Contexte

La piste de Bloomfield traverse la forêt pluviale de Daintree sur environ 30 km, reliant les villes de Cape Tribulation et Cooktown, sur la côte est de l’Australie, dans le Queensland. Dès 1984, la construction de cette piste a occasionné une déforestation importante de la zone et a soulevé de vives contestations dans le pays : 82 % des Australiens étaient ainsi favorables à la protection de la forêt pluviale.
Le gouvernement fédéral a adopté plusieurs mesures, telles que l’interdiction de couper les essences de bois de la forêt de Daintree, mais le gouvernement du Queensland s’est fermement opposé à ces dispositions. En effet, la piste permet de relier des petites villes isolées et représente un enjeu touristique et économique important pour la région. De leur côté, les Australiens qui militent pour la fermeture de la piste craignent que la pollution générée par les 4×4 soit charriée par les rivières jusqu’à la grande barrière de corail, située à quelques kilomètres des côtes.
En 2000, les pouvoirs publics ont organisé un jury citoyen dans la région afin de délibérer sur cette question épineuse. La méthode employée est celle des sondages délibératifs.
Le jury citoyen
Composition
Le jury était composé de 12 citoyens tirés au sort parmi les 2 000 habitants de la région ayant répondu favorablement à une lettre envoyée par le gouvernement.
Fonctionnement
Avant toute chose, les 12 membres du jury ont répondu à une enquête afin de déterminer leur vision du problème et leur opinion avant de commencer les délibérations.
Le premier jour, le processus du jury citoyen a été présenté aux délibérants, puis ils se sont rendus sur place avec des ingénieurs afin de mieux comprendre les problématiques de terrain autour de la piste de Bloomfield. Les participants pouvaient poser toute question utile aux spécialistes présents.
Le deuxième jour, les citoyens ont discuté avec cinq experts différents autour de plusieurs dimensions techniques : la maintenance, la construction, l’impact régional, l’impact environnemental et l’impact touristique de la piste. Les citoyens ont ensuite débriefé entre eux et ont éventuellement soulevé les points qui méritaient des éclaircissements supplémentaires.
Le troisième jour, les citoyens ont rencontré les représentants des communautés locales et aborigènes pour recueillir leur point de vue sur la piste. À la fin de la journée, les participants ont dû répondre à une enquête pour mesurer l’évolution de leur opinion depuis le début du processus.
Le quatrième et dernier jour, les 12 membres du jury ont délibéré entre eux afin de faire un bilan sur tout ce qu’ils avaient vu et entendu les jours précédents. Enfin, ils ont rédigé un rapport contenant leurs recommandations pour la gestion de la piste de Bloomfield. Ils ont également dû répondre à une dernière enquête afin de voir si leur opinion avait changé depuis la veille.
Globalement, même si aucun consensus clair n’a été atteint, l’opinion des participants était beaucoup moins dispersée à la fin du processus qu’au début. Les délibération et les rencontres avec les parties prenantes ont permis de rassembler les citoyens autour de points de vue similaires.
Résultats
Dans ses recommandations, le jury a préconisé la fermeture de la piste d’ici à 15 ans, le temps d’aménager des itinéraires moins coûteux et préjudiciables pour l’environnement. À long terme, cela devrait favoriser le développement des communautés locales sans porter atteinte au secteur touristique de la zone.
Mais plusieurs membres ont considéré que l’impact environnemental de la piste n’était pas significatif et que la liberté de déplacement des habitants et des touristes relevait d’enjeux plus importants. Leur opinion était cependant plus nuancée qu’au début du processus où ils exprimaient une vive opposition à la fermeture de la piste.
Conclusions
Au début du processus, presque aucun des membres du jury n’était favorable à une fermeture de la piste, certains souhaitant même la bitumer pour ouvrir la circulation à tous les véhicules (et pas seulement aux 4×4).
L’expérience montre bien qu’en donnant suffisamment de temps (quatre jours ici) et suffisamment de moyens (déplacement sur les lieux concernés, rencontre avec des experts et des parties prenantes, accès à de la documentation, etc.) à des citoyens, leur avis peut radicalement changer. En l’occurrence, ils sont ici passés d’une vision qui favorise l’intérêt personnel et le court terme à une vision tournée vers l’intérêt général et le long terme. Une fois de plus, cela souligne l’intérêt des processus délibératifs et du tirage au sort pour résoudre ces questions de société.