Un contexte institutionnel complexe
La Belgique fonctionne aujourd’hui comme un État fédéral dans un régime parlementaire. Il existe d’une part une autorité fédérale centralisée, et d’autre part des autorités fédérées qui se répartissent sur deux dimensions : les régions géographiques (Flandres, Wallonie, et Bruxelles-Capitale), et les communautés linguistiques (flamande, française, et germanophone).

Il existe un principe d’équipollence des normes, c’est-à-dire que les lois adoptées au niveau des entités fédérées ont autant de poids que celles adoptées au niveau fédéral : il n’y a pas de hiérarchie des normes, ce qui confère donc un pouvoir important aux autorités fédérées. En principe, toutefois, l’autorité fédérale a des compétences distinctes de celles de autorités fédérées.
Ainsi, les deux institutions ayant adopté le concept de commissions délibératives sont :
- Le Parlement de la région de Bruxelles-Capitale (entité géographique) – 89 députés élus pour 5 ans
- Le Parlement francophone bruxellois (entité communautaire) – 72 députés (élus francophones du Parlement de la région de Bruxelles-Capitale).
Par ailleurs, le Parlement de la communauté germanophone de Belgique a également institutionnalisé le tirage au sort avec le concept de Bürgerdialog.
Le principe des commissions délibératives est de réunir des citoyens tirés au sort et des élus afin d’élaborer des recommandations de manière institutionnelle aux différents parlements. À ce jour (novembre 2021), trois commissions ont été clôturées ou sont planifiées (deux pour le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, et une pour le Parlement francophone bruxellois).
Fonctionnement des commissions délibératives

Le Comité d’accompagnement
Le Comité est composé de 4 experts permanents nommés pour 2 ans par le Parlement sur la base de leur expertise en matière de démocratie délibérative et de participation citoyenne. Le Comité compte également 2 fonctionnaires qui assurent le rôle d’interlocuteur auprès du Parlement, et 2 experts qui sont nommés pour la durée d’une commission délibérative, en fonction de son thème.
Le Comité définit la méthodologie du processus délibératif, mais il ne se charge pas lui-même d’organiser les délibérations, c’est un prestataire externe choisi dans le cadre d’un marché public qui s’en occupe.
Le Comité a la faculté de modifier les critères qui entrent en compte dans la stratification du tirage au sort des membres de la Commission délibérative. Ces critères peuvent notamment être sociodémographiques, politiques, et comportementaux.
Le Comité est chargé de présélectionner les personnes-ressources qui seront présentées aux membres de la Commission délibérative. En outre, le Comité peut à n’importe quel moment de la procédure solliciter l’intervention d’une personne-ressource pour éclairer un aspect de la thématique abordée.
Les membres du Comité sont indemnisés de la même manière que les citoyens des Commissions délibératives.
Les Suggestions citoyennes
Tout citoyen de plus de 16 ans peut émettre une suggestion citoyenne afin de constituer une Commission délibérative. Elle sera étudiée par le Parlement si elle remplit les conditions suivantes :
- Être signée par plus de 1000 citoyens de plus de 16 ans
- Ne pas être offensante, grossière ou contraire aux droits et libertés fondamentales
- Être dans le champ de compétence du Parlement
- Être formulée de manière à inciter le débat, il ne doit pas s’agir d’une question fermée sur un sujet très spécifique
Si les 1000 signatures ne sont pas obtenues, mais que toutes les autres conditions sont réunies, le Parlement peut inscrire la suggestion sur son site internet afin de lui donner davantage de visibilité.
Les parlementaires peuvent également déposer une suggestion citoyenne dans les mêmes conditions.
Le Comité d’accompagnement peut reformuler les suggestions citoyennes dans les cas suivants :
- Élargir ou au contraire restreindre la problématique
- Clarifier et abréger la suggestion
- Rendre la formulation objective (ne pas inciter vers une réponse prédéfinie)
- Intégrer un énoncé explicatif avant la problématique
Le Parlement se prononce ensuite sur la constitution d’une Commission délibérative. Il peut refuser notamment dans les cas suivants : trop de Commissions sont à l’agenda, étude en cours de publication, etc. Par ailleurs, le refus doit être une exception et être expressément motivé par le Parlement. Les suggestions citoyennes non retenues peuvent être réintroduites dans un délais de 12 mois.
Les Commissions délibératives
Constitution d’une commission
En tout premier lieu, lorsque le Parlement décide de constituer une Commission délibérative, des actions médiatiques doivent être entreprises afin de diffuser l’information auprès de l’ensemble des citoyens (un citoyen qui connaît le processus a 3 fois plus de chance d’accepter son mandat).
