L’Ecclésia, l’Assemblée du peuple

L’Ecclésia, ou Assemblée du peuple est une institution de la démocratie athénienne où les citoyens se réunissent à intervalles réguliers pour prendre des décisions et adopter des décrets. C’est là qu’interviennent les orateurs les plus célèbres de la Grèce antique tels que Périclès, Démosthène ou encore Thucydide.

C’est aussi l’Ecclésia qui suscite les critiques les plus vives de la part des philosophes athéniens opposés à la démocratie, tels qu’Aristote, Platon et Socrate.

Composition

Seuls les 30 000 citoyens adultes mâles sont autorisés à participer aux réunions de l’Ecclésia. Cette catégorie ne représente qu’environ 10 % de la population totale d’Athènes qui comprend les femmes, les enfants ainsi que les métèques et les nombreux esclaves.

L’Assemblée peut accueillir 6000 citoyens au maximum, soit 20 % des quelque 30 000 citoyens jouissant de leurs droits civiques. En outre, plusieurs décisions (l’octroi de la citoyenneté notamment) requièrent un quorum de 6000 citoyens, l’Ecclésia est donc presque toujours remplie à son maximum.

Il arrive que la composition de l’Assemblée soit particulièrement peu représentative, notamment en cas de guerre, ce qui est très fréquent à l’époque. Lorsque les hoplites – fantassins de la classe moyenne – et les cavaliers – citoyens les plus riches – sont en campagne, il ne reste plus que le petit peuple pour voter les lois (voir la réduction des pouvoirs de l’Aréopage en -462). À l’inverse, lorsqu’Athènes déploie sa flotte, les citoyens les plus pauvres sont recrutés en tant que rameurs et ne peuvent plus assister aux séances de l’Ecclésia (voir l’abolition de la démocratie en -411). Ces biais constituent des opportunités pour adopter des lois favorables à l’une ou l’autre des classes sociales.

L’Assemblée ne peut pas non plus être représentative à l’égard des divisions territoriales. Il est évident que participer aux séances est plus facile pour le citoyen qui vit dans un quartier d’Athènes que pour celui qui habite un village côtier qui se trouve à 40 kilomètres de la cité.

Déroulement d’une réunion

Entrée

Les citoyens se réunissent sur la Pnyx, un espace clos de 3200 m² taillé dans la colline du même nom. L’accès se fait par deux escaliers où une commission de la Boulè contrôle les entrées. Toute personne qui se rend à une séance de l’Ecclésia alors qu’il n’en a pas le droit (soit parce qu’elle a été déchue de ses droits lors d’un procès, soit parce que c’est un métèque) risque la peine de mort.

Lorsqu’un vote par jeton est prévu, les bouleutes distribuent les jetons à l’entrée de l’Ecclésia, de sorte que chaque citoyen ne puisse en avoir qu’un et un seul. Cela permet aussi de compter le nombre de citoyens à l’intérieur et d’empêcher la foule d’entrer une fois le quorum atteint.

Réunion

L’Ecclésia est convoquée par les prytanes (instance de la Boulè) qui en fixent l’ordre du jour. Les Stratèges et l’Assemblée peuvent demander à y inscrire des points particuliers. Les citoyens sont informés d’une réunion quatre jours avant sa tenue.

L’Ecclésia est convoquée quatre fois par mois selon le calendrier prytanique de dix mois, soit 40 fois par an. Ce nombre ne pouvant être dépassé, les prytanes ont tendance à convoquer les réunions en fin de mois, de manière à toujours en avoir en réserve en cas d’urgence.

Les réunions commencent à l’aube et se terminent jusqu’à épuisement de l’ordre du jour. Elles durent plusieurs heures, sans pause, et les citoyens apportent leur pain et leur vin pour déjeuner sur place.

Un bureau de neuf proèdres est tiré au sort le matin même parmi les membres de la Boulè n’étant pas prytanes afin d’encadrer la réunion. Les proèdres sont chargés d’évaluer les votes à main levée et de dépouiller les jetons le cas échéant. Un épistate des proèdres est désigné par tirage au sort pour présider l’Ecclésia. Son rôle consiste essentiellement à mettre les motions au vote lorsqu’il y a eu suffisamment de débats.

Une tribu est désignée à chaque réunion pour se positionner entre la tribune des orateurs et le reste des citoyens. Sa mission est de maintenir l’ordre en cas d’agitation. Les citoyens sont assis sur des bancs en bois.

Débats

La présence de 6000 membres au sein de l’Assemblée rend les débats difficilement audibles. C’est pourquoi tous les individus doivent monter à la tribune pour s’exprimer. Certains préparent des textes, d’autres improvisent. Les discours successifs ne se répondent pas nécessairement les uns aux autres et personne ne peut intervenir quand quelqu’un est à la tribune, sinon par des applaudissements, des rires ou des huées.

Les quelques citoyens qui osent prendre la parole se font appeler orateurs. Ils sont l’équivalent des hommes politiques modernes. Leur faible nombre s’explique pour une raison toute simple : les orateurs sont responsables des discours qu’ils prononcent et des propositions qu’ils soumettent à l’Ecclésia. Ils peuvent faire l’objet d’une eisangélie s’ils sont soupçonnés d’agir contre les intérêts du peuple, ou d’une graphè paranomon s’ils défendent un décret anticonstitutionnel. Ces procédures peuvent les conduire à payer de fortes amendes, voire à l’atimie (déchéance des droits civiques).

Ce système pousse parfois les hommes importants à recourir à des sycophantes, des prête-noms professionnels qui prennent les risques politiques et judiciaire à la place de leur commanditaire.

