Réflexions sur la représentativité des assemblées citoyennes

Introduction

La Deliberative wave de ce début de siècle voit se succéder de nombreuses expériences de démocratie délibérative dans lesquelles le tirage au sort est massivement utilisé pour constituer des groupes dits « représentatifs ».

Cependant, toutes ces expériences ne sont pas organisées dans les mêmes conditions ni avec les mêmes méthodes. L’échantillon de citoyens tirés au sort peut aller de 20 à 1 000. Doit-on considérer que tous ces processus sont « représentatifs » de la même manière ?

C’est la question à laquelle Tiago Peixoto essaye de répondre.

Trois facteurs de représentativité

La taille de l’échantillon

La plupart des expériences de démocratie délibérative tirent au sort entre 20 et 70 citoyens. Les plus ambitieuses d’entre elles vont peut-être jusqu’à 200 (voir Convention citoyenne sur le climat ou Conférence sur l’avenir de l’Europe). Cependant, cela reste insuffisant, et le chercheur Robert Dahl recommande un échantillon d’au moins 1 000 personnes pour atteindre une représentativité statistique. D’ailleurs, les enquêtes d’opinion se basent généralement sur ce nombre-là pour réduire la marge d’erreur à un niveau insignifiant.

Si l’on prend le cas de la population française (env. 40 millions d’électeurs), la taille de l’échantillon doit être d’au moins 384 personnes si l’on veut limiter la marge d’erreur à 5 % sur le critère du genre avec un intervalle de confiance de 95 %. Exemple : sachant que la population compte 51,6 % de femmes, il y a 95 % de chances que l’échantillon comprenne entre 46,6 % et 56,6 % de femmes. Si l’on considère que cet écart est trop important et que l’on veut réduire la marge d’erreur à seulement 2 %, alors la taille de l’échantillon devra être de 2 400 personnes. En sus, si l’on veut un intervalle de confiance de 99 %, la taille passe à 4 150 personnes. Ainsi, la représentativité statistique est une affaire de compromis entre la taille de l’échantillon et le couple marge d’erreur/intervalle de confiance qu’on est prêt à accepter.

Pour limiter cette difficulté, les processus délibératifs ont généralement recours à une méthode de « stratification » en réalisant deux tirages au sort successifs, le premier pour obtenir des volontaires et le second pour remplir les quotas de certaines « strates » démographiques, typiquement : le genre, l’âge, le niveau d’éducation, etc.

Mais cette représentativité est imparfaite, car elle néglige les intersections entre les strates. Imaginons un échantillon stratifié selon les critères du genre (50 % de femmes, 50 % d’hommes) et du lieu d’habitation (50 % ville, 50 % campagne). Il est tout à fait possible que l’échantillon soit non représentatif d’un point de vue intersectionnel, par exemple si les femmes vivent majoritairement à la campagne et les hommes à la ville. Plus on prend de critères en compte, plus ce problème devient important et plus il nécessite de recourir à un large échantillon.

D’un point de vue statistique, la représentativité parfaite n’existe donc pas.

La population

La population, n’est pas toujours simple à déterminer. À l’échelle d’un pays, d’une région ou même d’une ville, il n’existe aucune liste recensant fidèlement la population. Faute de mieux, les organisateurs des expériences délibératives puisent tantôt dans les listes électorales, l’annuaire, le registre cadastral ou les numéros de sécurité sociale – quand ils y ont accès.

Même les instituts de sondage, maîtres dans l’art de l’échantillonnage, ne sont pas capables d’obtenir des registres fiables. Ils ont cependant appris à combiner plusieurs sources de données et à les pondérer pour essayer d’obtenir une population la plus représentative possible, au regard du type de sondage à appliquer (élection, marketing, etc.). Certaines expériences de démocratie délibérative ont recours à de tels instituts, mais les tarifs sont élevés.

L’auto-sélection

Il s’agit probablement du facteur qui limite le plus la représentativité des assemblées citoyennes. Quand les organisateurs lancent un tirage au sort, il leur est impossible d’obliger les citoyens à participer, ce qui implique nécessairement que les participants seront des volontaires. Pour être véritablement représentatif, l’échantillon devrait contenir autant de non volontaires qu’il y en a dans la population. Or, pour ce type d’expérience, le taux de volontariat est rarement supérieur à 10 %, ce qui signifie que l’échantillon néglige 90 % de la population totale.

