En France, quand on pense élection, on pense scrutin majoritaire à deux tours, car il est utilisé pour l’élection présidentielle et les législatives. Pourtant, le système électoral français est loin d’être la norme. Les autres pays utilisent des modes de scrutins parfois très différents. De plus, tous les systèmes de vote n’ont pas encore été trouvés, de nouveaux types de scrutin sont inventés chaque année et demandent à être expérimentés en conditions réelles.
- Les modes de scrutin
- Le scrutin majoritaire
- Le scrutin de Condorcet
- La méthode Borda
- Le vote à second tour instantané
- La méthode Bucklin
- Le vote par approbation
- Le vote par notation
- Le jugement majoritaire
- Les scrutins proportionnels de liste
- Le vote par approbation proportionnel
- Le vote unique transférable
- Les scrutins majoritaires plurinominaux
Cet article a pour but de faire un tour d’horizon des familles de scrutin et de recenser leurs principales caractéristiques : nature, qualités mathématiques et sensibilité au vote stratégique.
Uninominal ou plurinominal ?
Un scrutin a pour but d’élire soit une personne (scrutin uninominal), soit plusieurs (scrutin plurinominal).
Les scrutins uninominaux peuvent être utilisés dans une circonscription nationale (ex. : l’élection présidentielle) ou dans plusieurs circonscriptions (ex. : pour élire les 577 députés de l’Assemblée nationale, il y a 577 élections uninominales dans autant de circonscriptions).
De la même manière, les scrutins plurinominaux peuvent être organisés dans une circonscription nationale (ex. : l’élection des 79 eurodéputés en France), ou dans un petit nombre de circonscriptions régionales (ex. : au Portugal, les 230 députés sont élus dans 22 circonscriptions).
Il est aussi possible d’organiser des scrutins parallèles, c’est-à-dire de désigner une partie des représentants avec des scrutins uninominaux et une autre partie avec un ou plusieurs scrutins plurinominaux, comme c’est le cas pour les élections de la Chambre des députés en Italie.

Majoritaire ou proportionnel ?
Un scrutin plurinominal est dit « proportionnel » si les candidats élus correspondent aux préférences globales de la population. Par exemple, si 40% des citoyens sont en faveur du parti A, celui-ci doit obtenir plus ou moins 40% des sièges au Parlement. On parle alors de représentation proportionnelle.
À l’inverse, les scrutins majoritaires peuvent créer d’importantes distorsions entre la répartition des sièges au Parlement et les préférences des électeurs. On parle de scrutins « majoritaires », car ils ont généralement pour effet de donner la majorité des sièges à une seule formation politique. Dans le cas extrême des systèmes « winner-take-all » (notamment le vote multiple non transférable), le parti arrivé en tête du scrutin obtient presque toujours l’intégralité des sièges, l’opposition n’est donc même pas représentée.

Selon la loi de Duverger, les systèmes majoritaires ont tendance à créer des situations de bipartisme (la scène politique se divise en deux gros partis comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni), tandis que les systèmes proportionnels ont tendance à créer des situations de multipartisme (multitude de partis politiques, comme en Belgique par exemple).
Les scrutins peuvent être plus ou moins proportionnels. Certains indices permettent de mesurer le rapport entre la répartition des sièges et les préférences des électeurs. Quelques scrutins peuvent être qualifiés de « semi-proportionnels », car ils ne garantissent pas un niveau élevé de représentation proportionnelle.
Les scrutins majoritaires ont l’avantage de créer une majorité et donc de faciliter la formation d’un gouvernement au sortir de l’élection, tandis que les scrutins proportionnels, s’ils peuvent de temps en temps amener à des situations de blocage (difficulté à créer une majorité), sont plus représentatifs des préférences des électeurs et donc, dans un sens, plus démocratiques.