Il n’y a qu’une vingtaine d’orateurs qui monte régulièrement à la tribune. Distribuer la parole lors des débats n’est donc jamais un problème et tout le monde trouve le temps de s’exprimer. L’exercice demande une formation en éloquence, d’où l’apparition de plusieurs écoles de rhétorique (celle d’Isocrate est la plus célèbre) et la professionnalisation de cette fonction.

Il arrive que des citoyens ordinaires trouvent le courage de prendre la parole pour défendre leur cause, mais il s’agit d’un cas plutôt rare.

D’un côté, les Athéniens se méfient des orateurs, car ils peuvent user de leur influence pour agir contre les intérêts du peuple, et de l’autre, ils savent très bien que cette fonction est nécessaire pour faire vivre la démocratie. Les meilleurs orateurs reçoivent souvent des récompenses honorifiques pour motiver les citoyens à endosser ce rôle tantôt adulé, tantôt décrié.

Levée de la séance

Les proèdres annoncent la fin de la réunion lorsque tous les points à l’ordre du jour sont épuisés ou que les conditions météorologiques ne sont plus adéquates (pluie ou tombée du jour).

Une fois la réunion terminée, les citoyens redonnent leur jeton aux bouleutes situés aux deux points d’entrée qui, en échange, leur verse une indemnité de six oboles (le montant évolue au cours des années en fonction de l’inflation) soit environ une demi-journée de travail. Ainsi, les plus pauvres ne sont pas empêchés de participer à l’Ecclésia et, au contraire, ceux-ci se pressent toujours de monter à la Pnyx, si bien qu’il faut souvent en refuser.

Le budget de fonctionnement de l’Ecclésia est considérable, environ 40 talents (un talent vaut 36 000 oboles) par an alors que les recettes d’Athènes varient de 130 à 1200 talents selon les années.

Pouvoirs de l’Ecclésia

L’Ecclésia possède des pouvoirs législatif, judiciaire et électif.

Législatif

L’Ecclésia se prononce sur les décrets préliminaires adoptés par la Boulè et mis à l’ordre du jour par les prytanes. Les décrets peuvent être ouverts, ils ne comportent alors que des intentions, ou fermés, c’est-à-dire qu’ils contiennent une proposition détaillée. Dans les deux cas, l’Assemblée peut émettre des contre-propositions.

Les décrets fermés sont votés « en rafale » à main levée en début de séance, car il s’agit bien souvent d’affaires courantes qui ne suscitent pas de débats. Cependant, si une seule main se lève pour s’opposer à un décret, cela entraîne une discussion plus approfondie. Les décrets fermés adoptés à l’unanimité représentent environ 50 % des textes approuvés par l’Ecclésia.

L’Assemblée adopte environ 400 décrets par an, soit 10 par réunion en moyenne. Il s’agit en grande partie de décisions honorifiques (octroi de la citoyenneté à des dignitaires étrangers, attribution de récompenses au meilleur orateur de l’année, etc.) et de politique étrangère (guerre, paix et alliances). Ces décrets visent des personnes et des situations particulières, ils n’ont pas le caractère général et intemporel des lois.

L’Ecclésia ne peut adopter directement les lois, elle doit convoquer des nomothètes (tirés au sort parmi les héliastes) pour qu’ils se prononcent sur un projet de loi. La première réunion de l’année est spécifiquement dédiée à la révision des lois existantes.

Puisque la répartition des recettes de l’État entre les différents postes de dépense est régie par une loi annuelle, l’Ecclésia n’a pas le dernier mot sur les finances de la cité. Cependant, en cas de circonstances exceptionnelles (la guerre, principalement), l’Assemblée peut prendre des décrets budgétaires s’ils sont rétroactivement approuvés par les nomothètes.

Judiciaire

Bien que la plupart des pouvoirs judiciaires de l’Ecclésia aient été transférés à l’Héliée au fil du temps, il subsiste quelques droits. Ainsi, lors des réunions, les citoyens peuvent intenter une eisangélie (procédure de dénonciation) à l’encontre d’un magistrat ou lancer un procès public visant un sycophante. Toutefois, les affaires ne sont pas jugées sur place, mais à l’Héliée.

Électif

La grande majorité des magistrats sont tirés au sort, mais l’Ecclésia a tout de même la charge d’en élire une centaine, parmi lesquels on trouve les plus importants : les magistrats financiers et les Stratèges. Il s’agit soit d’experts reconnus (par exemple un chef mercenaire étranger à qui l’on a accordé la citoyenneté) soit d’orateurs talentueux de l’Ecclésia. Périclès, grâce à son talent, a ainsi réussi l’exploit de se faire élire durant trente années de suite au poste de stratège.

L’Assemblée élit également les ambassadeurs d’Athènes.

Conclusion

L’Ecclésia incarne une forme de démocratie directe, mais elle n’est pas une institution souveraine dans la démocratie athénienne. Toutes ses décisions sont subordonnées à un décret préliminaire de la Boulè, et elle ne peut pas adopter directement les lois (celles-ci sont votées par les nomothètes). De plus, ses décrets peuvent être remis en cause par l’Héliée via la procédure de la graphè paranomon.

Les Athéniens se méfient des orateurs qui, par le passé (la guerre du Péloponnèse notamment), se sont mués en démagogues et ont agi contre les intérêts de la cité. L’Ecclésia conserve un rôle important dans la démocratie, mais le pouvoir législatif est partagé avec la Boulè et l’Héliée dont les membres sont tirés au sort et ont le temps de prendre du recul sur la question.

Les décisions du peuple sont perçues comme moins légitimes que celles des nomothètes et des jurés, car ces derniers ont prêté serment devant les Dieux et ont été tirés au sort parmi les citoyens les plus sages (les plus de 30 ans), ce qui n’est pas le cas des membres de l’Assemblée.

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 155-194)

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