Un contexte de crise
L’Islande, petit pays de 360 000 habitants (équivalent au département des Vosges), subit de plein fouet la crise financière de 2008. En effet, les trois banques privées du pays détenait plus de 10 fois le PIB de l’Islande dans leur bilan ; lorsqu’elles ne parvinrent plus à se refinancer sur les marchés, l’État fut contraint de les nationaliser pour éviter un effondrement du système bancaire islandais.
Cette situation entraîne une dépréciation de la couronne islandaise de 50% par rapport à l’euro ainsi que de nombreux licenciements dans le secteur bancaire et dans toute l’économie islandaise. Icesave, une filiale d’une de ces banques, détenait l’épargne de résidents du Royaume-Uni et des Pays-bas ; ces deux gouvernements exigent un remboursement des sommes aux épargnants, mais l’Islande choisit de rembourser les islandais en premier et n’est pas en mesure d’honorer sa dette (8 milliards de $ sont exigés, soit environ 60% du PIB de l’Islande).
Le système politique islandais est organisé sous forme de démocratie parlementaire. Dans cette crise, le gouvernement essaye de trouver des modalités de remboursement, mais au vu des sommes colossales en jeu, le Président s’en remet par deux fois au référendum des citoyens islandais (2010 et 2011), chacun se soldant par un refus de rembourser.
La révolution des casseroles (2008 – 2009)
Les islandais ne restent pas impassibles dans cette crise et organisent une série de manifestation en octobre 2008 pour exiger la démission du directeur de la banque centrale. Les islandais se munissent d’instruments de cuisine pour se faire entendre devant l’Althing (le parlement islandais), d’où le nom du mouvement. Ils s’y réunissent tous les samedis pendant plusieurs mois.
Le premier ministre (parti de droite) démissionne en janvier 2009, alors que la révolution prend de l’ampleur. Il est remplacé par une premier ministre à la tête d’une coalition de gauche ayant soutenu les manifestations. Ce gouvernement provisoire est confirmé par des élections législatives. Son programme inclut alors l’organisation d’une assemblée constituante.
En novembre 2009, 1500 personnes se réunissent en assemblée publique afin de dégager les orientations de la nouvelle constitution : séparation stricte des pouvoirs, référendum, et responsabilisation de l’exécutif.
L’assemblée constituante (2010 – 2011)
La constitution islandaise n’étant qu’un simple « copier-coller » de la constitution danoise, réalisé en 1944, il était temps d’en faire la révision. La coalition vote une loi constitutionnelle en juin 2010 qui fixe les règles dans lesquelles doit se dérouler l’assemblée constituante.
Celle-ci a pour mission d’amender la constitution de 1944 sur les points suivants :
- Les concepts fondamentaux de la constitution islandaise
- L’organisation des pouvoirs exécutif et législatif
- Le rôle du président de la République
- L’indépendance du pouvoir judiciaire et la surveillance des autres pouvoirs étatiques
- L’organisation des élections présidentielle et législatives
- La participation des citoyens au processus démocratique et les modalités référendaires
- Le transfert des pouvoirs souverains aux organisations internationales et la conduite des affaires étrangères
- Les affaires environnementales

En novembre 2010, un tirage au sort a lieu en Islande afin de sélectionner 950 citoyens. Réunis au sein d’un Forum national, ils réalisent un cahier des charges de la nouvelle constitution. Ce travail a lieu dans un complexe sportif sur une durée d’une journée.
Un comité constitutionnel de 7 personnes est également créé afin de réaliser une étude préparatoire (700 pages) à destination de l’assemblée constituante.
L’élection des 25 membres de l’Assemblée constituante a lieu fin novembre 2010. Pour pouvoir se présenter, il faut le soutien de 30 citoyens, ne pas être un élu local, et faire partie des 950 tirés au sort du Forum national. Au total, 522 candidats se présentent. L’élection est néanmoins invalidée en janvier 2011 par la Cour suprême à la suite de plaintes de l’ancien parti au pouvoir qui dénonce des « malversations » dans l’organisation des élections (les isoloirs n’auraient pas permis de garantir la confidentialité du vote). Ce motif douteux a été élaboré par une Cour suprême dont 8 des 9 membres ont été nommés par l’ancien parti au pouvoir.
En mars 2011, pour parer à ce blocage juridique, l’Althing décide de confier aux 25 représentants élus la charge de produire des recommandations pour une nouvelle constitution, au sein d’un Conseil constitutionnel (qui remplace l’Assemblée constituante). Les travaux durent 4 mois au cours desquels le Conseil a recours a des dispositifs participatifs pour recueillir l’avis des citoyens sur certains sujets : la wiki-constitution. 370 propositions d’amendement ont ainsi été proposées par ce biais, discutées par les conseillers constitutionnels sur Youtube et Facebook.
Le projet de constitution comporte 114 articles et est adoptée à l’unanimité par le Conseil constitutionnel. Il prévoit notamment un référendum d’initiative citoyenne qui peut être organisé dès lors que 10% des citoyens l’approuvent, il vise à proposer de nouvelles lois à l’Althing ou bien à invalider des lois votées par celui-ci. Toute révision constitutionnelle doit également passer par référendum.
L’assassinat parlementaire (2012 – 2013)
Après des tergiversations liées au mécontentement de la classe politique (notamment le parti du Président au pouvoir qui est à l’origine des scandales financiers et ne souhaite pas que cette révision aboutisse), un référendum est finalement organisé en octobre 2011 afin de soumettre le projet de constitution au peuple.
En dépit d’une faible participation (49%), 66% des islandais approuvent le projet constitutionnel.
Toutefois, pour être validé, le projet doit être approuvé par deux législatures consécutives (la première étant automatiquement dissoute dès son vote sur le projet constitutionnel). Or, l’Althing ne parvient pas à voter en raison de l’obstruction des partis de l’opposition qui souhaitent maintenir le statu quo. Même si elle est majoritaire, la coalition hésite à voter pour la révision constitutionnelle, sachant que les partis de l’opposition remontent fortement dans les sondages d’opinion, ce qui risque de leur faire perdre des sièges en cas de dissolution-réélection. Des députés demandent à la Commission de Venise (organe consultatif européen en droit constitutionnel) d’émettre un avis sur le projet.
Après 3 mois de recherche, la Commission de Venise rend son rapport en mars 2013 qui, après quelques éloges sur le processus constituant, alerte sur l’incohérence de certains articles et sur l’instabilité politique qui découlerait de leur application. Elle préconise de limiter la modification de la constitution au processus de révision constitutionnelle qui est trop complexe (nécessite l’accord de deux législatures successives).
Cet avis extérieur donne un fabuleux prétexte aux parlementaires pour abandonner les discussions sur le projet. Finalement, les élections législatives ont lieu en avril 2013 et la coalition à l’origine de la réforme constitutionnelle perd sa majorité à l’Althing, ce qui enterre définitivement l’idée d’adopter une nouvelle constitution.
Sources
Crise financière de 2008 en Islande – Wikipédia
Projet de constitution du 29 juillet 2011
Commission de Venise – Avis sur le projet de nouvelle constitution islandaise – mars 2013
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