Real Talk, un outil participatif fondé sur le dialogue

Introduction

Nos démocraties représentatives ont parfois du mal à créer un véritable débat entre les courants politiques qui animent les citoyens. Les élections, par exemple, ne parviennent pas à créer ce cadre, car l’enjeu est avant tout de gagner plutôt que de discuter. Les pouvoirs publics tentent cependant de mettre en œuvre divers processus participatifs afin de recueillir l’opinion des citoyens : sondages, consultations, assises, etc. Mais ces dispositifs servent davantage à informer les gouvernants qu’à créer un dialogue entre les forces politiques.

Les auteurs de l’article (voir source) cherchent à combler ce manque de débat démocratique en utilisant une nouvelle méthode. Il s’agit non seulement de faciliter les discussions individuelles entre citoyens, mais aussi de mettre en évidence les tendances de fond et les propositions politiques sous-jacentes au sein d’un groupe.

L’expérience Real Talk a été lancée dans la ville de Boston lors des élections municipales de 2021 auprès de 300 participants.

Le fonctionnement de Real Talk

Le principe

Les participants sont invités à s’exprimer sous forme de dialogue, ce qui diffère radicalement des consultations publiques traditionnelles où les citoyens se contentent de rédiger des doléances et de partager leur ressenti, souvent de manière virulente et peu constructive. Ici, les participants discutent entre eux, à l’oral. Ce mode de communication encourage les participants à se présenter, à parler de leurs problèmes, ce qui suscite généralement l’empathie de leurs pairs et permet une discussion saine et apaisée.

Les groupes de discussion vont de quatre à huit personnes et peuvent se tenir n’importe où (dans une maison, ou bien dans un conseil de quartier par exemple), tant qu’elles sont enregistrées. Certaines discussions ont eu lieu de vive voix, alors que d’autres se déroulent sur Zoom, notamment pour mettre en relation des personnes qui viennent de milieux différents.

Les discussions sont animées par des facilitateurs qui ont accès à un guide qui comprend de nombreuses questions à poser aux participants afin de générer des interactions. Plusieurs extraits de ces discussions sont publiés sur le site internet de l’expérience afin d’illustrer la pluralité des points de vue sur chaque sujet. Il faut noter que la publication de ces extraits nécessite une vérification humaine, car certains participants, entraînés par l’intensité de la discussion, sont amenés à révéler des informations compromettantes.

L’organisation

L’équipe qui a organisé cette expérience n’était pas uniquement composée d’universitaires, mais aussi de membres clefs des communautés locales. De cette manière, il était plus aisé d’avoir accès à un large panel et d’obtenir la confiance des participants, ce qui est particulièrement important sachant que les conversations sont enregistrées.

La méthode de codification

Une fois les discussions terminées, tous les fichiers audios ont été transmis à LVN, une IA spécialisée dans la transcription et l’analyse conversationnelle. Cette IA met en évidence un ensemble de mots clefs qui reviennent de manière récurrente dans les dialogues, puis les chercheurs rangent ces mots clefs dans des thèmes et sous-thèmes spécifiques. En l’occurrence, 56 sous-thèmes répartis dans 10 thèmes que sont :

  • Institutions
  • Logement
  • Inégalités
  • Santé
  • Sécurité
  • Économie
  • Éducation
  • Communauté
  • Urbanisme

Cette tâche de codification a été particulièrement fastidieuse, avec quatre itérations successives, de manière à obtenir l’assentiment de tous les membres du groupe de recherche. Une fois les thèmes et sous-thèmes définis, ils ont pu être associés aux multiples lignes de dialogue enregistrées.

En plus de cette classification thématique, les chercheurs ont aussi voulu mettre en avant la diversité des émotions éprouvées par les participants lors des discussions. Parmi ces sentiments, on retrouve notamment : l’espoir, le désespoir, l’injustice, l’appartenance, la peur, la frustration, l’impression de ne pas être entendu, etc.

Enfin, les chercheurs ont analysé la manière dont les participants percevaient la résolution des problèmes qu’ils ont eux-mêmes mis en évidence, en les classant dans trois catégories : « je réalise des actions pour résoudre ces problèmes », « personne ne cherche à résoudre ces problèmes », et « les élus devraient résoudre ces problèmes ».

Une fois toutes ces étapes préparatoires achevées, les chercheurs ont travaillé à la mise en ligne de leurs résultats, en proposant des résumés des différents thèmes ainsi que l’accès à un certain nombre de données brutes. Ce travail a aussi été fastidieux, car la rédaction de ces résumés thématiques n’a pas toujours fait l’unanimité parmi les chercheurs et les membres de communautés inclus dans le projet.

Conclusion

Ce projet n’étant pas initié par les pouvoirs publics, mais par des universitaires, il n’a pas eu d’impact concret sur la politique locale, sinon que les candidats à la mairie de Boston ont dû réagir à certains extraits. Les chercheurs espèrent cependant que ce panorama des attentes des communautés de Boston permettra aux élus d’agir en conséquence.

Les chercheurs considèrent que cet usage du support audio comme base de travail permet de mieux percevoir les sentiments des participants, ce qui est rarement pris en compte dans les consultations traditionnelles. En outre, l’usage de l’audio permet aussi d’offrir un support plus convivial lors de la présentation des données au grand public.

En outre, il faut souligner que cette méthode nécessite un travail très important de la part des organisateurs. La phase de codification ne répond pas à une méthodologie précise, mais au ressenti subjectif des organisateurs et à ce qui leur semble juste. Il ne s’agit pas d’un reflet objectif et représentatif des populations interrogées.

On peut aussi se demander si cette méthode présente un véritable intérêt en termes d’impacts politiques par rapport aux méthodes de consultation traditionnelles. Les pouvoirs publics seront-ils plus réceptifs aux résultats de cette approche basée sur le dialogue et l’expression des sentiments plutôt qu’aux traditionnels sondages d’opinion ? Car si les sondages ont l’inconvénient de ne pas permettre aux citoyens d’exprimer pleinement leur pensée, ils ont l’avantage de donner un aperçu représentatif de ce que pense l’ensemble de la population à un instant t et d’être bien moins coûteux à mettre en œuvre.

Source

HUGHES, McDOWEL, DIMITRAKOPOULOS, ROY – Digital Civic Sensemaking: Computer-Supported Participatory Sensemaking of Nuanced, Experience-Based Dialogue

Real Talk for change (expérience de Boston)

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