Le modèle d’Owen et Smith

Introduction

De plus en plus de modèles basé sur le tirage au sort des parlementaires font leur apparition dans la littérature scientifique. Owen et Smith, les auteurs de l’article (voir source), s’intéressent notamment au modèle de Wright et Gastil qui prévoit la création d’un parlement bicaméral avec une chambre élue et l’autre tirée au sort.

En s’inspirant d’exemples historiques d’utilisation du tirage au sort, notamment la démocratie athénienne et les mini-publics, les auteurs en viennent à proposer leur propre modèle.

Le modèle

L’assemblée

Les auteurs reprennent le concept de l’Héliée, le tribunal d’Athènes, pour concevoir le cadre de leur modèle. Au lieu d’avoir une assemblée législative permanente, un groupe de citoyen est tiré au sort pour chaque nouveau projet de loi à étudier :

  1. Tous les deux ans, un panel de 6 000 citoyens (dont le nombre peut varier selon la taille du pays) est tiré au sort parmi l’ensemble de la population. Les citoyens ne peuvent pas refuser ce mandat. Durant cette période, ils reçoivent une formation basique sur le fonctionnement du processus législatif.
  2. Chaque fois qu’un projet de loi est mis à l’ordre du jour, une assemblée de 150 à 300 citoyens est tirée au sort parmi le panel de 6 000. Ces 150 à 300 citoyens sont ensuite répartis dans de plus petits comités qui s’occupent chacun d’un aspect du projet de loi. Ainsi, plus la loi est complexe, plus il y a de comités, et plus l’assemblée doit être grande.
  3. Contrairement à la démocratie athénienne, le rôle de ces comités consiste à délibérer consciencieusement sur le sujet qui leur est assigné. La durée des délibérations s’étend sur quelques dizaines de jours tout au plus, à l’issue desquels les comités se réunissent en assemblée plénière pour prendre une décision finale sur le projet de loi. Si le projet obtient plus de 75 % d’approbation, il est adopté, s’il ne dépasse pas 25 % il est rejeté, et s’il se situe entre 25 % et 75 %, il est retourné au gouvernement pour être modifié. Ces pourcentages sont arbitraires et doivent être adaptés au contexte. À la place d’être retourné, le projet peut aussi être soumis a referendum s’il n’est pas clairement adopté ou rejeté par l’assemblée.
  4. Une fois le projet de loi voté, l’assemblée et les comités sont dissouts. Leurs membres retournent alors dans le panel de 6 000 citoyens et sont susceptibles d’être à nouveau tirés au sort dans d’autres assemblées sur d’autres projets de loi.

Les auteurs considèrent qu’avec cette rotation rapide, les intérêts privés auront du mal à influencer la décision législative, car il faut chaque fois « convaincre » de nouveaux citoyens qui siègent pour quelques jours seulement.

Un comité administratif

Ce comité indépendant vis-à-vis du gouvernement a pour mission d’organiser la tenue des différentes assemblées et comités législatifs, de veiller à l’impartialité de la procédure de tirage au sort et de recruter le personnel encadrant les délibérations, notamment des facilitateurs.

Il est aussi responsable de la qualité de la formation dispensée aux citoyens tirés au sort, et de la diversité des discours des experts et parties prenantes invités.

Un tel comité serait assez proche de ce qu’est aujourd’hui la Commission nationale du débat public en France, ou bien l’Autorité de la participation en Toscane, mais avec davantage de moyens humains et financiers.

Initiative législative

Les auteurs insistent sur le fait que l’assemblée tirée au sort ne doit avoir qu’un seul rôle : se prononcer sur l’adoption ou le rejet d’un projet de loi. Ce n’est pas elle qui définit les projets à l’ordre du jour. Cette tâche peut être accomplie soit par une assemblée élue permanente, soit par une autre assemblée tirée au sort, soit par l’ensemble des citoyens via un dispositif participatif.

Conclusion

Le fait de tirer au sort à l’intérieur d’un large panel offre plusieurs avantages. Déjà, il rend le système très flexible et permet à de nombreux projets de loi d’être étudiés en même temps (même si cela suppose une logistique plus complexe à mettre en œuvre que dans le cas d’une assemblée permanente). Ensuite, il permet de se rapprocher un peu plus de l’idéal de la démocratie athénienne dans lequel chaque citoyen avait une chance raisonnable d’être tiré au sort au moins une fois dans sa vie. Bien sûr, même avec un panel de 10 000 ou 20 000 personnes renouvelé tous les ans, cela ne garantirait pas qu’un citoyen français soit tiré au sort au cours de sa vie, mais cela en augmenterait considérablement les chances par rapport à un système d’assemblée permanente de 500 citoyens par exemple.

L’argument de la protection contre la corruption est intéressant, mais il ne prend pas en compte le fait que les intérêts privés puissent exercer leur influence de manière indirecte, notamment via les médias, pour mettre en avant certains points de vue qui servent leurs intérêts plutôt que d’autres.

Le comité administratif semble disposer de nombreux pouvoirs, malheureusement les auteurs ne détaillent pas la manière dont ses membres seraient nommés ni à qui il devrait rendre des comptes. Pour en sécuriser la gouvernance, on peut imaginer inclure d’anciens citoyens tirés au sort dans ses organes de gestion.

Source

OWEN & SMITH – Sortition, rotation and mandate: conditions for political equality and deliberative reasoning (2018)

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