Cet article est une synthèse et une traduction des travaux de Campbell Wallace qui préconise un modèle politique complet. Pour lui, les solutions hybrides telles que la Lotocratie de Guerrero sont intéressantes pour habituer les citoyens à l’usage du tirage au sort en politique, mais, à terme, il serait préférable de se départir entièrement de l’élection.

Les institutions nationales
Le Parlement
Le système politique préconisé par l’auteur s’apparente à une démocratie parlementaire. Ce Parlement est constitué de 500 députés tirés au sort pour une durée de 5 ans, dont la rotation a lieu par dixième tous les 6 mois. Ainsi, il y a toujours des membres séniors qui peuvent apprendre les rouages de l’institution aux nouveaux arrivants. De plus, chaque promotion de 50 députés suit une formation initiale de 6 mois au cours de laquelle elle observe les travaux parlementaires.
Le tirage au sort se base sur une liste publique de l’ensemble des citoyens sur laquelle chacun peut vérifier la présence de son nom. L’auteur préconise l’usage d’un dispositif physique pour effectuer le tirage au sort, ou bien d’un logiciel open-source. Les tirés au sort peuvent refuser leur mandat, néanmoins le salaire de la fonction est hissé à un niveau attractif afin de diminuer au maximum le taux de refus. Un citoyen ne peut pas être tiré au sort plus d’une fois pour l’ensemble des institutions de l’État.
Le Parlement se prononce sur tous les projets de loi. Les scrutins se tiennent à bulletin secret afin d’éviter toute tentative d’intimidation des parlementaires qui n’auraient pas voté comme convenu. De plus, il est défendu de révéler son vote ou d’essayer d’obtenir celui d’autres parlementaires. En outre, si les parlementaires ont l’obligation de voter et d’être présent à toutes les séances, il leur est toujours permis de voter blanc lors des scrutins. Les discours au sein de l’hémicycle sont rendus publics, mais selon un dispositif qui rend impossible l’identification du parlementaire qui s’exprime.
En pratique, le Parlement peut être divisé en plusieurs chambres de manière à favoriser la délibération entre ses membres. Mais, dans cette hypothèse, chaque chambre traiterait et voterait sur les mêmes sujets. Le scrutin final concaténerait donc les scrutins de chaque chambre.
À l’intérieur du Parlement, le Comité planificateur est composé de 10 membres dont le rôle consiste à définir l’ordre du jour de l’institution. Ses membres sont élus par les autres parlementaires parmi la promotion de 50 députés la plus ancienne (qui a donc 5 ans d’expérience au sein de l’hémicycle). L’ordre du jour n’est pas absolu, et le Parlement peut décider d’en modifier certains termes (au début de chaque séance).
Le Président du Parlement est tiré au sort chaque jour parmi la promotion de 50 députés la plus ancienne. Il s’assure que chacun puisse convenablement s’exprimer et qu’aucun parlementaire ne monopolise la parole. Il a le pouvoir de mettre fin à un discours et éventuellement de faire sortir un parlementaire de l’hémicycle. En revanche, il perd son droit de vote en tant que parlementaire et ne peut exprimer ses opinions sur le sujet de discussion.
Le Comité de la participation
Composé de 15 membres tirés au sort dans les mêmes conditions que les parlementaires, le Comité de la participation administre une plate-forme web sur laquelle tout citoyen peut déposer une proposition de loi. Son rôle consiste à étudier et retravailler les propositions qui obtiennent un minimum de signatures de la part d’autres citoyens. Cette phase de revue permet notamment de vérifier qu’il n’y a pas de redondance législative. Le projet de loi, lorsqu’il a été retravaillé, est soumis à la validation de son auteur d’origine, et est mis à l’ordre du jour par le Comité planificateur. En première séance, le Parlement décide soit de voter directement sur le projet, soit de le transmettre à un Comité ad hoc (voir plus bas).
Pour être acceptées par le Comité, les propositions doivent être :
- Claires et non équivoques
- Précises dans les mesures à mettre en œuvre dans le temps et l’espace
- Originales, c’est-à-dire ne pas être la copie d’une autre proposition, notamment d’une proposition qui a déjà été rejetée par le Parlement (dans un délai déterminé par celui-ci).
- Populaires (obtenir un minimum d’approbation des autres citoyens)
La Commission des rémunérations
La Commission est composée de 100 membres tirés au sort parmi l’ensemble de la population pour une durée de 5 ans, avec une rotation par cinquième tous les ans. Elle ne se réunit qu’une seule fois par an, le temps de réaliser ses travaux. Son rôle consiste à déterminer les conditions de travail des membres du Parlement et des différents comités : niveau de rémunération, avantages en nature, retraite, durée des mandats, etc.
Par souci d’indépendance, il n’est donc pas permis au Parlement de définir lui-même sa propre rémunération. La rémunération des membres de la Commission est quant à elle indexée à un indice fiable (le SMIC par exemple).
