Introduction
Génération nomination, ou genomi, est une ONG créée en 2015 pour défendre un projet de révision de la Constitution suisse afin de remplacer l’élection des parlementaires par le tirage au sort.
Cette initiative est notamment soutenue par Yves Sintomer et Jacques Testart.
Le projet
La Suisse est une confédération de 26 cantons. Au niveau fédéral, deux chambres se partagent le pouvoir législatif : le Conseil national (conseillers élus pour 4 ans à la proportionnelle dans des circonscriptions électorales) et le Conseil des États (2 conseillers élus par canton, quelle que soit sa population). Le premier représente la confédération, l’autre les cantons.
La proposition de Génération nomination consiste à réformer le mode de désignation des députés du Conseil national.
Procédure de tirage au sort
Dans chaque canton, un tirage au sort est organisé par la Chancellerie (une institution qui est déjà garante des procédures électorales et référendaires) :
- il devra s’agir d’un système mécanique et largement accessible au public en présentiel ou via la télévision, de manière à rendre la fraude inopérante ;
- les citoyens tirés au sort ont la possibilité de refuser leur mandat ;
- ceux qui acceptent doivent suivre une formation d’une durée d’un an avant d’entrer en fonction.
En outre, au lieu de tirer au sort les membres du Conseil national tous les 4 ans, le renouvellement est échelonné : ¼ des membres tous les ans, soit 50 sièges. Cela permet de toujours conserver des membres chevronnés à l’intérieur de la chambre pour transmettre leur expérience aux nouveaux arrivants.
La formation et le mandat de député sont à temps partiel. De cette manière, chaque député peut conserver son emploi en parallèle si un accord est trouvé avec l’employeur. Le retour à l’emploi au terme des 5 années sera ainsi facilité.
La suppression des élections et du remboursement des frais de campagne permettra de financer la formation d’un an des députés tirés au sort. Celle-ci abordera notamment les sujets suivants :
- Fonctionnement du parlement et des institutions
- Cadre légal du parlementaire
- Rédaction de texte législatif
- Thèmes d’actualité présentés par des experts représentatifs de la diversité d’opinion sur ces thèmes
Rôle des partis politiques
Les députés tirés au sort ont la liberté d’adhérer ou non à un parti politique. Mais sachant que les partis ne sont plus nécessaires pour devenir parlementaire, on peut supposer que leur influence sur les débats parlementaires sera moindre.
Division du pouvoir législatif
Le pouvoir législatif suisse reste divisé entre d’une part des citoyens tirés au sort (le Conseil national) et d’autre part des élus (le Conseil des États). Il s’agit donc d’un modèle de parlement mixte au sein duquel les deux chambres disposent des mêmes pouvoirs (bicamérisme parfait).
Conclusion
La proposition de Génération nomination est concrète et relativement simple à mettre en œuvre, ce qui en fait sa force.
Elle est aussi originale avec sa proposition de mandat à temps partiel. Cependant, on peut s’interroger sur l’efficacité réelle d’une telle mesure : les députés tirés au sort pourront-ils raisonnablement cumuler leur emploi avec un mandat parlementaire ? Cela étant, garder un pied dans le monde réel n’est pas une mauvaise chose, surtout pour un mandat de 4 ans.
Le système parlementaire suisse est fondé sur une coopération entre les deux chambres élues, dont les présidents doivent notamment déterminer pour chaque projet de loi laquelle des deux est « prioritaire ». Un projet de loi peut rester indéfiniment bloqué si les deux chambres ne parviennent pas à s’accorder sur le même texte. Aujourd’hui, ce système est équilibré grâce aux partis politiques, mais si l’on se met à tirer au sort les députés du Conseil national, on peut supposer que cet équilibre sera remis en question et qu’un blocage du parlement devient possible. En effet, les divergences d’intérêt entre les tirés au sort et les élus risquent d’être importantes et il n’est pas dit qu’ils parviennent à s’accorder sur un même texte. Il serait alors judicieux d’envisager une réforme plus globale du parlement suisse en répartissant différemment les pouvoirs entre l’assemblée élue et l’assemblée tirée au sort. Par exemple, le Conseil national pourrait avoir le dernier mot en matière législative, mais en contrepartie c’est le Conseil des États qui serait chargé d’élire le Conseil fédéral (gouvernement) et les juges du Tribunal fédéral, ou inversement.
A. La proposition de Génération nomination: choix esthétique ou réforme?
Je ne pense pas que la Suisse soit un pays tellement pauvre qu’il faille supprimer les élections pour financer la formation des députés de la chambre basse. Quelques remarques:
a. Les députés du Conseil national élus par les électeurs d’un canton sont élus parmi les parlementaires cantonaux issus du suffrage direct.
b. La moitié des députés de chaque circonscription sont élus par moitié parmi les députés sortant.
c. Un député peut être assistés des conseillers rémunérés par l’Etat comme les parlementaires américains ou autre.
d. Les parlementaires peuvent associer les citoyens à la rédaction des propositions de loi grâce aux outils de la démocratie collaborative.
e. Accessoirement, les Suisses gagneraient sans doute à adopter les référendums révocatoires comme les Californiens et les référendums de dissolution des landers allemands: une forme d’assurance, dirions-nous.
