Le modèle du Tribunat

Introduction

Avant le XVIIIe siècle, les préoccupations des républiques (Florence, Venise, Rome, etc.) consistaient essentiellement à empêcher les citoyens les plus riches d’accaparer durablement le pouvoir. Ces élites financières constituaient la principale menace à la stabilité des institutions républicaines, d’où l’introduction des procédures d’élection et de tirage au sort.

À l’inverse, dans nos démocraties modernes, notamment aux États-Unis, tout semble organisé de telle manière que le pouvoir soit durablement occupé par une élite sociale, considérant que la menace vient davantage du peuple pauvre et peu éduqué que d’elle-même. Au-delà des principes constitutionnels, l’argent est plus important que les votes et les ressources plus importantes que les droits.

Dans cet article, l’auteur s’inspire des Républiques italiennes pour essayer de réformer le fonctionnement de la démocratie américaine.

Typologie des régimes politiques

Tirage au sort et élection ont chacun leur propre vertu. Le premier permet de distribuer les charges de manière égalitaire entre tous les citoyens, et la seconde permet de placer des candidats compétents au pouvoir. Cependant, si la vertu du tirage au sort est mathématiquement vérifiable, celle de l’élection ne l’est pas : on ne peut pas savoir si un élu est véritablement compétent au poste où on l’a nommé. La seule chose dont on est sûr, c’est sa compétence à se faire élire.

L’auteur distingue cinq types de régimes politiques en fonction de la manière dont le tirage au sort et l’élection sont combinés :

  • La démocratie est un régime dans lequel les charges de magistrat (les postes à responsabilité) sont directement attribuées par tirage au sort, sans passer par l’élection. Il s’agit d’une référence à la démocratie athénienne qui est très différente de nos systèmes démocratiques modernes.
  • La république populaire correspond à un régime où les magistrats sont nommés en deux étapes. Dans un premier temps, un comité tiré au sort est constitué afin de sélectionner des candidats, puis ces candidats sont élus par la population ou tirés au sort pour les fonctions à pourvoir. Le comité peut aussi être élu, mais dans ce cas les candidats sont nécessairement tirés au sort.
  • La république oligarchique se rapporte à un régime dans lequel un comité est élu afin de choisir les candidats à présenter aux élections générales.
  • La république est un régime dans lequel les candidats sont tirés au sort avant d’être élus par la population.
  • L’oligarchie correspond à un régime où un petit groupe au pouvoir choisit la liste des candidats devant être élus ou tirés au sort, il s’agit typiquement du régime utilisé par Venise et Florence.

Cette typologie peut être résumée dans le tableau suivant :

 Qui choisit les candidats ?
Tirage au sortComité tiré au sortComité éluGroupe au pouvoir
Comment sont sélectionnés les magistrats parmi les candidats ?Tirage au sortDémocratieRépublique populaireRépublique populaireOligarchie
ÉlectionRépubliqueRépublique populaireRépublique oligarchiqueOligarchie

La république est l’option qui semble la plus prometteuse, défendue par Aristote et vantée d’être le régime le plus stable : d’une part le tirage au sort permet à chaque citoyen d’avoir une véritable chance d’être sur la liste des candidats à l’élection, et d’autre part les riches ont tout de même plus de chances d’être élus que les autres (car ils peuvent faire campagne). Ainsi, la république est à la fois démocratique et aristocratique.

Cette typologie, inspirée des Républiques italiennes, met en exergue le fait que nos démocraties modernes manquent cruellement d’outils extra-électoraux pour contrôler les élus et qu’aucune distinction n’est pensée au niveau institutionnel entre les citoyens les plus riches et le reste des citoyens.

Le modèle

L’auteur s’inspire tout particulièrement du tribunat de la plèbe, une institution de la République romaine qui permettait aux plébéiens d’élire des représentants afin de défendre leurs intérêts contre ceux du Sénat, alors composé de riches propriétaires terriens. Les tribuns avaient un statut très protégé par la République, qui empêchait même que les sénateurs puissent les toucher physiquement.