Les Comités thématiques
Ces Comités s’occupent chacun d’un thème législatif particulier : agriculture, santé, énergie, etc. Chacun est constitué de 15 membres nommés dans les mêmes conditions que les parlementaires. Pour chaque thème, des Sous-comités traitent un aspect plus précis de celui-ci ou bien à un échelon plus local. Le rôle de tous ces Comités est de prendre connaissance des problématiques actuelles de chaque secteur auprès d’experts, de fonctionnaires ministériels et de parties prenantes afin de produire des recommandations. Les travaux des Sous-comités sont ainsi transmis aux Comités thématiques qui en font la synthèse et les transmettent ensuite au Parlement sous forme de propositions de loi.
Les Comités ad hoc
Les propositions qui émanent du Comité de la participation engendrent la création d’un Comité ad hoc temporaire dont le seul objet est de produire une recommandation objective sur le projet envisagé. Ses 30 membres sont tirés au sort parmi l’ensemble des citoyens sans renouvellement ; leur nombre est défini par le Parlement (élevé pour les grands projets, et réduit pour les sujets mineurs).
Le Comité décide lui-même du temps nécessaire à allouer aux délibérations et, lorsqu’il a fini de rédiger ses recommandations, les transmet au Parlement. Celui-ci est libre d’en tenir compte ou non dans son vote sur le projet concerné.
Que ce soit les Comités thématiques ou les Comités ad hoc, leur objectif n’est pas de parvenir à un consensus mais de dégager plusieurs recommandations, certaines majoritaires, d’autres minoritaires.
L’Assemblée secondaire
Si, lors d’un scrutin du Parlement, un projet de loi obtient une approbation proche de la majorité absolue (entre 45 et 55% par exemple), le vote est invalidé et une Assemblée secondaire est convoquée. 1 000 citoyens sont tirés au sort (nombre défini par le Parlement, qui doit être plus élevé que 500) parmi l’ensemble des citoyens afin de délibérer sur l’adoption ou non du projet de loi.
Ce dispositif vise à combler le défaut de représentativité du Parlement qui, avec 500 membres, est exposé à une certaine marge d’erreur statistique. Ainsi, la légitimité du processus est renforcée.
Le pouvoir exécutif
L’organisation du pouvoir exécutif est déterminée par le Parlement : ministères, commissions, etc.
Chaque ministère est sous la supervision d’un Comité de contrôle composé de 10 citoyens tirés au sort dans les mêmes conditions que les parlementaires. Ces comités observent et rédigent des rapports objectifs sur le budget, le management et les responsabilités de chaque ministère, qu’ils envoient ensuite au Parlement. À tout moment, celui-ci peut décider de dissoudre un Comité de contrôle s’il s’avère incompétent dans cette tâche.
Les hauts fonctionnaires et les ministres sont recrutés par un Panel d’experts « indépendants », sous la supervision du Comité de contrôle associé. Les candidats refusés pourront faire appel de la décision du Panel auprès du Comité. Une fois en fonction, les ministres ne peuvent être révoqués que par le Parlement.
Le ministère des Affaires étrangères nomme parmi ses plus éminents ambassadeurs un Chancelier dont le rôle est purement diplomatique et cérémoniel, sans aucune fonction exécutive. Le Chancelier est directement placé sous la supervision du Parlement dont il reçoit ses instructions.
Le pouvoir judiciaire et la Constitution
Les parlementaires ne jouissent d’aucune immunité, en dehors des propos qu’ils pourraient tenir dans le cadre de leur fonction.
Le Parlement est souverain pour définir les règles de nomination des juges des différentes cours, mais ne peuvent eux-mêmes nommer les juges. Ainsi, ils pourraient être nommés pour une période déterminée et régulièrement remplacés.
En matière constitutionnelle, seul le Parlement est en capacité d’apprécier le respect ou non des principes constitutionnels. Ainsi, c’est au Parlement que les juges s’en remettent pour éventuellement remettre en cause une loi dont les effets sont contraires à la Constitution.
Les institutions locales
La hiérarchie gouvernementale reste la même : la Région, l’État, et la Fédération. Bien entendu, tous les pays n’ont pas les mêmes besoins, certains se contenteront d’un gouvernement régional (une nation insulaire par exemple) et d’autres auront besoin des trois (États-Unis). Le modèle décrit ci-dessus s’applique donc à chacun de ces échelons.
La question des litiges entre gouvernements régionaux par exemple peut être traitée de diverses manières :
- Par le pouvoir judiciaire de niveau supérieur
- Par le Parlement de niveau supérieur
- Par séance plénière des deux Parlements des gouvernements concernés
- Par la convocation d’une Assemblée secondaire parmi la population des deux États/Régions concernées.
La taille des Parlements locaux pourra être considérablement réduite pour des raison évidentes de coût, selon la population qu’ils représentent.
Conclusion
(( (Réflexions personnelles
- Le système ne tient pas compte de la complexité du langage juridique : du début à la fin, tous les textes sont rédigés par des citoyens tirés au sort qui n’ont aucune formation en droit. De plus, ce sont également eux qui sont tenus d’interpréter la Constitution.
- Le nombre d’assemblées citoyennes dans ce modèle laisse présager une forte lenteur législative, et peut-être un décalage entre l’urgence de certaines situations et la capacité de réaction du système.
- Le Parlement détient un nombre très important de prérogatives, il semble difficile d’imaginer qu’il pourra efficacement les mener à bien sans une certaine division du travail (peut-être en séparant le Parlement en plusieurs chambres indépendantes ?).