Certains stochocratistes peuvent aspirer à une certaine esthétique du pouvoir et vouloir instaurer de la stochocratie sans souci pour ses bénéfices réels mais ils tomberont toujours nez à nez avec une majorité de citoyens qui n’ont pas envie d’être dépossédés de prérogatives acquises ou potentielles juste pour leur faire plaisir. En fait, vu la diversité de la mouvance, il est fort probable que les premiers opposants de ces stochocratistes-là … seraient d’autres stochocratistes.
Remarque importante:
Si la stochocratie n’est pas l’outil idéal pour atteindre les buts évoqués par l’article, cela ne remet pas de facto en cause la pertinence de toute forme de recours à la stochocratie dans le contexte suisse.
B. La reconnaissance du vote blanc et la stochocratie palliative
La reconnaissance du vote blanc est le cheval de bataille de certains réformateurs. Elle peut s’effectuer selon les modalités suivantes:
– Lors des élections, les électeurs ont le choix entre voter pour une liste, pour le bulletin « Pas d’avis » ou le bulletin « Tirage au sort ».
– Si l’électeur met un bulletin « Pas d’avis » dans l’urne, son suffrage est accordé à la tête de liste de la liste majoritaire (vote blanc type grec): Ne sachant pas pour qui voter, il laisse les autres électeurs décidés.
– Si les bulletins « Tirage au sort » dépasse le nombre de bulletins attribués à la liste majoritaire après attribution des bulletins « pas d’avis », l’élection est annulé et remplacé par le tirage au sort des mandataires parmi les volontaires à l’exclusion de tout candidat qui s’est présenté lors de l’élection annulée.
Ce système désarmerait médiatiquement les partisans du vote blanc, hacktivistes anti-système et interprètes autoproclamés du vote blanc et de l’abstention, qui militent habituellement pour des modes de reconnaissance du vote blanc visant à paralyser les institutions. Avec le système proposé plus haut, les partisans modérés du vote blanc et les stochocratistes pourraient créer des partis de primaires ouverte, ceux qui proposent des candidats tirés au sort ou élu parmi tous les volontaires. Ce nouveau système électoral serait sans doute optimisé par l’adoption d’une variante du modèle de Wallace.
C. Possibilité d’une stochocratie plébéienne suisse
Dans un style plus radical, envisageons l’opportunité du remplacement de la démocratie représentative par un Etat stochocratique.
On qualifiera de comités stochocratiques plébéiens tout comité qui présente les caractéristiques suivantes:
1) Comité spécialisé / Chaque comité remplit une fonction précise dans une logique tayloriste et pour assure l’action continue des comités.
2) Comité local / Les locaux du comité sont situés à une heure de marche maximum du domicile de chaque participant.
3) Comité de conscrits / Les membre du comité sont tirés au sort parmi:
– L’ensemble des citoyens de la circonscription sans possibilité de désistement;
– les membres d’autres comités plébéiens;
– les personnes ayant servi dans un comité plébéiens au cours des 3 mois qui précèdent ou moins.
4) Comité renouvelé partiellement / Le comité est renouvelé par quart à chaque tirage afin qu’il comporte toujours un pool de vétérans.
5) Période de sensibilisation obligatoire / Les nouveaux conscrits doivent passer le premier quart de leur mandat à consulter des informations, lire des pétitions, suivre des formations validées par d’autres comités stochocratiques plébéiens. Il s’agit de stimuler leur motivation en attirant leur attention sur certains problèmes et en leur fournissant des clés pour le la. Les conscrits qui ont terminé leur période de sensibilisation deviennent des conscrits actifs.
6) Débat à huis clos / Les conscrits actifs participent aux débats du comité qui ont lieu à huis clos. Il n’est pas question qu’un lobbyiste puisse surveiller son travail depuis une tribune.
7) Vote secret en séance publique / Après les débats, les conscrits actifs votent en séance publique, par bulletin, dans une urne transparente sans double fond. Les lobbyistes n’ont aucun moyen de vérifier que les conscrits ont « bien voté ».
Une stochocratie plébéienne serait celle qui ne recourraient qu’à des réseaux spécialisés de comités stochocratiques plébéiens, ce qui limiterait l’intervention des partis et autres types de lobbies. La Suisse présente certaines caractéristiques qui la prédispose à pratiquer une telle stochocratie:
a. L’Armée suisse est levée selon le système de milices: une armée recrutée par le biais d’un service de réserve obligatoire et dont les différentes unités sont composées d’une large proportion de réservistes sélectionnés en fonction de leur activité civile. Les citoyens soldats qui s’accommodent de services militaires ou civils périodiques supporteraient mieux la participation obligatoire à des comités tirés au sort.
b. La démocratie représentative suisse se double de nombreux éléments de démocratie référendaire et de démocratie directe dont les landsgemeiden. Les processus de décision stochocratiques sont plus acceptables quand les décisions sont validées par référendums ou une assemblée populaire. Evidemment, cette approche rebutera ceux des stochocratistes qui veulent avant tout sauver la démocratie purement représentative en remplaçant un électorat démissionnaire par le tirage au sort et l’obligation de participer à des juries citoyens.
c. La Suisse met en œuvre une stratégie de défense totale comportant des volets militaire, économique, informatique, spirituelle, politique, etc… qui reposent en partie sur les actions des civils, notamment l’action associative. La prise en charge de ses questions par des comités tirés au sort n’est pas absurde.
Quoi qu’il en soit, la stochocratie est invendable en Suisse dès lors qu’elle est conçue comme une fin en soi et que son instauration reposerait sur la réduction de prérogatives de contrôle des dirigeants garanties aux électeurs.
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