Tirage au sort estudiantin (Lausanne)

Cet article est une synthèse de l’article de Maxime MELLINA, voir Source.

La FAE

L’Université de Lausanne compte près de 14 000 étudiants. La Fédération des associations d’étudiants (FAE) a pour mission de représenter les étudiants, animer la vie étudiante, coordonner les différentes associations, soutenir les étudiants en difficulté, etc. Si la FAE n’est pas une structure professionnelle, elle dispose d’un poids politique important, car elle est reconnue par les autorités publiques comme un véritable syndicat estudiantin.

La structure de la FAE est par plusieurs aspects semblable à celle d’un gouvernement représentatif :

  • Un Collège exécutif : 8 membres élus par l’Assemblée des délégués s’occupent de la gestion interne
  • Une Assemblée des déléguées : 46 représentants se réunissent une fois par mois afin de décider des orientations politiques de la FAE
  • Une Administration

L’Assemblée des déléguée est elle-même composée de deux types de représentants :

  • Les 23 représentants de la communauté universitaire
  • Les 23 représentants des associations facultaires autonomes

Historiquement, les représentants de la communauté universitaire se faisaient élire en début d’année via un scrutin proportionnel pour une durée d’un an. En 2013, ce mode de sélection a été remplacé par une procédure intégrant du tirage au sort afin de pallier au fort taux d’abstention lors des élections (91 à 95%) et à la faible implication des élus. De plus, beaucoup d’étudiants non politisés s’excluaient d’office de la procédure en raison des conflits partisans qui jalonnaient ces élections. Les listes de candidats entretenaient des liens étroits avec les partis politiques locaux (50% des étudiants élus étaient aussi affiliés à un parti, ce taux est progressivement redescendu depuis la mise en œuvre du tirage au sort).

Les représentants des associations facultaires autonomes sont quant à eux sélectionnés selon des mécanismes propres à chaque association (cooptation, élection, ou désignation).

Procédure du tirage au sort

La sélection des 23 sièges des représentants de la communauté universitaire s’effectue en deux tours :

  1. Tirage au sort de 23 étudiants, qui peuvent accepter ou refuser leur mandat (le taux d’acceptation varie de 9% à 17%).
  2. Tirage au sort parmi une liste de volontaires (40 en moyenne) de manière à compléter les sièges laissés vide au premier tour.

Apports

Amélioration de la représentativité

CritèreÉlectionTirage au sortEnsemble des étudiants
Nombre de femmes à l’Assemblée25%39%55%
Nombre d’étudiants en sciences humaines à l’Assemblée60%46%45%

Avant la sélection par tirage au sort, les élus comportaient 25% de femmes (moyenne sur 2 ans), ce taux est remonté à 39% (moyenne sur 3 ans) après la réforme du tirage au sort. La part d’étudiantes parmi l’ensemble des effectifs est quant à elle de 55%.

De la même manière, 60% des représentants élus provenaient de filières de sciences humaines (puisqu’une majorité des étudiants en biologie et médecine ne participaient pas), chiffre qui est redescendu à 46% parmi les tirés au sort, très proche des 45% qui représentent la proportion réelle de ces étudiants parmi tout le corpus universitaire.

La représentativité s’est donc améliorée mais est encore loin de rejoindre une réalité statistique. Notamment car une majorité des représentants sont tirés au sort parmi une petite liste de volontaires, avec une chance sur deux d’être sélectionné.

Légitimité et dépolitisation

Selon la classification de Dimitri COURANT, il existe trop types de légitimités pour une assemblée tirée au sort :

  • La légitimité-similarité : les individus sont semblables au reste de la population qu’ils représentent, c’est le principe de représentativité
  • La légitimité-horizontalité : les tirés au sort sont indépendants des conditions qui les ont amenés au pouvoir, c’est le principe d’impartialité
  • La légitimité-humilité : les représentants citoyens ne sont pas et ne se considèrent pas comme supérieurs aux représentés, c’est le principe d’égalité

Contrairement aux élus qui agissaient en tant que représentants de leur liste et de leur parti politique d’affiliation, les étudiants tirés au sort se sentent plus largement les représentants de l’ensemble du corps estudiantin. Bien que certains considèrent aussi représenter une communauté plus restreinte, quelle qu’elle soit. Cela crée une plus grande diversité d’opinions et de points de vue au sein de l’Assemblée, qui ne consiste pas à reproduire les positions habituelles des partis politiques.

Le fait d’être délié de toute appartenance à un parti politique et de n’être redevable d’aucune faveur offre aux tirés au sort une liberté d’expression tout à fait considérable. Un étudiant politisé admet même se sentir bien plus libre à l’Assemblée des délégués qu’au Conseil communal où il siège également et vote « sans réfléchir » selon la ligne du parti auquel il est affilié.

Limites

Participation

Le taux d’acceptation au premier tirage est très faible (9 à 17%), et le taux d’inscription sur la liste des volontaires est encore plus dérisoire (0,3%). Bien plus faible, donc, que le taux de participation aux élections qui était de l’ordre de 5%. En un sens, la masse des étudiants s’exprime donc moins qu’auparavant.

Ce manque de participation contraint la FAE à autoriser les représentants étudiants à se porter à nouveau volontaire, même s’ils ont déjà exercé un ou plusieurs mandats.

Carriérisme

Dans la configuration de la FAE, rien n’empêche les étudiants de suivre un cursus honorum car, ils peuvent soit se porter volontaire à l’Assemblée des délégués (avec une chance de 50% d’être tiré au sort), soit se faire désigner par une association membre de la fédération (selon leur habilité politique et charismatique). En outre, une fois leur mandat législatif écoulé, ils peuvent se présenter afin d’être élu au Collège exécutif de la FAE, apogée de leur carrière estudiantine qui pourra se poursuivre dans le champ de la politique locale, puis cantonale, puis confédérale.

Infériorité et incompétence

Certains étudiants tirés au sort ne comprennent plus pour qui ou pour quoi ils siègent ni qui ils représentent. D’autres peuvent être dépassés par leur manque de compétence technique (jargon utilisé notamment), substantielle (connaissance sur les sujets abordés en réunion) et politique (capacité à exprimer ses idées et à convaincre). Ils sont alors traversés par la démotivation, l’effacement et le désengagement. Ce sentiment d’infériorité est amplifié par la présence, dans l’Assemblée, de représentants d’associations qui n’ont pas été désignés par la procédure du tirage au sort, et apparaissent pour certains comme davantage légitimes et représentatifs.

On observe donc un phénomène de délégation du pouvoir des tirés au sort vers les élus des associations et les membres du Collège exécutif qui préparent les débats en amont. De plus, comme l’Assemblée est présidée par l’exécutif, il a pu être observé des situations de conflit d’intérêt, voire de manipulation du législatif par l’exécutif. Paradoxalement, le tirage au sort a donc amoindri la séparation des pouvoirs.

Source

MELLINA – Tirage au sort et associations étudiantes, une expérience démocratique à l’Université de Lausanne ? (2019)

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