Les familles de scrutin

Au sein des scrutins uninominaux, on distingue les scrutins à choix unique (l’électeur ne peut voter que pour un candidat) des scrutins à préférences multiples (l’électeur donne sa préférence pour tous les candidats). Dans ce deuxième cas de figure, les préférences de l’électeur peuvent prendre la forme d’un classement (vote par classement) ou d’une évaluation de chaque candidat avec des mentions ou des notes (vote par valeurs). Au sein des votes par classement, on distingue ceux qui satisfont au critère de Condorcet (« si un candidat est préféré à tout autre par une majorité ou par une autre, il doit être élu ») des autres. Parmi les votes par valeurs, on sépare ceux qui sont basés sur la meilleure moyenne de ceux basés sur la meilleure médiane.
Au sein des scrutins plurinominaux, on distingue ceux dans lesquels l’électeur vote pour des listes de candidats de ceux où l’électeur vote directement pour des candidats. Les scrutins peuvent être par classement, par valeur ou à choix unique selon les méthodes.
Certaines familles de scrutin exigent des bulletins de vote plus ou moins difficiles à remplir. En effet, classer les candidats du plus au moins souhaitable demande beaucoup plus de réflexion que de simplement choisir le candidat que l’on préfère. De plus, certaines méthodes sont beaucoup plus difficiles à comprendre que d’autres pour le public. Or, si les électeurs ne comprennent pas la manière dont leurs dirigeants sont élus, la légitimité du scrutin peut s’en trouver compromise.
Les critères mathématiques
Les modes de scrutin peuvent être évalués à l’aune de nombreux critères logiques. Par exemple, le critère de résolvabilité est rempli lorsque les cas d’égalité sont très rares dans un scrutin. C’est une caractéristique qu’on est en droit d’attendre d’un « bon scrutin ». Le critère de participation, quant à lui, n’est pas rempli si donner une voix supplémentaire à un candidat a pour effet de le faire perdre (cela peut arriver dans certaines catégories de vote par classement).
Parmi la vingtaine de critères existants, on peut s’attarder sur deux d’entre eux qui ont des conséquences politiques notables lors des élections : l’indifférence aux options non pertinentes et aux clones.
L’indifférence aux options non pertinentes
Un mode de scrutin est indifférent aux options non pertinentes si l’ajout ou le retrait d’un petit candidat n’a aucune incidence sur le résultat des autres candidats. Par exemple, le scrutin majoritaire à deux tours ne satisfait pas à ce principe, car la présence de petits candidats au premier tour peut empêcher un candidat populaire de la même famille politique de parvenir au second tour.
L’indifférence aux clones
Ce critère est proche du précédent : l’ajout ou le retrait d’un candidat qui est similaire à un autre candidat ne doit pas changer les chances de gagner des autres candidats à la hausse ou à la baisse. Les scrutins majoritaires ne respectent pas ce principe, car l’ajout de clones divise les votes et augmente les chances des autres candidats d’être élus (c’est d’ailleurs pour cette raison que des primaires sont organisées au sein des partis politiques). La plupart des votes par classement ne respectent pas non plus ce critère, car ajouter des clones augmente les chances de gagner, les partis sont donc incités à présenter un maximum de candidats.
Le scrutin parfait ?
On pourrait espérer qu’un mode de scrutin réussisse à satisfaire tous les critères, cependant le scrutin mathématiquement parfait n’existe pas : dès qu’il y a plus de deux candidats à élire, le mode de scrutin choisi échoue nécessairement à certains critères. Cela a notamment été démontré pour les votes par classement dans le théorème d’impossibilité d’Arrow.
Toutefois, il ne faut pas trop s’attacher à ces critères. Ils relèvent d’une conception purement mathématique et ne mettent parfois en évidence des erreurs que pour des cas extrêmes qui ne sont pas susceptibles de se produire dans le cadre d’une élection. Il ne faut donc pas uniquement se reposer sur les critères mathématiques pour choisir un mode de scrutin.
Le vote stratégique
Le vote stratégique correspond à toutes les situations où les électeurs votent d’une manière contraire à leurs préférences dans le but d’en retirer un avantage.
