La population d’Athènes

La population d’Athènes au Ve siècle av. J-C est loin d’être homogène. Elle se divise d’un côté en trois ordres qui ont chacun des droits politiques différents et, de l’autre, en plusieurs classes sociales et économiques selon le niveau de richesse. Il est important d’étudier la démographie athénienne si l’on veut apprécier le fonctionnement de ses institutions.

Les trois ordres

La société athénienne est divisée en trois ordres : les citoyens, les métèques (les étrangers) et les esclaves. On parle d’ordre, car il s’agit d’un statut légal : les citoyens ont hérité de leur privilège, les métèques sont des hommes libres, et les esclaves ont été déshérités de leurs droits.

Il est possible de passer d’un ordre à l’autre avec plus ou moins de difficulté : un citoyen peut être déchu de ses droits si les jurés lui infligent la sanction de l’atimie, un esclave peut être affranchi, et un métèque peut être naturalisé.

Sphère politique, sphère économique

La distinction entre citoyen, métèque et esclave est purement politique. Hormis le droit de posséder des propriétés foncières, les citoyens n’ont pas de droits que les métèques n’ont pas dans la sphère économique. D’ailleurs, parmi les habitants les plus riches, on trouve beaucoup de métèques, car il s’agit de marchands et d’artisans venus profiter des opportunités commerciales offertes par la plus grande cité grecque.

Pasion, un banquier connu comme l’homme le plus riche d’Athènes pendant longtemps, a commencé sa vie comme esclave, s’est fait affranchir puis est devenu citoyen à la fin de sa vie. Même si ce genre de parcours est exceptionnel, il montre que le système des ordres n’est pas figé et qu’il est indépendant des classes sociales.

Dans le domaine des loisirs, les fêtes religieuses – qui occupent une place importante dans l’esprit des Athéniens – sont ouvertes aussi bien aux femmes, aux métèques, qu’aux esclaves. Il en va de même pour le théâtre. La citoyenneté est donc un concept purement politique qui ne s’applique pas aux autres sphères de la société.

Démographie

On peut estimer que le nombre de citoyens adultes mâles, c’est-à-dire ceux qui jouissent de droits civiques, est d’environ 30 000, parmi lesquels 20 000 ont plus de 30 ans et sont donc éligibles aux charges de magistrat. Ne sont pas inclus les citoyens qui vivent en dehors de l’Attique dans les colonies athéniennes. À cela, on peut ajouter 70 000 femmes et enfants qui appartiennent à l’ordre des citoyens, mais sans jouir de droits politiques. La population citoyenne est donc d’environ 100 000 individus au sein de l’Attique.

La population des métèques est beaucoup moins stable, il s’agit de commerçants et d’artisans qui se déplacent entre les cités à la recherche d’opportunités et qui finissent parfois par s’y installer définitivement. Leur nombre est estimé à environ 40 000 à la fin de la démocratie, femmes et enfants compris.

Les esclaves ne font pas l’objet de recensements et les Athéniens ignorent leur nombre. En recoupant plusieurs sources, on peut cependant évaluer leur population à 150 000, femmes et enfants compris.

Ainsi, il y a environ 300 000 individus vivant sous le contrôle direct d’Athènes, dont seulement 30 000, c’est-à-dire 10 %, exercent des droits politiques.

Les Citoyens

La citoyenneté

Au début de la démocratie athénienne, la citoyenneté se transmet uniquement par le père. Les métèques peuvent se faire naturaliser s’ils s’installent dans la cité et épousent une Athénienne ou bénéficient de circonstances favorables. Par exemple, lors des réformes de Clisthène sur le redécoupage de l’Attique, de nombreux métèques deviennent citoyens du jour au lendemain, car le système des dèmes et des tribus a besoin d’effectifs pour fonctionner.

Cependant, la cité d’Athènes devenant florissante et attirant des métèques de tout le monde grec, le régime se trouve face à une crise démographique de surpopulation dans les années -450. Pour y remédier, on envoie les citoyens les plus pauvres dans les colonies athéniennes et les cités-États sous contrôle de l’empire.

Comme ces mesures ne suffisent pas et que la population ne cesse de croître jusqu’à 60 000 citoyens mâles – ce qui dépasse les limites acceptables pour le bon fonctionnement des institutions –, Périclès, un stratège de l’époque, instaure une nouvelle loi qui restreint la citoyenneté aux enfants dont les deux parents sont Athéniens, interdit les mariages mixtes et rend les naturalisations exceptionnelles (elles sont votées par décret). On constate toutefois quelques exceptions à cette loi, notamment lors de la guerre du Péloponnèse qui décime les rangs des citoyens et où des régiments entiers de soldats étrangers sont naturalisés pour repeupler l’Attique.

