Cet article est une synthèse et une traduction des travaux d’Alpa SHAH (voir Sources).
Démocratie tribale

L’Inde est peuplée de tribus aborigènes (Adivasis) qui comptent près de 100 millions d’individus, vivant dans des régions reculées du Nord-Est du pays. Parmi ces tribus, les Mundas et les Oraons occupent une partie de la jungle de l’État du Jharkhand.
Il s’agit de peuples qui vivent dans une extrême pauvreté et qui sont isolés du reste de l’Inde : une majorité d’entre eux ne pratique d’ailleurs pas l’hindouisme mais l’animisme. Ils se répartissent en de nombreux petits villages épars, constitués sous forme de communautés.
Ces tribus disposent d’une caractéristique démocratique essentielle dans leur culture : l’égalité. Ce qui crée un fort contraste avec le système traditionnel indien des castes, basé sur les droits héréditaires. Selon l’auteure [qui a vécu avec ces tribus] cette égalité se ressent dans leur absence de volonté d’accumuler les richesses, la solidarité à l’intérieur de la communauté, l’échange de services entre voisins, l’égalité de genre (relativement au reste de l’Inde), etc.
Le Pahan et le Paenbharra
Au sein de ces tribus, le Pahan agit comme le chef du village et dispose de nombreux pouvoirs au sein de la communauté, ainsi que de certains devoirs :
- Pouvoir judiciaire : arbitrer et résoudre les conflits relatifs aux terres, aux mariages, ou aux crimes par exemple
- Pouvoir terrestre : disposer d’un ensemble de terres dédiées au Pahan (2,5 hectares en moyenne), ainsi que de 7 cultivateurs placés sous son autorité
- Pouvoir religieux : organiser les cérémonies sacrificielles, exorciser les maisons des mauvais esprits
- Devoir : nourrir l’intégralité du village lors des festivals paysans (3 fois par an), prendre soin des familles tombées dans le besoin.
Le Paenbharra a pour rôle de seconder le Pahan.
La cérémonie du tirage au sort
Le Pahan et le Paenbharra sont sélectionnés tous les 3 ans par tirage au sort, selon plusieurs modalités qui varient en fonction des villages :
La méthode de la maison

On place un foulard sur les yeux d’un homme innocent. L’ancien Pahan invoque ensuite un esprit qui prend possession du corps de l’homme. À la manière d’un sourcier, il brandit un bâton devant lui puis déambule dans le village à tâtons, suivi par tous les habitants. Lorsque le bâton, guidé par les esprits, le conduit à l’intérieur d’une maison, son propriétaire devient le nouveau Pahan. Le même processus est répété pour la désignation du Paenbharra.
La méthode des cailloux
Des cailloux sont disposés en cercle, chacun d’entre eux représentant une maison du village. En se servant d’un pilon en pierre, l’homme innocent aux yeux masqués par un foulard tourne autour du cercle de cailloux et finit par en toucher un avec son instrument. Ce caillou permet de désigner la maison du nouveau Pahan. Le même processus est répété pour la désignation du Paenbharra.
Risques de trucage
Si le risque de trucage du tirage au sort paraît significatif dans les deux procédures, l’auteure affirme qu’elle n’a pas détecté de situations où un même Pahan serait sans cesse désigné, et ce en se référant aux archives des quinze dernières années du village où elle a séjourné.
En réalité, les villageois sont peu attirés par le rôle de Pahan qui comprend un équilibre entre pouvoirs et devoirs.
Un usage limité
Ces pratiques sont attestées dans au moins 100 villages différents. Toutefois, seuls les Adivasis animistes y participent, et certains autres Adivasis issus d’ethnies différentes (les Yadavs), même s’ils font partie du village, ne se sentent pas concernés par ces cérémonies et par les prises de décisions en général.
Le tirage au sort est circonscrit à la sélection du Pahan d’un village, mais la pratique n’a jamais été mise en œuvre à des échelles plus importantes (pour régler les conflits entre villages frontaliers par exemple, ou pour administrer des tribus entières).
Conclusions
(( (Réflexions personnelles
- Il semble qu’en réalité le rôle de Pahan dispose de peu de pouvoirs réels, les décisions du village étant souvent prises via le consensus de tous les habitants. Dans ces conditions, on peut comprendre l’intérêt d’avoir recours au tirage au sort pour désigner le foyer qui devra assurer le rôle de « sécurité sociale » du village, qui est un véritable fardeau.
- L’usage du tirage au sort est ici intimement lié à la religion, puisque la main de l’homme innocent se fait « guider » par l’esprit du village. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une pratique très atypique, là où les autres religions permettent généralement d’asseoir un pouvoir autocratique. Est-ce la pratique religieuse qui a façonné le système, ou bien sont-ce les particularités de vie de ces tribus qui les ont poussé à adopter de telles croyances ?