Le contexte
Les quartiers prioritaires ont été mis en place en 2014 afin de remplacer deux dispositifs plus anciens et complexes (la zone urbaine sensible et le contrat urbain de cohésion sociale). Il s’agit de zones urbaines qui présentent des dysfonctionnements sociaux importants, notamment en matière de pauvreté.
Il existe environ 1 500 quartiers prioritaires en France qui représentent un total de 5,5 millions d’habitants.
Ces zones font l’objet d’une « politique de la ville » destinée à en améliorer le développement économique, la cohésion sociale, les conditions de vie des habitants et à réduire les inégalités. Les services publics (éducation, logement, emploi, et sécurité) adoptent une approche spécifique dans ces zones afin de parvenir à ces objectifs. Tous ces éléments sont définis quartier par quartier dans un « contrat de ville » passé entre l’État et les collectivités locales (qui définit notamment le budget alloué à la zone).
Les entreprises qui s’installent dans un quartier prioritaire bénéficient également de nombreuses exonérations fiscales.
Les conseils citoyens
Selon la loi, la politique de la ville s’inscrit dans une démarche de « coconstruction » avec les habitants. Pour ce faire, chaque quartier prioritaire dispose d’un Conseil citoyen chargé de représenter les habitants dans les discussions.
Composition et fonctionnement
Un conseil citoyen est composé pour partie de membres tirés au sort et pour partie de représentants du monde associatif.
Les modalités de fonctionnement des conseils citoyens sont souples, car non définies par la loi. Le nombre de membres n’est pas fixé, mais une circulaire précise de retenir un nombre entre 15 et 50 en fonction de la taille des quartiers prioritaires concernés. Le cadre de référence (document rédigé par l’Association des Maires de France et d’autres associations) préconise quant à lui au minimum 50 % de membres tirés au sort, par rapport aux membres issus du monde associatif.
Le tirage au sort est effectué sur des listes diverses (électorales, EDF, INSEE, HLM, etc.), ainsi que sur une liste de volontaires recensés lors d’un appel à candidatures. Il est à noter que les mineurs peuvent également être sélectionnés.
Pour les membres issus du monde associatif, un appel à candidatures est également lancé. Si le nombre de demandes excède les sièges disponibles, un tirage au sort a lieu pour les départager.
La durée du mandat des membres du Conseil citoyen est définie librement dans chaque contrat de ville.
Au moment de sa création, le conseil citoyen peut bénéficier de la structure d’une association existante, mais peut aussi créer une association propre pour gérer son budget, ou bien n’avoir aucune structure juridique. Dans tous les cas, le conseil citoyen doit rester indépendant vis-à-vis des pouvoirs publics.
Les membres du conseil citoyen sont tous bénévoles.
Rôles
Les conseils citoyens interviennent en amont du processus afin de participer à l’élaboration du contrat de ville. Toutefois, puisque c’est précisément dans le contrat de ville que sont définis le rôle et le fonctionnement particuliers de chaque conseil citoyen, ceux-ci ne sont généralement créés qu’après la signature des contrats de ville, aboutissant à une occultation pure et simple de leur premier rôle. On peut supposer que ce problème sera moins saillant lors du renouvellement des contrats de ville (qui s’effectue tous les 6 ans).
Une fois le contrat de ville signé, le conseil citoyen assiste à toutes les réunions (comité de pilotage, comités techniques, comités financeurs, etc.) concernant l’évolution de ce contrat et son suivi, notamment via des indicateurs. Selon les sujets, le conseil citoyen peut décider de se faire accompagner par un expert lors de ces réunions (il s’agit du principal poste de dépense du budget du conseil).
Limites
Comme c’est souvent le cas dans les expériences de démocratie délibérative, constituer un échantillon représentatif du public visé est souvent très difficile à réaliser en pratique. Il s’avère que dans la plupart des quartiers prioritaires, les habitants les plus précaires (donc ceux qui sont précisément concernés par la politique de la ville) sont généralement ceux qui participent le moins au processus ; soit en n’acceptant pas de siéger, soit en quittant l’instance au bout de quelques réunions. L’absence de compensation financière et le temps nécessaire à investir dans ce mandat peuvent expliquer cette désaffection. En définitive, ce sont généralement des habitués de la participation qui restent au sein des Conseils citoyens.
L’impact des Conseils citoyens sur la politique de la ville est très restreint. Ceux-ci ne peuvent généralement pas avoir de poids dans le choix des grandes orientations et sont cantonnés à des questions techniques secondaires. Par ailleurs, cette « technicité » des discussions, alors que les membres des conseils citoyens ne sont pas des professionnels de l’urbanisme (par exemple), conduit souvent à une exclusion de fait des conseils et à une minoration de leur rôle. Les cas où les conseils ont apporté des propositions nouvelles et originales qui ont été suivies d’effets sont très rares.
Si les conseils sont censés être autonomes vis-à-vis des pouvoirs publics, ils le sont rarement en pratique. L’influence de l’Administration passe par la ou les personnes chargées d’animer les réunions du conseil, qui est parfois un fonctionnaire municipal ou bien un professionnel de la participation en lien avec les pouvoirs publics.
Conclusions
Le cas des conseils citoyens est intéressant, car il montre une tentative d’institutionnalisation du tirage au sort et de la démocratie délibérative au niveau local. Il en ressort que ce dispositif a souffert d’un manque de préparation et de concertation entre l’État et les acteurs locaux.
En effet, d’une part la création de conseils citoyens devient une obligation contraignante pour les collectivités locales concernées par les quartiers prioritaires, et d’autre part leur mode de fonctionnement n’est absolument pas défini en dehors de la sélection par tirage au sort.
Cette incertitude a conduit de nombreuses collectivités à tarder dans la création des conseils citoyens et à avancer à tâtons. Il n’y a pas eu de réflexion dans la conception de la loi sur les modalités de tirage au sort des habitants (stratification, durée des mandats, listes, etc.) et sur leur mode de délibération au sein des conseils.
« Reste qu’une majorité d’élus, rassérénée par la légitimité que leur octroie leur élection au suffrage universel direct, redoute que des instances tirées au sort finissent par se transformer en forces d’opposition. Deux tiers des collectivités devant créer des conseils citoyens ont ainsi désigné leurs membres non par tirage au sort comme prévu par la loi, mais sur une liste de volontaires préétablie à l’avance. » Courrier des maires
Courrier des maires (2019) – Hugo SOUTRA
La loi aurait pu s’inspirer des nombreuses expériences démocratiques en la matière pour élaborer un cadre conceptuel clair et précis, récapitulant les conditions nécessaires à la légitimité et l’efficacité du processus, tout en laissant une certaine marge de manœuvre pour s’adapter aux particularités du terrain.
Mais il faut noter que certains conseils ont réussi malgré tout à s’organiser de manière efficace pour pousser des projets et dialoguer avec les pouvoirs publics. Peut-être que ce dispositif sera amené à s’étoffer avec le temps.
Sources
Le courrier des maires – Le tirage au sort, solution « magique » pour ressourcer la démocratie ?
LOI n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine
Circulaire n° CABINET/C102/2017/41 du 2 février 2017 relative aux conseils citoyens
Cadre de référence des conseils citoyens
Les conseils citoyens, beaucoup de bruit pour rien ? – DEMOULIN, BACQUÉ – Participations (2019)