Le Comité d’accompagnement détermine les caractéristiques de la Commission délibérative à constituer, à savoir :
- La durée des délibérations (4 jours minimum)
- L’agenda des délibérations, bien que celui-ci puisse être ultérieurement modifié
- Les critères de stratification du tirage au sort
- La répartition des tâches entre le Comité, les fonctionnaires du Parlement, et le prestataire externe
La Commissions est composée de 45 citoyens tirés au sort et de 15 parlementaires.
Le tirage au sort des 45 citoyens s’effectue en deux temps. Tout d’abord, 10 000 citoyens (nombre qui peut varier en fonction du taux de réponse de la population) sont tirés au sort et reçoivent une lettre d’invitation pour participer à un second tirage au sort. Cette lettre précise notamment le cadre et l’objectif des Commissions délibératives. La lettre est signée par le Président du Parlement.
Les citoyens intéressés remplissent un formulaire (dont le contenu dépend des critères sociodémographiques, politiques et comportementaux retenus par le Comité d’accompagnement) qu’ils transmettent sur une plateforme web (ou par téléphone).
Un second tirage au sort a lieu parmi les volontaires. Cette fois-ci, il est stratifié, c’est-à-dire qu’il cherche à accroître la représentativité de l’échantillon en rapprochant certains critères des spastiques nationales. Outre les critères spécifiques qui peuvent être définis par le Comité d’accompagnement, les 5 critères suivants sont systématiquement utilisés :
- Le genre
- L’âge
- La répartition géographique
- La langue
- Le niveau de formation
En parallèle des 45 citoyens de la Commission sélectionnés de cette manière, 45 citoyens suppléants sont aussi sélectionnés de manière à pallier aux empêchements des premiers. À ces citoyens se rajoutent 15 parlementaires (issus de la commission parlementaire relative à la thématique abordée) de manière à former une Commission de 60 membres. L’inclusion de parlementaires permet d’améliorer le sentiment chez les tirés au sort que le processus « sert à quelque chose ».
À noter que les citoyens qui exercent certaines fonctions législatives et exécutives sont exclus d’office de la procédure de tirage au sort. Les conflits d’intérêt sont également étudiés auprès des 45 tirés au sort par le Comité d’Accompagnement, et le cas échéant, le Parlement se prononce sur l’exclusion du citoyen (qui est alors remplacé par son suppléant).
Toutes les informations concernant la procédure de sélection du second tirage au sort sont publiées sur une plateforme web.
Exemple de communication des caractéristiques du second tirage au sort pour la Commission délibérative relative à la 5G.
Réunion d’information
Une première réunion d’information est organisée dans les 15 jours du tirage au sort afin de traiter toutes les questions pratiques liées à l’organisation des travaux de la Commission (agenda, anonymat des citoyens, accompagnateurs pour les mineurs/handicapés, indisponibilités, etc.). Les personnes qui le souhaitent, et notamment les jeunes de 16 à 20 ans, peuvent bénéficier d’un accompagnement spécifique avant cette réunion.
Au cour de cette réunion est distribuée une fiche d’information rédigée par le Comité d’accompagnement qui synthétise les informations contextuelles les plus pertinentes sur la thématique abordée de manière objective (présentation de plusieurs points de vue opposés). Il s’agit notamment d’évoquer le contexte légal, politique, budgétaire, et international. Les parties prenantes disposent d’une section dédiée dans laquelle elles peuvent expliquer leur position par rapport à la problématique.
Exemple de fiche d'information pour la Commission délibérative sur le rôle des citoyens bruxellois en temps de crise.
Les membres de la Commission sont invités à répondre à trois questions à l’issue de la lecture de la fiche d’information :
- Quels sont les points les plus intéressants ?
- Quels sont les points qui nécessitent des éclaircissements ?
- Quelles sont les questions qui méritent d’être posées à des personnes-ressources ?
En outre, les membres de la Commission choisissent les personnes-ressources sur lesquelles elles comptent s’appuyer, consécutivement à leur audition.
Réunions de travail et délibérations
Une réunion de travail ne peut se tenir si plus de 15 citoyens manquent à l’appel (les citoyens ont disposé de l’agenda précis avant de se porter volontaire, et se sont engagés à être présents). Auquel cas, la réunion est reportée à une date ultérieure. Après la première réunion d’information, les citoyens ne peuvent plus être remplacés par leur suppléant.
Avant chaque réunion de travail, les membres qui le souhaitent peuvent participer à une séance de préparation spécifique, organisée par le prestataire externe.
Au début des premières réunions de travail a lieu une phase informative, les personnes-ressources choisies sont auditionnées dans l’hémicycle du Parlement : elles se présentent et font part de leurs apports sur la thématique de la Commission. Toutes ces informations sont retransmises au grand public en flux vidéo et en fiches informatives.
