Comment tirer au sort ?

Introduction

Si le tirage au sort fait son grand retour en politique, on s’intéresse trop peu aux différentes méthodes utilisées pour sélectionner des individus de manière aléatoire. Dans son article, Dimitri Courant distingue les instruments manuels et informatiques actuellement utilisés dans le domaine politique.

Instruments manuels

La pièce de monnaie

Tirer à pile ou face est une manière très simple d’arbitrer de manière aléatoire entre deux possibilités, on le retrouve notamment dans le milieu sportif. En politique, sa nature binaire le confine à un usage bien précis : départager les candidats ayant obtenu le même nombre de voix lors d’une élection.

Cette pratique a surtout lieu dans les pays anglo-saxons (en France, c’est le candidat le plus âgé qui l’emporte en cas d’égalité), mais reste très anecdotique compte tenu de la rareté statistique de ce genre de situations. Certains États précisent les conditions du pile ou face (type de pièce, hauteur minimale du lancer, distance maximale au sol, etc.) alors que d’autres se montrent plus flous.

La courte paille

Instrument populaire, la courte paille est également utilisée en politique pour départager les candidats ex aequo dans les pays anglo-saxons. La procédure semble plus contestable que le pile ou face, car la triche est possible avec la complicité de celui qui place les pailles, cependant elle permet de départager plus de deux candidats.

Le livre

Pour la désignation des jurys d’assises en Belgique, on consignait le nom de tous les citoyens dans un livre qu’on ouvrait ensuite sur une page au hasard. Cette méthode a été contestée, car les magistrats avaient tendance à ouvrir le livre au même endroit (au milieu) ce qui favorisait certains citoyens plus que d’autres.

L’urne

En sus des méthodes désignées précédemment, on trouve parfois dans les pays anglo-saxons un recours à la technique de l’enveloppe : les noms des candidats sont marqués à l’intérieur d’une ou plusieurs enveloppes (le même nombre pour chaque candidat), puis l’un d’entre eux ou une personne tierce pioche au hasard dans l’urne qui contient les enveloppes. Parfois, il faut user d’une autre méthode de tirage au sort pour savoir qui piochera, comme le pile ou face.

Le Pape d’Alexandrie est choisi par tirage au sort parmi des candidats ayant reçu un nombre de voix minimum. La procédure, très ritualisée, fait intervenir un jeune garçon aux yeux bandés qui plonge sa main innocente dans une urne en verre transparent pour saisir une boule contenant le nom du futur pape. Les autres boules sont ensuite ouvertes pour montrer qu’elles contenaient bien le nom des autres candidats.

Pour les élections cantonales de 2010, dans la section de Metz, le parti Vert français utilise le tirage au sort pour désigner ses candidats. Un chapeau contient les noms des candidats hommes, un autre celui des candidates, et un troisième le nom des circonscriptions électorales. Une jeune femme tire successivement dans les trois chapeaux pour obtenir un « ticket paritaire » par circonscription.

Le Code de procédure pénal français ne précise pas les conditions dans lesquelles les jurys d’assises sont tirés au sort. Dans un certain nombre de cas, des instruments manuels sont toujours utilisés : jetons en bois dans un carton, boules dans une urne transparente, papiers dans une enveloppe, fiches dans un tiroir, etc.

Le boulier de loto

À la différence de l’urne, le brassage et la sélection des jetons ou des boules de loto n’ont pas lieu par la main de l’Homme, mais par un dispositif mécanique. Cela garantit un niveau de fiabilité supplémentaire. De plus, le grand public accorde une confiance importante dans l’instrument, puisqu’il est utilisé pour le tirage de loto qui met en jeu des sommes très importantes. En France, l’usage politique de ce matériel ludique a eu lieu de manière anecdotique, notamment par le parti des Verts lors des élections législatives de 2012.

Au cours des élections législatives mexicaines de 2015, le parti Morena a tiré au sort 2/3 de ses candidats parmi 3 000 volontaires. Deux grands tambours de loto ont été utilisés, un pour les hommes et un pour les femmes. L’événement s’est déroulé en public, dans une grande salle de sport et sous l’œil attentif des caméras. Au final, le parti a obtenu 35 sièges sur 500 à la Chambre des députés.

Le boulier de loto est également utilisé en Chine pour désigner les membres des assemblées citoyennes ayant en charge de flécher le budget participatif d’une ville ou d’un quartier.

Instruments informatiques

Cas du CSFM

Dans les années 70, le CSFM tirait au sort ses membres en collaboration avec l’INSEE, ce qui demandait une journée de préparation et mobilisait beaucoup de personnel et de matériel. La méthode a été informatisée dans les années 90, en se basant sur la date et l’heure à laquelle le tirage a lieu. Comme l’avoue un informaticien de l’Armée, pour le moment il est impossible de générer de l’aléa pur via un programme informatique.

