Les biais de l’élection selon Burnheim

Cet article est une synthèse et une traduction des idées de John BURNHEIM tirées de la 2e édition de son ouvrage « Is democracy possible ? The alternative to electoral politics » parue en 2006 (1ère édition parue en 1985).

L’imprécision des programmes électoraux

L’élection consistant à produire un gouvernement en faisant s’affronter des adversaires politiques, ceux-ci, pour se départager et offrir un choix aux votants, construisent des programmes dans lesquels ils indiquent les projets et mesures qu’ils comptent mettre en œuvre une fois élus.

Cette promesse constitue un matériau intangible et invérifiable, ce qui encourage les candidats à toute sorte de compromis pour séduire les électeurs : mensonge, feinte, dissimulation, dénis ou sacralisation. La logique et la concurrence pousse les candidats à s’engager le moins possible sur des mesures concrètes, et à éviter d’aborder tout sujet qui serait impopulaire, quand bien même il constitue une part importante de leur véritable programme.

Dans ce jeu de dissimulation, les candidats ont plutôt tendance à construire chacun de leur côté un programme vide et resplendissant plutôt que de chercher à démontrer la vacuité du programme de ses ennemis, de peur que l’on comprenne que le sien aussi est vide. Il s’agit d’une sorte d’entente où des slogans sans substance se battent entre eux.

La pluralité des programmes

Les électeurs ne peuvent jamais trouver un programme qui corresponde exactement aux intérêts qui les préoccupent : ils doivent faire des concessions. Ainsi ils vont choisir le programme qui se rapproche le plus de leurs idées, ou bien celui qui s’en éloigne le moins.

Dans le principe, le compromis n’est pas mauvais, il est même nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie qui consiste souvent en la recherche d’un consensus afin de satisfaire l’intérêt général. Le problème réside dans le fait que les programmes ne sont pas construits en vue de produire un consensus, mais en vue de faire élire le candidat qui s’en sert afin de déployer sa stratégie électorale, avec le biais vu précédemment.

La professionnalisation de la politique

Les politiciens, en plus de construire des programmes, doivent gérer leur propre carrière. Celle-ci se déroule en principe au sein d’un parti politique qui dispose de ses propres conflits internes. Il ne s’agirait pas d’un problème si cette sélection aboutissait à des choix cohérents. En l’occurrence ce n’est pas le cas, car une carrière dépend avant tout du pouvoir et du positionnement stratégique de chaque politicien, en dépit de toute qualité de programme ou de qualité nécessaires à l’exercice des fonctions visées.

On peut distinguer deux types de politiciens : les éminences grises qui cherchent à maîtriser la distribution du pouvoir et qui voient les électeurs comme des clients, et les leaders qui agissent plutôt en fonction de principes idéologiques et dont les électeurs sont des partisans. Ni l’un ni l’autre ne semblent être de bonnes alternatives : les éminences grises n’hésitent pas à se séparer de leurs clients faibles afin d’en acquérir de plus robustes, et les leaders sont prompts à sacrifier leurs partisans pour leur vision et leur égo.

Dans ces conditions, l’élection ne paraît être qu’un arrangement entre professionnels afin de renouveler la composition du gouvernement. C’est le dernier grand argument en faveur de l’élection : elle permet de faire évoluer l’offre politique, contrairement à des systèmes plus autocratiques qui sont souvent figés. Mais il ne faut pas attribuer d’autres mérites à l’élection, car les élus ne sont pas représentatifs et les électeurs ne peuvent pas baser leur choix sur des éléments tangibles. Autre problème : les politiciens ont tendance à ne pas respecter leurs promesses, et quand ils le font il est possible que le contexte ait tellement changé qu’il devienne absurde de les tenir.

Le contrôle du gouvernement

L’exercice du pouvoir du gouvernement est limité par de nombreuses forces externes qui s’imposent à lui. Tout d’abord, l’opposition politique a une tendance à s’agglomérer en coalitions afin de rejeter toutes les propositions du gouvernement. Ces coalitions sont plus douées pour s’opposer que pour proposer des alternatives. Ensuite, les groupes de pression externes utilisent cette opposition afin de faire valoir leurs propres intérêts, ils peuvent aussi refuser de coopérer ou bien décrédibiliser l’image des élus au pouvoir via les médias. Ces moyens de pression leur permettent d’obtenir une influence considérable sur la décision publique.

Le gouvernement, qui est en capacité de nommer de nombreux postes à haute responsabilité, les attribue non pas selon les compétences des candidats, mais pour générer des faveurs que les hauts fonctionnaires et groupes d’influence lui rendront plus tard, ou pour récompenser un soutien qui a contribué à son élection. Si ce phénomène n’est pas inhérent à la démocratie, l’élection ne fait que le renforcer.

La primauté du pouvoir

Rien ne garantit, dans le processus électoral, que les candidats aux plus hautes fonctions de l’État disposent des compétences nécessaires. Un certain nombre de personnes, pourtant aptes dans de nombreux domaines, se refusent à entrer en politique pour ne pas avoir à supporter les constants jeux de pouvoirs, les compromis moraux, ou encore le dénigrement systématique de ses adversaires au dépend de la recherche de solutions communes.

Encore une fois, cet effet pervers n’est pas propre à la démocratie, et existe à des niveaux encore plus préoccupants dans les dictatures à parti unique par exemple. L’élection permet tout de même de limiter un minimum l’arrivée au pouvoir de candidats sévèrement incompétents.

Les électeurs font confiance aux partis politiques pour sélectionner le candidat idéal, or cette sélection est en général opérée par une petite élite interne au parti qui cherche à faire valoir ses intérêts. Ce qui fait qu’il est impossible d’accéder à ces fonctions sans au préalable avoir acheté les faveurs de cette élite. Petit à petit, le paysage politique est donc écrémé jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des politiciens attirés par le pouvoir.

Conclusion

L’élection a l’avantage de permettre un changement pacifique de gouvernement en choisissant une nouvelle équipe légèrement moins pire que la précédente aux yeux des électeurs. Mais cet avantage ne s’analyse qu’en comparaison à des systèmes tels que l’autocratie, la dictature militaire, ou la monarchie héréditaire par exemple. Une analyse fine montre qu’il partage aussi de nombreux inconvénients avec ces systèmes. C’est uniquement parce que les autres alternatives connues sont repoussantes que l’élection apparaît comme un système légitime. Pourtant, nous pouvons faire mieux.

Source

John BURNHEIM – Is Democracy Possible ? The alternative to electoral politics – Chap. 3 part II

Une réflexion sur “Les biais de l’élection selon Burnheim

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