montre que l’idée du tirage au sort en politique fait son chemin.
Ces réformes peuvent être introduites progressivement, de manière à tester le tirage au sort à petite échelle avant de proposer une seconde chambre parlementaire. Mais dans tous les cas, le tirage au sort ne résoudra pas l’intégralité des problèmes politiques de l’UE, cependant il aura au moins le mérite de chercher à combattre plus efficacement la corruption et à démocratiser les institutions européennes.