Un logiciel dédié à cette tâche est développé en 1999 (tableau Excel avec Visual Basic) et son code source est mis à la disposition du public, de manière à vérifier son fonctionnement :

  1. L’utilisateur presse le bouton « tirage au sort » à un instant t ;
  2. Le logiciel attribue un numéro aléatoire à 8 chiffres à tous les candidats ;
  3. Le logiciel classe tous les candidats par ordre croissant selon leur numéro ;
  4. Le logiciel crée une valeur aléatoire à 8 chiffres qui sert de référence de départ ;
  5. Les candidats dont le numéro suit cette référence de départ obtiennent chacun un siège.

Cas des sondages

Peu de sondeurs s’intéressent au fait que la sélection d’un échantillon représentatif soit basée sur du « pseudo-hasard » informatique. Ce qui compte avant toute chose, c’est que l’échantillon soit représentatif de la population dans son ensemble. À ce titre, plusieurs techniques sont employées : logiciels et tableurs générateurs de hasard, utilisation de tables de nombres au hasard, etc.

Lorsque les sondés sont appelés au téléphone, on peut leur demander quel est le membre de leur famille dont la date d’anniversaire est la plus proche et chercher à le contacter, réduisant ainsi le biais lié aux personnes qui ne répondent pas au téléphone. Les enquêteurs, quand ils se rendent sur place, peuvent aussi choisir un point de départ et d’arrivée aléatoirement, puis tracer un itinéraire entre les deux, où ils interrogent des passants ou sonnent à la porte des habitations. Afin d’augmenter la représentativité, il est fréquent de choisir un « pas » : une maison sur trois, un immeuble sur deux, un étage sur quatre, etc.

Contrôle démocratique

Les méthodes des instituts de sondage font partie de leur savoir-faire et se déroulent en « boîte noire », ce qui pose un certain problème lorsque la sélection des membres d’une assemblée citoyenne est justement confiée à un tel institut (ce qui relève d’une pratique courante). En effet, le public n’a aucun moyen de contrôler la procédure de sélection (contrairement au CSFM qui met à disposition le code source de son logiciel). Plus les enjeux sont importants, plus le besoin de contrôler la procédure apparaît comme nécessaire.

Ainsi, lors des élections régionales de 2015 à La Réunion, le projet DemoRun a pris soin de mettre en œuvre une procédure de sélection aléatoire transparente et vérifiable pour désigner ses candidats. Il s’agissait d’un mélange entre instruments physique (trois dés à dix faces) et informatique (un algorithme qui intégrait le résultat des trois dés).

Pendant les élections législatives de 2012, le mouvement Démocratie Réelle a également cherché à créer des « contre-élections » en tirant au sort ses candidats. Dans un premier temps, ils se sont intéressés à un logiciel gratuit permettant de générer du hasard, mais ils ont abandonné compte tenu de l’impossibilité matérielle de vérifier l’impartialité du tirage au sort. Après avoir envisagé une technologie à base de blockchain, ils ont inventé leur propre système, basé sur les fluctuations du CAC40 :

  1. En partant de 0, on attribue un nombre entier à chaque candidat ;
  2. Le jour J, on met bout à bout les deux décimales des valeurs de clôture du CAC40 des 5 derniers jours, de manière à obtenir un numéro à 10 chiffres ;
  3. On divise ce nombre par 10 000 000 000 puis on le multiplie par le nombre de candidats ;
  4. On ne conserve que la partie entière du résultat (sans l’arrondir), qui correspond alors au numéro du candidat sélectionné.

Conclusion

On constate que les instruments manuels du tirage au sort sont loin d’avoir disparu en raison de leur transparence, fiabilité et légitimité aux yeux du public. En outre, ils sont souvent couplés avec des instruments informatiques qui, quant à eux, permettent de réaliser des tirages au sort à de très grandes échelles sans surcoûts d’organisation.

Le choix de la méthode, au-delà des caractéristiques techniques du tirage au sort, dépend aussi de son contexte. Le parti mexicain Morena avait besoin de créer un rite d’unité parmi ses militants, c’est pourquoi il a organisé un grand événement qui faisait intervenir du matériel de loto et qui était suivi de près par les caméras. À l’inverse, le CSFM ne cherche qu’une forme d’efficacité dans la procédure de tirage au sort, qui doit être impartiale et peu coûteuse, c’est pourquoi il a opté pour un simple logiciel informatique dont le code source est public.

Source

COURANT – Du klérotèrion à la cryptologie : l’acte de tirage au sort au xxie siècle, pratiques et instruments (2019)

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