Bien entendu, ce taux de volontariat peut être amélioré de diverses manières. La plupart du temps, les lettres d’invitation sont perçues comme des arnaques, car le processus délibératif n’est pas connu auprès du public. Mais dans tous les cas, ce taux n’atteindra jamais 100 %, même avec la bonne information, il restera toujours des citoyens non désireux de participer à la vie politique pour de multiples raisons.

Conséquences du manque de représentativité

Tout d’abord, une assemblée citoyenne, ce n’est pas la même chose qu’un échantillon de sondage. Qu’un sondage présente une marge d’erreur, cela a relativement peu d’importance si son objectif est de mettre en évidence des tendances de fond. En revanche, une assemblée citoyenne est investie d’une mission bien plus sensible : prendre des décisions politiques. En acceptant une marge d’erreur de 5 %, on accepte que l’issue d’une question politique puisse être en quelque sorte laissée au hasard.

Si les assemblées citoyennes sont plus « diversifiées » que les processus participatifs (consultation publique, par exemple) habituels où n’importe qui peut se porter volontaire, elles sont aussi beaucoup plus coûteuses à organiser. Et leur diversité tient peut-être davantage aux efforts de communication et aux indemnités financières offertes aux participants, plutôt qu’à la technique du tirage au sort.

Les assemblées citoyennes ne semblent pas non plus particulièrement performantes en matière d’inclusion. Le biais d’auto-sélection écarte généralement les personnes marginalisées, peu éduquées et précaires. Or, si l’objectif du processus est d’inclure ces personnes, il semble plus pertinent d’aller les voir directement plutôt que de mener un tirage au sort sur l’ensemble de la population.

Si la délibération est une mécanique féconde en matière de démocratie, elle n’a pas à nécessairement être liée au tirage au sort.

Pour autant, le tirage au sort n’est pas à jeter, car en dépit de son incapacité à créer un échantillon représentatif, il lui reste une grande vertu : écarter des instances de décisions certaines minorités puissantes et organisées. Il s’agit de lobbies, d’ONG, de partis politiques qui ont un agenda propre qui n’est pas forcément celui de l’intérêt général. Or, les processus participatifs souffrent généralement d’une monopolisation du débat public par ces groupes de pression, motivés et dotés de moyens contre lesquels de simples citoyens ne peuvent rivaliser.

Les solutions

Augmenter la taille de l’échantillon est une manière assez simple d’améliorer la représentativité des assemblées citoyennes. Cependant, cela a des conséquences directes en termes de coûts et d’organisation. Car une assemblée plus grande proposera davantage de solutions et nécessitera donc davantage de jours pour délibérer.

Peut-être qu’une autre solution consiste à abandonner la recherche systématique de représentativité pour se focaliser sur l’inclusion d’un public cible. Par exemple pour discuter d’urbanisme, il peut être intéressant de créer un groupe composé d’un tiers de locataires, un tiers de propriétaires et un tiers d’entreprises du BTP, dans le but de créer une discussion féconde.

Conclusion

L’auteur met en évidence l’imperfection de la représentativité revendiquée par les expériences de démocratie délibérative.

Cependant, il montre par la même occasion qu’il est impossible d’obtenir une représentativité parfaite, même avec un budget illimité. La question qu’on peut se poser est de savoir à partir de quand peut-on considérer qu’un échantillon est suffisamment représentatif. La réponse dépend probablement du rôle confié à cette assemblée citoyenne : plus son impact politique est grand, plus on exige d’elle d’être représentative. Il dépend aussi de l’idée que la population se fait de la représentativité et de la légitimité qu’elle serait prête à accorder à de telles assemblées.

L’auteur n’évoque pas la solution plus radicale de rendre la participation au tirage au sort obligatoire, comme pour les jurys d’assises. Cela résoudrait le biais d’auto-sélection, bien que cette idée ne fasse probablement pas l’unanimité.

De manière générale, la littérature scientifique manque d’expériences permettant de mesurer l’impact de la représentativité d’une assemblée sur ses résultats. Il serait intéressant de mettre en perspective les recommandations adoptées par plusieurs assemblées travaillant sur un même sujet, mais de composition différente.

Source

PEIXOTO – Reflections on the representativeness of citizens’ assemblies and similar innovations

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