La théorie politique grecque

Dans La Politique, Aristote a consacré une grande partie de ses travaux à l’analyse des Constitutions du monde grec et, particulièrement, à celle d’Athènes.

Types de régimes politiques

Les Grecs ont coutume de séparer les régimes politiques en trois catégories : le gouvernement d’un seul, le gouvernement de quelques-uns et le gouvernement de tous. À cela, Platon et Aristote distinguent les régimes dans lesquels les détenteurs du pouvoir agissent soit dans l’intérêt général (bonne variante), soit dans leur intérêt personnel (mauvaise variante). Ce qui donne la classification suivante :

Qui gouverne ?Un seulQuelques-unsTous
Dans l’intérêt généralMonarchieAristocratiePoliteia
Dans l’intérêt des gouvernantsTyrannieOligarchieDémocratie

Le principal exemple de monarchie est Sparte, une entité que les philosophes athéniens ne cesseront de louer (selon Socrate, la cité idéale est gouvernée par un roi-philosophe) alors même qu’elle est rivale d’Athènes. Les tyrannies sont nombreuses dans la période archaïque qui précède la démocratie athénienne. Les aristocraties sont plutôt rares et l’on compte surtout des oligarchies en Grèce. Enfin, Athènes est l’exemple typique de la démocratie, que certains appellent aussi ochlocratie (gouvernement de la foule). Le « bon » modèle de démocratie, la politeia (littéralement « la Constitution ») n’existe que dans l’imagination des philosophes.

Parmi toutes les « mauvaises » constitutions de chaque type, Aristote reconnaît cependant que la démocratie est moins dangereuse que l’oligarchie et la tyrannie. Le terme de démocratie est assez neutre à l’époque, il est employé positivement par ses défenseurs et négativement par ses détracteurs.

Types de démocraties

Considérant que l’oligarchie et la démocratie sont les régimes les plus nombreux en Grèce, Aristote leur consacre une analyse plus détaillée dans La Politique. Par oligarchie, il faut comprendre un régime où les gouvernants appartiennent à une élite riche nommée à vie, dotée d’une bonne éducation et se partageant souvent le pouvoir de manière héréditaire. La démocratie, à l’inverse, donne le pouvoir au plus grand nombre en tirant au sort les magistrats et les jurés pour une durée limitée et en laissant l’assemblée du peuple prendre les grandes décisions.

Aristote remarque que le risque de voir l’intérêt général bafoué par les gouvernants est lié aux institutions politiques de ces deux régimes et notamment leur degré de radicalité.

Plus les institutions sont radicales, c’est-à-dire qu’elles donnent le pouvoir exclusivement au peuple (démocratie) ou à quelques-uns seulement (oligarchie), plus l’intérêt général est compromis. La solution, selon lui, se trouve dans les Constitutions mixtes qui sont à la fois démocratiques et oligarchiques.

Ainsi, une aristocratie est en fait un régime mixte où le pouvoir est légèrement plus en faveur de quelques-uns que du grand nombre. À l’inverse, dans une politeia, le pouvoir est divisé entre une poignée de magistrats et le peuple, avec un petit avantage pour ce dernier. Aristocratie et politeia sont assez proches d’un point de vue institutionnel, alors que l’oligarchie et la démocratie sont opposées.

Aristote donne plusieurs degrés à cette distinction, de la démocratie de type I, la politeia, à la démocratie de type IV, la plus radicale. Tout au long de son histoire politique, la démocratie athénienne change régulièrement de type. La démocratie des ancêtres instituée par Solon et Dracon représente le type I : les assemblées sont peu nombreuses, les lois ne changent que rarement, les magistrats sont élus parmi les plus riches et ont tous les pouvoirs. À l’inverse, la démocratie radicale qui est instituée à partir de -487 est de type IV : le peuple se réunit fréquemment et vit majoritairement à la ville, les magistrats ont peu de pouvoir et son désignés par tirage au sort, les lois changent régulièrement et ne sont pas respectées.

À partir de -403, les Athéniens essayent de faire revivre la démocratie de Solon, mais ne parviennent pas à s’émanciper des principes démocratiques institués au Ve siècle. Cette démocratie nouvelle se rangerait peut-être dans le type IV ou III d’Aristote.

