Le politologue américain Terrill Bouricius a développé un modèle, s’inspirant à le fois de la Démarchie de Burnheim, et de la Démocratie athénienne. Il s’agit d’un système déclinable à différents échelons, de la commune à l’État, et dont on peut se contenter d’appliquer une partie seulement des institutions décrites. Ce modèle est toutefois limité à l’organisation du pouvoir législatif, pour voir le modèle étendu au pouvoir exécutif, consulter cet article.

Le Conseil programmateur
Composé de 400 citoyens tirés au sort parmi des volontaires pour une durée de 3 ans, ce Conseil a pour mission d’organiser l’agenda législatif, c’est-à-dire de définir les sujets et les thèmes devant faire l’objet d’une réflexion en vue de proposer une réforme de la loi.
Les citoyens peuvent imposer un sujet au Conseil par le biais de pétitions. Le seuil à partir duquel la pétition prend un caractère contraignant pour le Conseil est dynamique et défini par le Comité des Règles.
Les Comités d’intérêt
Tout citoyen peut s’inscrire afin de participer au processus législatif sur un sujet donné. Le cas échéant, il sera affecté dans un comité d’intérêt traitant de ce sujet, et comportant 12 personnes. Ces comités ont pour but de produire des propositions concrètes sur les sujets qu’ils ont à traiter. Le mode de délibération n’est pas précisé par l’auteur, notamment pour savoir si un Comité peut produire plusieurs propositions ou doit voter et s’accorder sur l’une d’entre elles uniquement. En outre, ces comités peuvent se dérouler à distance sur des outils de discussion instantanée.
Les Comités de révision
Un comité de révision est constitué par thématique (économie, agriculture, éducation, etc.), et comporte chacun 150 membres tirés au sort parmi des citoyens volontaires (qui ne choisissent par la thématique de leur comité). Les Comités reçoivent, sur un sujet déterminé par le Conseil programmateur, les propositions des Comités d’intérêt. Ils les étudient et les complètent avec des interventions d’experts dans les domaines en question.
L’auteur prévoit l’usage de certaines techniques de délibération afin d’éviter les biais du débat en assemblée :
- Définir, au préalable des discussions, les « faits établis » sur lesquels personne ne pourra revenir.
- Alterner les points de vue pour chaque amendement de manière à éviter la polarisation de l’assemblée vers une majorité « psychologiquement rassurante ».
Les Jurys législatifs
Comme les Comités de révision, les Jurys sont divisés par thématique. Ils sont chacun composés de 400 membres, tirés au sort parmi les citoyens avec, si possible, un caractère obligatoire (tel que pour les jurys d’assises). Après avoir écouté la présentation des projets de loi, leurs avantages et leurs inconvénients, ils votent sans délibération interne pour éviter les distorsion d’opinion. Il s’agit de faire ressortir la « sagesse du peuple ». Cet aspect est fortement inspiré de l’Héliée du système athénien.
Le Comité des règles
Composé d’un certain nombre de citoyens tirés au sort pour une courte période, le Comité des règle est en charge de définir et de faire évoluer les procédures de chaque autre organe de l’appareil législatif : procédure de tirage au sort, quorum à atteindre, modes de délibération, etc.
Le Conseil de supervision
Composé de citoyens tirés au sort, le Conseil a pour mission de garantir l’impartialité, l’absence de biais de communication dans la présentation des projets de loi qui sont faites devant les Jurys législatifs. De manière plus générale, le Conseil s’occupe de faire rayonner ces valeurs à l’ensemble du corps des fonctionnaires qui assistent chaque institution. Pour ce faire, il dispose du pouvoir de recruter ou d’exclure lesdits fonctionnaires.
Principaux apports du modèle
Selon l’auteur, le système permet de résoudre un certain nombre de problématiques propres aux stochocraties :
- Le modèle de Bouricius permet d’avoir à la fois une assemblée purement représentative du peuple (les Jury législatifs), et des organes qui sont activement engagés dans le travail législatif (les Comités d’intérêt et de révision).
- Il concilie également des organes dont les mandats sont très courts pour éviter la corruption (Jurys législatifs, comité d’intérêt), et d’autres où ils sont plus longs pour développer l’expertise (comité de révision, conseils)
- Le système permet au peuple de s’exprimer directement via les pétitions ou les comités d’intérêt, tout en empêchant les défauts propres à la démocratie directe (polarisation vers une majorité/minorité, risque d’orientation des votes par des orateurs charismatiques, etc.) grâce au phasage du processus : comité d’intérêt puis comité de révision, et enfin jury législatif.
- Les multiples comités permettent de faire émerger une certaine intelligence collective en amont du processus, mais en aval le jury législatif s’en détache (aucune délibération) pour éviter toute orientation de son opinion, et conserver la « sagesse du peuple ».
- Le système législatif est à la fois autonome dans sa gestion et son budget et se protège contre ses propres dérives grâce notamment au Conseil de supervision et au Jury législatif qui empêchent la domination du processus par des individus influents.
Critiques, points à approfondir
Le modèle de Bouricius soulève aussi quelques problèmes qui ne sont pas évoqués par l’auteur :
- Si le système assure une certain respect de l’impartialité démocratique, il ne garantit à aucun moment l’efficacité des projets qu’il produit. En effet, les experts doivent intervenir en masse au niveau des comités d’intérêt s’ils veulent que leurs propositions soient entendues, ou bien pour délibérer avec les citoyens (mais qui, s’ils sont majoritaires, ne se rangeront pas nécessairement derrière l’avis des experts), ce qui est peu probable, surtout si le système est populaire et que le taux de participation est élevé. En outre, les comités de révision qui rédigent les projets de loi vont devoir confronter les avis de plusieurs experts avec le risque de déboucher sur une solution de consensus disposant de peu d’impact. Les lois ne sont écrites ni par des professionnels du secteur concerné, ni par des professionnels du droit.
- L’auteur accorde beaucoup de confiance au système athénien de l’Héliée. Toutefois, le Tribunal d’Athènes traitait des problèmes simplissimes en comparaison de la matière législative actuelle. Les citoyens pouvaient se permettre de donner un jugement sans aucune délibération ni expertise, car il s’agissait de choses simples connues et vécues par tous, qui faisaient appel à des valeurs fondamentales. Il en est tout autrement pour ce qui est de promulguer des lois du monde moderne. Les jurys législatifs risquent de voter sans maîtriser le sujet en question, se référant plutôt à la qualité du discours des intervenants (ce que cherche précisément à éviter l’auteur). Des moyens doivent être trouvés pour permettre aux jurys de conserver la pureté de leur opinion tout en leur ôtant leur naïveté face aux enjeux évoqués.
- Le modèle ne traite à aucun moment des situations d’urgence. Or il s’agit d’un point essentiel de tout système législatif, précisément car la procédure habituelle est longue, alors que certaines questions de niveau législatif doivent parfois être traitées dans la plus grande urgence afin de préserver les intérêts du pays. Bien souvent le pouvoir exécutif prend pleinement en charge ces situations par un jeu de délégation législative (le système des ordonnances, par exemple) ; mais le pouvoir législatif devrait également prendre part à la procédure dans un système bien équilibré.
- Laisser le soin de l’articulation des règles internes à un comité constitue un risque de dérive du système, notamment vers un modèle à plus forte tendance de démocratie directe si le seuil de prise en compte des pétitions est faible par rapport aux prérogatives du Conseil programmateur, rendant celui-ci inopérant. En outre, ces réformes pourraient tout aussi bien suivre le même parcours que les sujets législatifs classiques sans besoin de créer le Comité des Règles.
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