Le nombre de citoyens se stabilise à 30 000 jusqu’à la fin de la démocratie. La loi de Périclès et le durcissement de l’accès à la citoyenneté peut aussi s’expliquer par la volonté de restreindre l’accès à certains privilèges, puisque c’est à cette époque que la participation des citoyens aux séances de l’Ecclésia et de l’Héliée devient rémunérée.

Le contrôle de la citoyenneté se fait au niveau des dèmes. Les citoyens se retrouvent en assemblée et opèrent un recensement de temps en temps. Il est fréquent que des métèques ou des enfants illégitimes se glissent dans les registres et ils sont alors exclus à ce moment-là. La sanction est radicale : ceux qui tentent d’usurper la citoyenneté sont immédiatement vendus aux enchères comme esclaves.

Droits

Les droits des citoyens changent avec l’âge. Le droit de participer à l’Ecclésia n’est acquis qu’après le service militaire, soit à vingt ans. En outre, pour faire partie des magistrats et des jurés, il faut avoir au moins trente ans. La charge d’arbitre est confiée aux citoyens de 59 ans (la dernière année de conscription). Les Athéniens, comme dans de très nombreuses autres sociétés primitives, accordent plus d’importance au jugement des anciens qu’à celui des jeunes.

En plus des droits politiques, les citoyens jouissent de quelques droits exclusifs : la cité accorde une aide sociale d’une ou deux oboles par jour aux citoyens les plus pauvres, les citoyens reçoivent des petites sommes d’argent lors des fêtes religieuses, les orphelins de citoyens morts au combat sont élevés par la collectivité, et les citoyens bénéficient de distributions de blé prioritaires lors des crises de ravitaillement. En outre, tuer un citoyen peut conduire à la peine de mort, alors que tuer un esclave ne mérite qu’une simple amende. Enfin, le citoyen ne peut jamais être torturé ni réduit en esclavage.

Il est à noter que les Athéniens ne font aucune différence entre le citoyen qui vit à la ville et celui qui vit à la campagne. Tous deux jouissent des mêmes droits, bien que le citoyen rural ait en pratique plus de difficultés pour participer aux institutions démocratiques en raison des distances à parcourir (40 km pour les villages les plus éloignés).

Les classes soloniennes

Aux prémices de la démocratie athénienne, lors des réformes de Solon, les citoyens sont divisés en quatre classes économiques :

CLASSEPRODUCTION ANNUELLE en mesures (=59L) de blés, vin ou olivesRÔLE MILITAIRE
Les PentacosiomédimnesPlus de 500Cavalerie
Les HippeisEntre 300 et 500Cavalerie
Les ZeugitesEntre 200 et 300Hoplites
Les ThètesMoins de 200Rameurs ou fantassins légers

Ces classes jouent un rôle essentiel dans la démocratie des anciens, car elles conditionnent l’accès aux magistratures. Les thètes sont alors exclus de toute charge publique et les postes les plus importants sont réservés aux pentacosiomédimnes.

Cependant, l’importance politique des classes soloniennes va progressivement diminuer jusqu’à disparaître complètement à l’époque de la démocratie radicale. Elles ne sont plus utilisées que pour le recrutement militaire.

Pour des raisons pratiques, les cavaliers sont recrutés parmi les citoyens les plus riches, car seuls eux sont en mesure d’entretenir un cheval. De même, les hoplites (infanterie lourde) sont recrutés parmi les zeugites qui ont les moyens de s’équiper en armure, lance et bouclier. Les thètes, quant à eux, sont envoyés sur les trières où ils n’ont besoin que de leurs bras pour ramer.

Cette correspondance entre les classes censitaires et les classes militaires s’efface progressivement quand l’État se met à fournir les équipements militaires. Les citoyens apprennent les différentes disciplines lors de leur service militaire et, en cas de guerre, sont affectés à une classe selon les besoins de la campagne et des équipements à disposition.

La haute société

À mesure que les classes soloniennes perdent en importance, un système parallèle se met en place. Les citoyens les plus riches se voient confier des charges à la fois prestigieuses et onéreuses : les liturgies. Il s’agit soit de financer les fêtes religieuses (chorégie) ou l’entretien d’une trière (triérarchie). Athènes confie environ 500 liturgies par an et certains citoyens en assument plusieurs, démontrant ainsi leur rang social élevé. Une liturgie peut coûter entre 100 et 6000 drachmes par an, une drachme étant l’équivalent du salaire journalier de base.