Ce critère est difficile à évaluer, car il dépend des comportements des électeurs et des partis politiques. Tous les scrutins qui voient s’affronter au moins trois candidats peuvent être manipulés par le vote stratégique des électeurs (théorème de Gibbard), certains modèles y sont cependant plus sensibles que d’autres.
On peut recenser au moins quatre stratégies de vote qui entrent dans ce cadre :
Le vote utile est le plus connu en France, car il est intimement lié aux scrutins majoritaires. Aussi connu sous le nom de « la stratégie du moindre mal » en anglais, il consiste à voter pour un candidat qui n’est pas notre premier choix, mais qui a plus de chances de l’emporter que notre candidat « de cœur ».
L’enterrement (de burial en anglais) peut être utilisé dans les scrutins par classement. Il s’agit « d’enterrer » un candidat populaire en le plaçant en dernière position pour lui ôter ses chances de succès, alors que ce n’est pas le candidat que l’on juge le plus mauvais. Il s’agit, en quelque sorte, de l’inverse du vote utile.
La stratégie de la chèvre (de turkey-rising en anglais) consiste à favoriser un candidat que l’on juge médiocre (la chèvre), mais qui va permettre d’éliminer un candidat qui menace notre candidat favori. Par exemple, dans une élection à deux tours, si notre candidat favori est sûr de l’emporter au premier tour, on peut être incité à voter pour un candidat faible qui sera facile à battre au second tour.
Le nivèlement (de leveling en anglais) ne peut être mis en œuvre que dans les votes par valeur. Il s’agit de mettre plusieurs candidats au même niveau alors que cela ne reflète pas nos préférences réelles. Par exemple, si l’on attribue une note de 1 à 10 à chaque candidat, on peut donner 10 à tous les candidats de notre parti favori et 1 à tous les autres candidats, bien que nos préférences réelles soient plus nuancées.
Il faut noter que plus un mode de scrutin est complexe, moins l’impact du vote stratégique est fort. En effet, pour pouvoir tirer profit des faiblesses d’un système de vote, les électeurs doivent d’abord être en mesure de le comprendre. Les scrutins majoritaires étant les plus simples, ce sont ceux dans lesquels le vote stratégique est le plus courant.
En fonction du mode de scrutin, les partis politiques peuvent adopter des stratégies différentes, notamment lors des campagnes électorales. Les scrutins majoritaires poussent en général à une campagne féroce, sans compromis, puisque l’objectif est de devenir le premier et unique choix de chaque électeur, tandis que dans les scrutins à préférences multiples, les campagnes sont généralement plus apaisées, les candidats se prêtent volontiers à un débat courtois, car ils ne concourent pas seulement pour le premier choix, mais aussi le second, le troisième, etc. Ils doivent plaire à un maximum d’électeurs pour avoir une chance d’être élus. Les candidats « polarisés » ont peu de chances de l’emporter.
Conclusion
La culture politique d’un pays détermine son mode de scrutin, mais son mode de scrutin détermine aussi sa culture politique. Il n’y a pas de scrutin parfait, il s’agit toujours d’un compromis entre : facilité de compréhension, représentation proportionnelle ou majoritaire, robustesse égalitaire et mathématique, et sensibilité au vote stratégique. Il est impossible de tout avoir en même temps, il faut toujours négocier sur tel ou tel aspect du scrutin. Adopter un mode de scrutin plutôt qu’un autre n’est pas neutre, cela relève toujours d’un choix politique.
En outre, s’il est impossible de traduire parfaitement les préférences politiques des électeurs à travers un scrutin, il ne faut pas oublier qu’il existe une alternative : le tirage au sort. Bien que ce ne soit pas un mode de scrutin, c’est une manière de nommer des représentants qui échappe complètement aux contraintes de l’élection : peu de difficulté de compréhension, une représentativité statistique et donc naturellement proportionnelle, une égalité parfaite des chances entre tous les citoyens et une insensibilité totale aux stratégies des acteurs politiques.