Composition

Pour contrebalancer le pouvoir des élus, l’auteur propose la création d’un tribunat de 51 citoyens tirés au sort parmi ceux dont les revenus et/ou le patrimoine sont inférieurs à un certain seuil de richesse (par exemple, il est possible d’écarter les 10 % les plus riches de la procédure). Ainsi, le tribunat n’est pas représentatif de l’ensemble de la population, mais uniquement des « non-riches ». De plus, toute personne ayant accompli au moins deux mandats d’élu est inéligible au tirage au sort.

Le mandat des tribuns dure un an. Ils sont payés autant que leurs homologues élus et leur retour à l’emploi est garanti par l’État. Pour maximiser le taux de participation, on peut aussi leur accorder d’autres avantages, tels qu’une exonération totale d’impôt pendant un an ou encore la prise en charge des frais d’université de leurs enfants. En outre, les citoyens doivent être âgés d’au moins 25 ans pour être éligibles au tirage au sort.

Rôles

Le tribunat travaille six heures par jour, cinq jours par semaine à passer en revue les projets et propositions de loi élaborés par le gouvernement et le Parlement. Ils peuvent, pour ce faire, recourir à des experts et mener des auditions publiques auprès de membres de l’Administration.

Leur principal pouvoir consiste à exercer un droit de veto sur toute décision prise par le Parlement, le gouvernement ou la Cour suprême. Mais ils ne peuvent apposer leur veto qu’une seule fois au cours de leur mandat pour chacune de ces institutions. En cas de veto, l’institution concernée ne peut pas prendre de décision similaire dans un délai d’un an.

Au cours de leur mandat, les tribuns peuvent demander une seule fois de convoquer un referendum sur n’importe quel sujet de leur choix. Le cas échéant, le Tribunat est chargé de nommer les différents experts qui devront intervenir lors d’un débat public précédant le referendum, toute campagne référendaire étant interdite.

Le Tribunat peut, une seule fois par an, initier une procédure d’impeachment (révocation) à l’encontre d’un membre de l’exécutif, d’un juge suprême ou d’un fonctionnaire.

Conclusion

La proposition de McCormick est assez audacieuse et originale en ce qu’elle choisit délibérément de créer une distinction entre les citoyens riches et non-riches. Une idée contraire au principe d’égalité qui stipule que chaque citoyen doit avoir les mêmes droits et devoirs que son prochain, indépendamment de son niveau de richesse.

Reconnaître ce double statut de citoyenneté conduit aussi à reconnaître officiellement que les élus appartiennent à la catégorie des citoyens les plus riches, puisque leur pouvoir doit être contrebalancé par une institution composée de non-riches. Cette distinction était au cœur des républiques italiennes pour assurer la stabilité, mais elle a totalement disparu de nos systèmes modernes. On peut se demander pourquoi.

Si le concept paraît intéressant en théorie, on imagine qu’il se heurtera probablement à une très forte résistance en pratique, car on le considérera à coup sûr comme « anti-démocratique » en vertu de sa dimension inégalitaire. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ce Tribunat n’est qu’une institution de contre-pouvoir aux prérogatives assez limitées (quelques vetos par an).

Source

McCORMICK – Contain the wealthy and patrol the magistrates, restoring elite accountability to populair government (2006)

Une réflexion sur “Le modèle du Tribunat

  1. Rien qu’au plan législatif, il n’y a rien qui justifie de requalifier la stochocratie en démocratie. / En stochocratie, les lois sont faites par des mandataires tirés au sort qui font ce qu’ils veulent durant leur mandat.

    En démocratie semi-directe, les lois sont votées par des législateurs élus et révocables par référendum ou directement par le peuple par la voie des référendums d’initiative citoyenne. / On se rappellera que l’Athènes antiques n’étaient pas gouvernés par des stochocrates mais combinait démocratie directe, élection des mandataires supérieur et tirage au sort des candidats aux mandats mineurs. Se focaliser sur la dose de stochocratie injecté dans le système athénien en faisant abstraction de tout le reste ne fera pas de l’Athènes antique une stochocratie et ne suffira à démontrer le bien fondé du tirage au sort. / Par ailleurs, clamer arbitrairement que le tirage au sort est plus égalitaire que l’élection revient à assimiler l’égalité à une fin plutôt qu’un moyen. / Concernant le concept de tribunat tirée au sort, la Suisse démontre que le peuple, investi de ses pouvoirs référendaires, est un tribunat de McCormick

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