Les liturgies sont distribuées selon la richesse supposée des citoyens, mais si un attributaire constate qu’un citoyen plus riche que lui n’a aucune liturgie, il peut l’assigner devant les tribunaux pour la lui transférer.

Puisque les citoyens ne sont pas contraints d’assumer une liturgie deux années de suite, la haute société athénienne se constitue autour de 1200 hommes, dont certains ont encore des prérogatives supplémentaires : les 300 citoyens les plus riches sont chargés de collecter l’impôt sur la fortune des 900 autres avant de le verser au Trésor de la cité.

Les Métèques

Les métèques sont généralement des citoyens issus d’autres cités grecques qui, pour des raisons diverses, ont choisi d’émigrer ou ont été bannis. Les métèques sont, comme les citoyens, enregistrés dans leur dème de résidence. Cet état civil est important, car il permet de recouvrer l’impôt spécial qui frappe les étrangers, le métoikion.

Les métèques ne peuvent s’installer que s’ils sont parrainés par un citoyen. Il s’agit d’une formalité qui vise à encourager l’enregistrement des métèques dans les dèmes, puisqu’en l’absence de parrain, ils risquent d’être poursuivis en justice et d’être vendus comme esclaves.

Bien qu’il s’agisse d’un privilège de citoyen, les métèques peuvent posséder des terres s’ils ont reçu la bénédiction de l’Assemblée, ce qui arrive de temps à autre pour récompenser les métèques les plus méritants.

Les métèques sont redevables du service militaire et les plus riches d’entre eux assument des liturgies.

Les Esclaves

En temps de guerre, les soldats vaincus des cités grecques voisines sont capturés et réduits en esclavage à moins que leur famille parvienne à payer la rançon de 200 drachmes. En temps de paix, ce sont plutôt des esclaves du monde « barbare » que l’on retrouve chez les marchands de l’Agora. Ceux-ci viennent majoritairement de Thrace, de mer noire et de Syrie.

Les esclaves, comme on s’en doute, ont très peu de droits. Ils sont considérés comme des biens appartenant à leur maître et celui-ci peut en disposer à sa convenance. Ils ne peuvent se marier qu’avec l’accord de leur maître et leurs enfants deviennent propriété du maître dès la naissance. Celui-ci peut les châtier librement, et le seul témoignage juridiquement valable d’un esclave doit se faire sous la torture.

Cependant, le meurtre d’un esclave, même par son maître, est interdit. Dans les faits, les maîtres qui commettent ce genre de crime s’en sortent bien, car personne ne prend la défense de l’esclave tué, sauf s’il appartenait à un autre maître. Enfin, les esclaves peuvent demander à être vendus à un autre maître.

Tous les esclaves ne sont pas logés à la même enseigne et il y a un gouffre entre celui qui travaille dans les mines d’argent dans des conditions inhumaines et celui qui vit en toute autonomie dans sa propre maison, avec ses propres esclaves et qui verse une part de ses revenus à son maître.

S’ils parviennent à accumuler suffisamment d’argent, les esclaves peuvent acheter leur liberté, mais la chose est difficile, car ils ne sont pas censés posséder de biens. En revanche, s’ils font preuve de mérite sur le champ de bataille (ils servent généralement comme simples valets d’armes pour leur maître), ils peuvent se voir octroyer leur liberté.

Enfin, certains esclaves sont employés par l’État et jouissent d’un statut relativement autonome. Ces esclaves publics assistent le plus souvent les collèges de magistrat ou constituent une petite force armée à la disposition des assemblées pour faire régner l’ordre.

Conclusion

La citoyenneté athénienne est un privilège jalousement gardé par ses détenteurs qui n’est accordé qu’en cas d’absolue nécessité. Ainsi, alors que la démocratie est sur le point de s’effondrer face aux armées de Philippe de Macédoine en -322, l’Ecclésia offre la citoyenneté à tous les métèques et même aux esclaves prêts à prendre les armes pour défendre la cité. Malheureusement, cela ne suffit pas à éviter la défaite et, avec elle, la fin de la démocratie athénienne.

L’attachement à ce privilège peut s’expliquer par des raisons financières (les citoyens sont rémunérés quand ils participent à l’Ecclésia et à l’Héliée), mais aussi démographiques : les citoyens des régimes oligarchiques voisins n’ont quasiment aucun droit et s’ils étaient assurés d’obtenir la citoyenneté athénienne avec tous les avantages que cela suppose, ils auraient été très nombreux à immigrer vers l’Attique, engendrant une surpopulation fatale à la stabilité d’Athènes.

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 115-154)

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