Introduction
En quoi le vote permet-il d’exprimer le consentement de la population ? C’est la question à laquelle Laetitia Ramelet a essayé de répondre dans son article (voir source). Puisque certaines propositions politiques envisagent de remplacer les élections par le tirage au sort, il semble utile de chercher à comprendre si l’obtention du consentement de la population est un argument valable des défenseurs de l’élection.
Le consentement et l’élection
Par consentement, il faut comprendre l’acceptation du système politique dans lequel on évolue : d’une part, les citoyens élisent leurs représentants, et d’autre part ces représentants prennent des décisions pour le compte des citoyens. Il s’agit d’une définition proche du « contrat social » de Rousseau. Le peuple accepte de céder sa souveraineté, car il sait que cela est indispensable au bon fonctionnement de la société, même si cela va parfois à l’encontre de ses intérêts personnels. Il s’agit à la fois d’une croyance et d’une obligation politique, qui se manifeste concrètement au moment du vote.
La légitimité de l’État à prendre des décisions au nom des citoyens découle directement de leur consentement : plus les citoyens manifestent leur acceptation des règles du système, plus l’État est légitime à gouverner, et inversement. C’est la raison pour laquelle la hausse progressive du taux d’abstention compromet la légitimité des élus et suscite de vives inquiétudes de leur part.
L’élection s’est imposée comme un moyen efficace d’obtenir le consentement des citoyens, car après la monarchie absolue, ceux-ci souhaitaient avoir leur mot à dire dans le choix de leurs dirigeants et leur non-reconduction en cas de faute. Puisque les vainqueurs de l’élection sont ceux qui obtiennent le plus d’approbation, le système électoral permet « naturellement » de générer un maximum de consentement au sein de la population.
La légitimité qui découle de l’élection est tout de même subordonnée au respect de certains principes, notamment en matière de transparence du processus électoral, d’absence de fraude et d’égalité lors de la campagne électorale.
Dans le cas de l’élection, le consentement provient de deux sources principales : les élus et la procédure électorale.
Le consentement et les élus
Voter pour un candidat implique-t-il de consentir à sa politique ? Au premier regard, cela semble évident, car voter pour un candidat, c’est avant tout voter pour un programme, un parti politique et une idéologie. Le choix de ce parti est souvent lié à l’identité sociale du votant, de sorte qu’il puisse faire avancer la cause qu’il défend (ex. : justice sociale) ou satisfaire ses intérêts personnels (ex. : payer moins d’impôts).
Cependant, dans certaines situations, un électeur peut voter pour un candidat qu’il ne considère pas comme la meilleure option au regard ses attentes politiques. Le « vote stratégique » ou « vote utile » consiste ainsi à préférer un gros parti qui a une chance de l’emporter plutôt qu’un petit candidat qui est pourtant plus proche des préférences politiques de l’électeur. À l’inverse, le « vote barrage » vise à empêcher un candidat d’accéder au pouvoir en supportant son adversaire qui incarnerait le moindre mal. Quant au « vote protestataire », il résulte d’un mécontentement envers un parti auquel l’électeur est traditionnellement habitué à voter au profit d’un parti adverse, souvent plus radical, dans le seul but de sanctionner le premier. Le vote protestataire peut aussi être lié à la désaffection du système politique et électoral dans son ensemble.
Voter pour un candidat ne suppose pas d’approuver tous les actes que celui-ci a commis avant son mandat ni tous ceux qu’il envisage de faire. Il est impossible de trouver un candidat qui reflète toutes les préférences politiques d’un électeur, celui-ci est donc contraint de faire des concessions sur ses propres convictions.
Ainsi, on comprend que la notion de consentement n’est pas aussi claire qu’elle n’y parait. Ce n’est pas parce qu’un candidat est élu à la majorité que la majorité approuve son programme politique. Pourtant, les politiciens considèrent souvent qu’il en va ainsi, dans le but de maximiser leur légitimité au pouvoir.
Le consentement et la procédure électorale
Le consentement exprimé par les électeurs au moment du vote peut avoir différentes origines. Tout d’abord, ceux-ci peuvent agir par devoir civique, considérant que voter est une obligation échouant à chaque citoyen. Mais ce devoir civique ne s’accompagne pas toujours d’un consentement, car le vote peut être vu comme un simple moyen de signifier son appartenance à une communauté (locale, nationale, ou politique, par exemple) : on ne vote pas parce qu’on croit aux vertus du système, mais parce que cela fait partie des usages.
Les électeurs peuvent aussi consentir au résultat des élections par respect pour le vote de leurs concitoyens : même si le résultat ne les satisfait pas, ils reconnaissent la légitimité d’un dirigeant choisi par la majorité.
Les électeurs « perdants » d’une élection ont tendance à moins reconnaitre le pouvoir en place que les électeurs « gagnants », mais ils ne remettent pas en cause la procédure électorale pour autant. Tout du moins, tant qu’ils ont l’espoir de voir leur candidat favori l’emporter lors des prochaines élections.
Cela conduit à l’émergence d’un paradoxe où d’une part la procédure électorale apparait comme légitime et où d’autre part elle ne permet pas de présenter des options satisfaisantes aux électeurs, alors contraints de se reporter sur « le moindre mal ».
La légitimité du processus électoral peut ponctuellement être remise en cause, notamment dans des périodes hautement conflictuelles où la victoire de candidats jugés « controversés » menace le bien commun. Ce n’est pas tant le principe même de l’élection qui est remis en cause que ses modalités, par exemple le système des grands électeurs aux États-Unis, ou bien le mode de scrutin qui, selon qu’il est majoritaire ou proportionnel, peut donner des résultats différents.
L’abstention
Les élus craignent l’abstention, car elle compromet leur propre légitimité, c’est la raison pour laquelle ils essayent de la combattre durant la campagne électorale en stigmatisant les abstentionnistes, puis qu’ils en réduisent la portée une fois qu’elle est connue. En réalité, il est toujours difficile de connaitre les causes précises de l’abstention, que ce soit au niveau collectif ou individuel.
L’abstention peut aussi bien traduire une forte confiance dans la classe politique qu’une défiance généralisée pour les institutions, en passant par le fait de se considérer comme incompétent pour voter ou bien par simple désintérêt de la politique. Ainsi, certains abstentionnistes consentent bel et bien au système électoral, alors que d’autres le rejettent catégoriquement. Comme le vote protestataire, l’abstention peut être un moyen d’envoyer un message fort aux dirigeants politiques, notamment si l’on est insatisfait par la qualité des candidats et de leur programme.
Conclusion
En synthèse, le consentement des citoyens à se faire gouverner ne peut être simplement analysé par le spectre des résultats d’une élection. Car on peut consentir sans voter, et l’on peut voter sans consentir.
Cette conclusion casse un argument récurrent dans le débat qui oppose l’élection au tirage au sort : seul le vote permet d’obtenir le consentement des citoyens et donc la légitimité de l’État à gouverner. Les citoyens peuvent consentir à la procédure de tirage au sort de la même manière qu’ils consentent à celle de l’élection, même si cela se traduit par une incapacité à choisir directement leurs dirigeants.
Source
Laetitia RAMELET — Why voting does not imply consenting (2020)