L’idéologie démocratique

Les Athéniens caractérisent la démocratie par deux aspects fondamentaux : la liberté et l’égalité.

La liberté

Il s’agit de la liberté politique de participer à la vie de la cité et de la liberté privée de mener sa vie comme on l’entend. Bien sûr, cette liberté ne vise que les citoyens et pas les esclaves qui, par nature, en sont dépourvus. La liberté s’entend aussi comme la liberté de la cité à s’administrer en dehors de toute ingérence étrangère, c’est-à-dire la souveraineté.

Les droits individuels ne sont pas clairement définis à Athènes, mais on peut estimer que la défense de ces droits relève d’une forme de liberté fondamentale. Par exemple, les hommes libres ne peuvent être condamnés sans procès (à quelques exceptions près), ils ne peuvent être torturés pour obtenir un témoignage (contrairement aux esclaves) et personne ne peut violer leur propriété privée en dehors d’une décision de justice.

Enfin, la démocratie athénienne se caractérise par la liberté de parole. L’exemple le plus parlant est le cas des philosophes athéniens qui ne cessent de critiquer leur régime et de louer celui de Sparte, alors qu’à Sparte ceux qui remettent en cause la monarchie risquent la mort. La seule exception à ce principe concerne la religion : les Athéniens ne peuvent pas profaner les Mystères et fonder de culte sans autorisation (c’est d’ailleurs sur ce motif que Socrate sera accusé et condamné à mort en -399).

L’égalité

Les Athéniens sont égaux en droits. Cette égalité se divise en égalité de la parole, l’isonomia, en égalité des chances, l’isegoria, et en égalité devant la loi.

Selon le principe de l’isonomia, chacun a le droit de prendre la parole et cette parole vaut autant que n’importe quelle autre. En pratique, cependant, il n’est pas possible d’entendre chacun des 6000 citoyens donner son opinion à l’Ecclésia, cela engendrerait une cacophonie sans nom. Voilà pourquoi il n’y a qu’une poignée d’orateurs à prendre la parole lors des réunions.

L’isegoria donne à tous les citoyens la possibilité de participer à la vie politique, mais c’est à chacun de saisir cette chance et de se donner les moyens de faire porter sa voix, soit en montant à la tribune, soit en se portant volontaire pour le tirage au sort des jurés ou des magistrats. Par nature, le tirage au sort suppose une égalité des chances pour ceux qui s’y présentent.

Les Athéniens ne croient donc pas à l’égalité de nature selon laquelle les citoyens seraient égaux à tous points de vue. Ils savent pertinemment que la politique met en compétition les individus les plus ambitieux. Ce qui compte, c’est qu’aucun ne soit avantagé par rapport aux autres, qu’ils démarrent tous sur la même ligne, comme dans une compétition sportive.

Quand ils tirent au sort, les Athéniens ont conscience que la charge peut échouer à un citoyen dont le talent pour l’administration est inexistant. Ils sont prêts à prendre ce risque, car le tirage au sort a d’autres vertus : lutter contre la corruption, diluer le pouvoir entre de nombreuses mains, et protéger les intérêts du peuple.

Enfin, les Athéniens ont à cœur de faire respecter l’égalité des citoyens devant la loi, qu’ils soient riches ou pauvres. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’État de droit. En revanche, cette égalité n’est pas universelle, car seule une petite fraction de la population est dotée de la citoyenneté et les femmes ne jouissent pas de droits civiques.

Conclusion

Les débats sur la démocratie sont très nourris au sein de la société athénienne. Les philosophes y sont majoritairement opposés, préférant un régime utopique où la cité est gouvernée par un roi-philosophe. Mais beaucoup d’orateurs défendent la démocratie, notamment parce qu’elle est très populaire au sein du petit peuple. Ces discussions remettent régulièrement en question le régime athénien et le font évoluer à travers les siècles.

Les Athéniens sont si attachés à la démocratie qu’ils l’intègrent à leur folklore religieux. Ainsi, Démokratia, la déesse de la démocratie, devient un objet de culte, de même pour Éleuthéria (la liberté).

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 92-114)

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