Le tirage au sort dans la République romaine

Introduction

On pense à tort que la démocratie athénienne était le seul régime politique de l’Antiquité à faire usage du tirage au sort, mais ce serait oublier le cas de la République romaine.

La République a beaucoup évolué au fil du temps et il ne s’agit pas ici d’en expliquer le fonctionnement de manière exhaustive. Nous ne nous intéresserons qu’à la manière dont le tirage au sort était utilisé pour prendre certaines décisions.

Il faut rappeler que la République romaine n’est pas une démocratie comme celle d’Athènes, mais un régime mixte qui emprunte à trois types de gouvernement : la monarchie (le Consul), l’aristocratie (le Sénat), et la démocratie (les Comices).

Le rôle des Comices dans la République romaine

Les Comices sont des Assemblées du peuple, au même titre que l’Ecclésia de la démocratie athénienne, chargée de prendre des décisions. Le Comice centuriate élit les magistrats supérieurs, tandis que le comice tribute élit les magistrats inférieurs et vote certaines lois. Toutefois, les comices n’ont aucun pouvoir d’initiative législative, ils ne font que répondre aux requêtes des magistrats.

Les Comices sont divisés en centuries ou tribus, qui représentent chacune un vote dans le scrutin final. Le vote individuel des citoyens ne sert qu’à déterminer le vote d’une centurie ou d’une tribu.

Le Comice centuriate

Le Comice est composé d’environ 200 centuries qui sont elles-mêmes composées d’un nombre variable de citoyens. Les citoyens les plus riches appartiennent aux centuries de première classe, et les plus pauvres aux centuries de cinquième classe. Ce système est doublement inégalitaire, puisque :

  • la moitié environ des centuries sont de première classe ;
  • les centuries de première classe rassemblent beaucoup moins de citoyens que les centuries de classes inférieures, sachant que chaque centurie a la même voix.

Les centuries votent dans l’ordre des classes et le scrutin s’arrête dès que la majorité est atteinte. Puisque les centuries de première classe sont majoritaires, si elles votent toutes de la même façon, les centuries de classe inférieure sont privées de leur vote, ce qui, en pratique, était assez fréquent.

C’est dans cette procédure de vote qu’intervient le tirage au sort. Une centurie de la première classe est tirée au sort afin de devenir la « centurie prérogative ». Son rôle consiste alors à voter avant toutes les autres.

On pourrait penser que l’ordre n’a pas d’importance, mais le fait de voter en premier et d’annoncer ses résultats à l’ensemble des centuries a une influence sur le vote de ces dernières, et ce, pour plusieurs raisons :

  • Tout d’abord, il y a une dimension religieuse dans le choix de la centurie prérogative. Son vote peut être perçu comme une décision divine et entraîner les autres centuries à voter de la même manière.
  • Ensuite, d’un point de vue purement politique, ce système permet aux centuries de première classe d’harmoniser leur vote de manière à ce que les centuries inférieures ne puissent pas voter (puisque le scrutin s’arrête une fois la majorité atteinte). La centurie prérogative prend donc une décision pour l’ensemble des centuries de première classe, ce qui évite de longs débats.
  • Les classes inférieures sont moins contrariées à l’idée de ne pas voter si cela découle d’une décision divine. Le système permet donc d’apporter de la stabilité politique et une rotation du pouvoir entre les mains des citoyens des classes supérieures.

Le Comice tribute

Le Comice est divisé en 35 tribus qui correspondent à des entités géographiques (équivalent de nos circonscriptions). En ce sens, il est plus égalitaire que le comice centuriate puisqu’il ne fait pas de différence de classe entre les citoyens.

Dans le cas du vote des lois, les tribus votent à tour de rôle selon un ordre immuable (1, 2, 3, 4,…, 34, 35). Cependant, le tirage au sort détermine en quel point de l’ordre le scrutin va commencer. Ainsi, si la tribu 33 est tirée au sort, l’ordre sera : 33, 34, 35, 1, 2,…, 31, 32.

Les choses sont différentes pour l’élection de magistrats. Toutes les tribus votent en même temps, mais le dépouillement suit le même ordre qu’évoqué précédemment, avec tirage au sort de la première tribu. On pourrait se dire que l’ordre de dépouillement n’a aucune incidence sur le résultat final. Mais ce serait oublier la règle selon laquelle le scrutin s’arrête dès qu’une majorité est atteinte. Puisque les tribus peuvent proposer plusieurs noms, il est possible qu’un candidat soit retenu alors qu’il existe un autre candidat avec une plus forte majorité (mais dont la totalité des bulletins n’a pas eu le temps d’être dépouillée).

Conclusion

Contrairement à la démocratie athénienne, Rome n’utilisait pas le tirage au sort pour créer une égalité de droit entre les citoyens, mais pour favoriser la stabilité politique du régime, assurer une cohésion parmi les élites et favoriser la légitimité des décisions prises de cette manière grâce à la dimension religieuse que revêtait le tirage au sort.

En ce sens, la République romaine est plus proche de la République de Venise que de la démocratie athénienne.

Source

MANIN – Principes du gouvernement représentatif (p.66-74)

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