Ensuite, vient la phase délibérative où les 60 membres de la Commission sont répartis en tables de 5 à 10 participants disposant chacune d’un facilitateur. Il est également prévu que des participants puissent discuter à deux, voire réfléchir seuls en fonction de leur aisance à prendre la parole. Cette phase se déroule dans la salle des Commissions du Parlement. Elle est non publique pour permettre aux participants de s’exprimer avec le plus de liberté possible. Des mises en commun ont lieu à intervalle régulier afin de favoriser le partage des idées. Un « buddy system » qui consiste à créer des binômes est mis en place afin de s’assurer que chacun se sente à l’aise dans le processus.
Deux rapporteurs (citoyens volontaires tirés au sort lors de la première réunion d’information) rédigent une synthèse des recommandations élaborées par le groupe. Ils sont assistés par le prestataire externe dans cette tâche. En fin de réunion, ces recommandations sont votées par l’ensemble des membres de la Commission, les propositions qui récoltent plus de 80% d’approbation sont spécifiquement mises en avant dans le rendu final qui est ensuite transmis à la commission parlementaire compétente ainsi qu’au grand public lors d’une conférence de presse. Les recommandations ne doivent pas être trop précises (pour laisser une marge de manœuvre au législateur), et doivent si possible inclure des objectifs mesurables qui permettront aux citoyens de suivre l’évolution du projet au cours du temps.
Exemple de rapport final pour la Commission délibérative sur le rôle des citoyens bruxellois en temps de crise.
Suivi des recommandations
De manière générale, la première cause de déception des participants à un processus délibératifs est l’absence d’effets de leurs recommandations. Dans le cas des Commissions délibératives, plusieurs dispositifs permettent un suivi dans le temps de ces recommandations :
- Les Commissions sont permanentes et intégrées dans le fonctionnement courant du Parlement, ce qui permet un suivi régulier des recommandations ainsi élaborées.
- Le fait que des élus fassent partie des Commissions permet à ceux-ci de se rendre responsables de la mise en œuvre des recommandations.
- Dans les 6 mois qui suivent la fin des délibérations, la commission parlementaire compétente rend un rapport dans lequel elle liste les recommandations qui seront suivies et celles qui seront abandonnées, en justifiant ces choix.
- À l’issue de ce rapport, la commission parlementaire auditionne les citoyens qui étaient membre de la Commission délibérative afin de discuter des modalités de suivi des recommandations retenues. Cet échange est public et relayé par les médias.
- Le ministre compétent dispose de 6 mois pour introduire un projet de loi relatif aux recommandations retenues par la commission parlementaire.
- Tous les 2 ans, un événement est organisé au Parlement, réunissant tous les membres de toutes les Commissions délibératives des 2 dernières années afin d’échanger autour du rapport d’évaluation bisannuelle du Comité d’accompagnement qui porte sur le processus délibératif des Commissions à la lumière des critères définis par l’OCDE.
Généralités
Dans leur rapport avec les médias, les membres de la Commission s’engagent à mettre en avant la solution retenue par le groupe plutôt que leur point de vue individuel.
Les tirés au sort sont indemnisés à hauteur de 35€ par jour et sont défrayés pour le transport.
Les travaux de la Commissions ont nécessairement lieu les week-end dans un objectif d’inclusion.
Le Comité de gouvernance
Composé du Président de la Commission délibérative (choisi par le Parlement), du garant du Parlement, d’un facilitateur, d’un représentant du prestataire externe et de 2 citoyens tirés au sort, le Comité de gouvernance se réunit à la fin de chaque réunion de travail afin d’évaluer la qualité des délibérations et les éventuels obstacles que la Commission a rencontré.
Le Comité peut suggérer des modifications du programme sur la base de ces constats.
Les personnes-ressources
Il s’agit des différents experts (académiciens, associatifs, experts du vécu, etc.) reconnus pour leur connaissance de la thématique d’une Commission délibérative qui sont présélectionnés par le Comité d’accompagnement, puis choisis par les membres de la Commission lors de la première réunion d’information sur la base des critères suivants :
- La diversité des profils : juridique, politique, universitaire, gouvernemental, expert du vécu, associatif, etc.
- Les éléments apportés : diagnostic de la situation actuelle, pistes pour le futur, témoignages personnels, etc.
- La diversité des positions sur le sujet
- L’expérience autour de la thématique
- La capacité d’exprimer leur point de vue
Les personnes-ressources peuvent être appelées à n’importe quel moment du processus par les membres de la Commission délibérative afin d’éclaircir un point particulier. En outre, ils se présentent lors de la première réunion d’information.
Les personnes-ressources sont défrayées pour le transport, et leur indemnité peut s’élever jusqu’à 200€ maximum.
Le prestataire externe
Il est choisit par le Parlement pour une durée de 2 ans via un appel d’offres. Son rôle est de coordonner l’organisation générale des Commissions, de préparer les différentes réunions, de les animer, de faciliter les délibérations, de concevoir et diffuser des fiches informatives.
Sources
Democratie.brussels : les commissions délibératives
Vade-mecum du groupe de travail « commissions délibératives » (Parlement francophone bruxellois)
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