Revue d’initiative citoyenne

Principe de la revue d’initiative citoyenne (Citizens’ Initiative Review : CIR)

La CIR est un processus délibératif visant à informer les citoyens préalablement à la tenue d’un référendum ou d’une élection. Contrairement à de nombreux autres processus, la CIR ne cherche donc pas à créer un consensus sur une question mais à synthétiser de manière objective les arguments du pour et du contre.

Un tirage au sort citoyen a lieu afin de sélectionner 20 à 30 personnes. Comme l’échantillon est faible, une stratification est nécessaire. En plus des critères démographiques habituels, il convient de définir un ou plusieurs critères propres au sujet du CIR si cela est possible. Par exemple, pour le CIR 2018 de Portland relatif au secteur immobilier, le critère « propriétaire / locataire » a été appliqué à l’échantillon afin de refléter les statistiques de l’ensemble des habitants de la ville.

Les citoyens se réunissent pendant quelques jours (un ou deux week-end successifs généralement). Ils commencent par définir les critères d’évaluation des informations, la manière de délibérer et de synthétiser les arguments de chaque partie.

Ils récoltent ensuite les témoignages et points de vue d’un ensemble de parties prenantes sur le sujet visé : experts indépendants, partis politiques, associations, universitaires, etc. Les citoyens tirés au sort utilisent la grille de lecture définie à l’étape précédente pour analyser les informations ainsi reçues.

Au cours du processus, les citoyens délibèrent entre eux afin de s’accorder sur les points qui relèvent purement de promesses électorales fragiles et ceux qui mettent en évidence des faits et des raisonnements sérieux. Tous ces points sont synthétisées dans une Revue citoyenne qui ne fait pas plus d’une page (exemple : CIR 2018 de Portland). L’objectif de cette Revue est ensuite d’être diffusée à un maximum de votants afin de leur fournir une information éclairée. Dans l’État de l’Oregon, la revue est directement annexée aux bulletins de vote envoyés par courrier, et on estime qu’elle a une influence sur plus de la moitié des électeurs.

Histoire

Les Jurys Citoyens de Ned Crosby

Développé par Ned Crosby, la méthode des Jurys Citoyens a été mise en œuvre pour la première fois en 1974 au Minnesota afin de traiter de divers sujets de santé publique.

Elle est ensuite massivement utilisée dans le processus électoral présidentiel et fédéral jusqu’aux années 90. Le rôle des jurys consistait alors à définir clairement la position de chaque candidat sur un ensemble de sujets politiques. Le débat public en ressortit grandement stimulé, et le processus devint relativement populaire aux yeux des médias.

Le Jefferson Center, ONG organisatrice des Jurys Citoyens, fut contrainte d’arrêter ces expérimentations en 1993, jugées « inadaptées pour une association non lucrative » sous la pression du gouvernement.

Les CIR et Healthy Democracy

Ned Crosby, Pat Penn et deux jeunes chercheurs en sciences politiques (Elliot Shuford et Tyrone Reitman) fondent Healthy Democracy en 2006. Plusieurs expérimentations de la CIR ont lieu dans l’État de l’Oregon de 2008 à 2010, jusqu’à ce que le processus devienne formellement institutionnalisé en 2011.

6 CIR (fiscalité, casinos, OGM, processus électoral) ont ainsi lieu dans l’État de l’Oregon jusqu’en 2018 où le gouvernement arrête de financier le programme. Le coût moyen d’une CIR a été évalué à 100 000 $. Les citoyens sont payés 150 $ par jour, logés et nourris. Le taux de participation est de 8%, ce qui conduit à tirer au sort un panel d’environ 10 000 personnes en amont pour obtenir un groupe stratifié de 24 citoyens. D’autres expérimentations non institutionnalisées ont lieu dans les États d’Arizona, du Colorado, de Californie et du Massachusetts.

Le principal frein au développement des CIR est son financement que les pouvoirs locaux ne souhaitent pas prendre en charge. Healthy Democracy doit donc régulièrement faire campagne pour obtenir des financements privés, ce qui compromet sa légitimité (plusieurs fois critiquée sur ce point).

Le modèle s’exporte aussi à l’international, notamment en Suisse où deux projets pilotes ont été mis en œuvre à Sion (2019) et Genève (2021) par Demoscan.

Témoignage

« La seule chose sur laquelle les gens sont d’accord aujourd’hui au sujet des droits politiques, c’est que notre système n’est plus au service de ses citoyens. Pour reconquérir un système politique qui émane du peuple, et qui est gouverné par et pour le peuple, le changement doit venir du peuple. C’est pourquoi le moment est venu de mettre en place la Citizens’ Initiative Review. Elle remet le pouvoir de décision entre les mains du peuple. »

Ann Bakkensen – panéliste CIR Oregon Mesure 73 (2010)

Les apports et limites de la CIR

La CIR est un processus novateur dans le sens où le destinataire des travaux n’est pas le gouvernement ou le parlement mais l’ensemble des citoyens. Le pouvoir de l’institution est donc beaucoup plus élevé que dans la plupart des processus délibératifs qui ne peuvent émettre que des recommandations, pas nécessairement suivies d’effets (tels que la Convention Citoyenne pour le Climat en France)

Dans le cas de l’Oregon, la CIR est liée au RIC (référendum d’initiative populaire) qui permet à 6% des électeurs d’initier un référendum (8% pour les amendements constitutionnels). Il est donc lié aux instruments de démocratie directe. Traditionnellement les votants d’un référendum fondent leur choix selon les recommandations des élites politiques et des groupes d’intérêt. Cela rend la procédure très sensible aux effets de campagne : selon une étude il suffit par exemple de 155 000 $ pour influencer de 1,1% les suffrages en Californie. La CIR est donc un instrument complémentaire au RIC pour en limiter les dérives.

Toutefois, l’organisation des CIR a mis en évidence l’asymétrie partisane liée au RIC : un projet de référendum est porté par un groupe de citoyens préparés et documentés sur le sujet, alors que l’opposition est beaucoup moins structurée. Il en résulte une difficulté pour mettre les opposants sur le même piédestal que les militants. La légitimité du processus en est souvent mise à mal, notamment si l’opposition est minoritaire. Il en va de même pour les sujets complexes pour lesquels les membres du panel CIR n’ont pas le temps de traiter tous les aspects.

L’opposition aux CIR se fait ressentir à la fois du côté des parlementaires qui, de manière générale, sont hostiles aux processus qui leur font perdre un pouvoir décisionnel, et du côté des groupes d’intérêts qui ne peuvent plus aussi aisément influencer le résultat des référendum.

Sources

Citizens’ Initiative Review Research Project (groupe de recherche académique qui suit chaque initiative de CIR).

Healthy Democracy (ONG qui est à l’origine des CIR et d’autres innovations démocratiques)

KNOBLOCH, GASTIL, REITMAN – Délibérer avant le référendum d’initiative citoyenne : l’Oregon Citizen’s Initiative Review.

Première journée de la CIR Portland (2018) :

Projets pilotes suisses :

4 réflexions sur “Revue d’initiative citoyenne

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