Introduction
Aujourd’hui, les assemblées législatives sont fondées sur un principe simple : la majorité fait la loi. Pour obtenir cette majorité, il suffit de représenter 50 % des voix plus une au sein d’un parlement, soit en ayant un parti politique suffisamment grand, soit en nouant des alliances politiques avec d’autres partis.
Cette majorité n’est pas toujours acquise : selon l’ordre du jour, les députés peuvent se montrer plus ou moins loyaux vis-à-vis des consignes de vote de la majorité. De plus, les alliances entre partis sont généralement éphémères, elles sont le fruit de négociations durant lesquelles chacun doit faire des concessions sur ses principes fondamentaux et ses promesses de campagne.
Aujourd’hui, le jeu politique est donc essentiellement tourné vers la création et le maintien d’une majorité, notamment dans les démocraties parlementaires. En France, ce genre de problématique se pose moins, car les élections présidentielle et législatives sont synchronisées, ce qui permet généralement au gouvernement d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale sans avoir besoin de conclure des alliances.
La règle de la majorité fait aujourd’hui foi pour trancher les problèmes politiques. À tel point qu’elle est devenue une règle implicite de la démocratie. Pourtant, elle n’est pas exempte de défauts, puisque les forces politiques minoritaires qui n’arrivent pas à rejoindre la majorité voient leur pouvoir réduit à néant, alors qu’elles représentent une part importante de l’opinion des citoyens. De plus, les délibérations n’ont pas lieu en public lors des débats parlementaires, mais à l’occasion de négociations privées entre chefs de partis, ce qui rend le processus législatif opaque.
Ces quelques dérives conduisent certains chercheurs à parler de dictature ou de tyrannie de la majorité. C’est pour sortir de ce système traditionnel – et peut-être archaïque – que l’idée de la superminorité est née.
Le concept de superminorité
Classiquement, une assemblée législative a deux rôles : concevoir les lois d’une part et les adopter d’autre part. Dans le cadre de la superminorité, on considère que ces fonctions doivent être nettement séparées : une institution s’occupe de l’élaboration des lois (l’Assemblée) tandis qu’une autre est chargée de les adopter (le Jury).
L’objectif principal de la superminorité est de faire émerger des propositions politiquement variées, de sorte que le Jury puisse adopter celle qui lui semble la plus adéquate. Le nombre de propositions souhaitées doit être défini en amont du processus. Il dépend soit de la thématique abordée, soit d’usages propres au système en place, il peut par exemple être de 2, 3, ou 5. Il ne doit cependant pas être trop élevé, au risque de noyer le jury sous les propositions.
Quand une thématique est mise à l’ordre du jour de l’Assemblée, chaque groupe parlementaire peut émettre une proposition de loi. Après débat, toutes ces propositions sont mises au vote de l’Assemblée. Seules celles qui dépassent un certain seuil de majorité – voire formule ci-dessous – sont retenues pour êtres présentées au Jury.
Seuil de majorité = 1 ÷ (Nombre de propositions souhaitées + 1)
Ainsi, dans le cas d’une « superminorité 2 », la majorité nécessaire pour retenir une proposition est de 1÷(2+1) = 33,33 %. Pour une « superminorité 3 », elle est de 25 % et pour une « superminorité 5 » de 16,67 %, etc.
Dans certains cas, il se peut que le nombre de propositions retenues soit plus faible que le nombre souhaité, notamment s’il y a une formation politique prépondérante au sein de l’assemblée. Toutefois cette éventualité devrait être rare, car un grand parti politique aura intérêt à se diviser selon ses nuances internes pour émettre plusieurs propositions au lieu d’une seule.
Lorsque les propositions retenues sont transmises au jury, celui-ci doit les se prononcer sur chacune d’entre elle, après examen. La proposition qui obtient le plus haut taux d’approbation est ensuite adoptée comme loi.

Conclusion
Le principal avantage de la superminorité consiste à diversifier la réflexion politique sur une thématique donnée en permettant aux parlementaires d’élaborer des alternatives concrètes qui, même si elles sont minoritaires à l’Assemblée, auront une chance d’être adoptées par le Jury (comme c’est le cas pour la proposition P2 dans l’exemple ci-dessus). De plus, la séparation des pouvoirs entre l’Assemblée et le Jury permet de rendre le processus législatif plus transparent et lisible pour l’ensemble des citoyens. Le devenir d’un projet de loi ne dépend plus uniquement de tractations secrètes entre chefs de partis, mais de la qualité du débat parlementaire et de la capacité des députés à élaborer des propositions cohérentes.
Le concept de la superminorité peut être appliqué de diverses manières possibles. Les chercheurs Alex Kovner et Keith Sutherland proposent notamment une Assemblée élue et un Jury tiré au sort. En effet, le travail de l’Assemblée nécessite des connaissances et de l’expérience politique pour construire des propositions, tandis que les membres du Jury ont besoin d’avoir un regard frais et représentatif de la population sur les propositions. Ce modèle est décrit plus en détail dans cet article.
La superminorité peut s’appliquer à de nombreux autres échelons : partout où la règle de la majorité prédomine. On peut par exemple penser à la Convention citoyenne pour le climat dont les membres se sont prononcés sur 150 propositions en fin de processus, mais sans avoir de véritable alternative, ce qui a conduit à des taux d’approbation très élevés. Il aurait été plus intéressant d’avoir, pour chaque thématique, des propositions contradictoires et diversifiées.
L’inconvénient de la superminorité tient dans son organisation qui est plus complexe que la règle de la majorité. De plus, la définition du nombre de propositions souhaitées est arbitraire et risque de susciter des contestations. Les notions de thématique et de gestion de l’ordre du jour demandent également une organisation très différente de nos modèles actuels (ce à quoi les chercheurs cités ci-dessus apportent une réponse dans leur modèle).
Source
SUTHERLAND & KOVNER – Some Problems of Citizens’ Assemblies (2020)
SUTHERLAND & KOVNER – Isegoria and Isonomia, election by lot and the democratic diarchy (2020)