Le modèle de Zakaras

Introduction

On sait depuis longtemps que l’élection favorise les individus appartenant à l’élite sociale et économique, cela était sciemment recherché dans la démocratie athénienne – pour les postes qui n’étaient pas attribués par tirage au sort – et au moment des révolutions américaine et française.

Mais l’élection est-elle un véritable mal pour la démocratie ? En donnant le pouvoir à cette élite, on prend le risque de la laisser satisfaire ses propres intérêts au détriment de l’intérêt général. Et quand bien même elle serait pétrie d’altruisme et de bonnes intentions, il lui serait impossible de voir le monde avec les yeux du commun des mortels.

Cependant, les électeurs ne sont pas démunis : ils peuvent refuser de renouveler leur confiance à un élu qui aurait négligé l’intérêt général. Mais ce contre-pouvoir est faible, car il est ponctuel et ne permet pas de juger les décisions individuellement. Or, un élu a l’occasion de prendre un nombre considérable de décisions lors de son mandat.

L’élection est à la fois égalitaire et inégalitaire : d’un côté, tous les électeurs disposent du même droit de vote et, de l’autre, les candidats appartenant à l’élite sociale et économique sont fortement avantagés par rapport à tout autre citoyen.

L’auteur, comme beaucoup d’autres, constate que le tirage au sort est un instrument démocratique sous-utilisé dans nos modèles actuels. Il propose de l’inclure dans les institutions américaines de manière à combler les défauts de l’élection.

Le modèle

La démocratie américaine se caractérise par un parlement bicaméral : le Sénat d’un côté, la Chambre des représentants de l’autre. Les deux chambres ont des pouvoirs quasiment identiques. Le Sénat représente les 50 États (100 sénateurs élus pour 6 ans), tandis que la Chambre représente l’ensemble des citoyens américains (435 représentants élus pour 2 ans).

L’auteur propose de remplacer le Sénat par une chambre tirée au sort, au niveau national et dans chaque État.

Composition

Ce nouveau Sénat est composé d’autant de citoyens tirés au sort que nécessaire, de manière à ce que la marge d’erreur statistique soit ramenée à un niveau acceptable et que l’échantillon soit le plus représentatif possible.

La durée du mandat des sénateurs tirés au sort est d’un an. Juste avant leur entrée en fonction, ils observent pendant deux mois les séances des sénateurs sortants de manière à comprendre le mode de fonctionnement du Sénat ainsi que ses us et coutumes.

Les sénateurs perçoivent une rémunération équivalente au double du salaire médian, soit environ 120 000 dollars par an. Les employeurs des citoyens tirés au sort sont obligés de les réintégrer dans leurs équipes de travail à la fin de leur mandat et perçoivent une compensation financière de l’État pour la désorganisation subie.

Les sénateurs peuvent retourner dans leur foyer quelques jours par semaine. En outre, après leur mandat, ils acceptent d’être régulièrement audités et ne peuvent être nommés à aucune fonction officielle pendant cinq ans.

Rôles

Le Sénat tiré au sort n’a pas le pouvoir d’initier des lois (comme c’est le cas du Sénat élu actuel) et se contente d’exercer un droit de veto sur les lois votées par la Chambre des représentants. Il ne peut pas proposer d’amendements non plus : s’il décide de poser un veto, c’est la Chambre des représentants qui devra revoir sa copie.

Lorsque le Sénat reçoit une proposition de loi émanant de la Chambre des représentants, il a le choix entre :

  1. Ratifier la loi qui est alors transmise au Président pour promulgation ;
  2. Et lancer un examen plus approfondi de la loi, en vue de se prononcer sur un éventuel veto.

Pour mener cet examen, le Sénat est découpé en plusieurs commissions parlementaires. C’est aussi le cas actuellement, mais ici les commissions n’ont aucun domaine de spécialisation. Lorsqu’une proposition de loi est soumise à examen, on l’attribue à une commission par tirage au sort. Celle-ci délibère et interroge des experts et parties prenantes lors d’auditions publiques de manière à se forger une opinion. Puis, lorsque ses travaux sont suffisamment avancés, elle présente ses conclusions à l’ensemble du Sénat qui se prononce sur le veto.

Au sein de la Chambre des représentants, il arrive que certaines propositions de loi soient bloquées au niveau des commissions parlementaires pour des raisons d’agenda politique. Afin de résoudre ce problème, le Sénat peut forcer la Chambre à voter sur une proposition de loi en suspens.

Le Sénat a des prérogatives spéciales concernant le découpage des circonscriptions électorales de la Chambre des représentants. En effet, ce sujet est aujourd’hui la source de beaucoup de tensions politiques, puisque les partis cherchent à créer des circonscriptions dans les lesquelles ils sont majoritaires, la règle du « winner takes all » étant de mise aux États-Unis.

Conclusion

Dans le modèle de Zakaras, le sénat tiré au sort est cantonné à un rôle simple et bien défini : examiner les propositions de loi émises par la Chambre des représentants. Le découpage du Sénat en commissions permet de traiter plusieurs sujets à la fois, ce qui semble nécessaire au vu du nombre conséquent de lois votées chaque année.

En ne confiant pas des attributions trop larges et trop créatives (initier des propositions de loi) aux sénateurs tirés au sort, l’auteur rend son modèle relativement crédible et facile à implémenter dans nos démocraties actuelles. La gestion de l’agenda politique reste dans les mains des représentants élus, mais il faut se souvenir que le Sénat a la capacité de pousser la Chambre au vote sur une proposition qui peine à émerger.

Il s’agit d’un modèle clef en main qui peut se décliner à tous les échelons inférieurs : États, régions, départements, communes, etc. Il peut aussi s’exporter ailleurs qu’aux États-Unis, en France par exemple, où certains proposent déjà de créer un Sénat citoyen.

Source

ZAKARAS – Lot and democratic representation, a modest proposal (2010)

Une réflexion sur “Le modèle de Zakaras

  1. Aux USA, depuis l’adoption de la Constitution de 1787, quelques Etats fédérés regroupent la majorité de la population. Si les lois fédérales étaient votées par une assemblée où les Etats sont représentés en proportion de leur population, une minorité d’Etats domineraient les autres. Avec une assemblée fondée sur la représentation homogène des Etats, la majorité de la population serait à la merci d’une minorité de la population.

    Pour régler ce problème, les constituants ont imaginé le « compromis du Connecticut »: les lois fédérales sont adoptées d’un commun accord par une chambre représentant la majorité de la population à l’avantage d’une minorité de grand Etats et un sénat représentant la majorité des Etats à l’avantage des peuples minoritaires. C’est à cette condition que les Américains acceptent des lois fédérales votées à la majorité simple. Sans majorité simple, l’Etat fédéral serait réduit à l’impuissance de la néoconfédération de 1777.

    Outre son rôle de légitimation, le Sénat américain est la clé de voûte du système politique fédéral. Aucune loi ne peut être votée sans son accord. Il valide les nominations du Président. Il vote seul une partie des actes diplomatiques. C’est lui qui peut destituer le Président et les agents publics les plus importants mais pas de sa propre initiative pour limiter son pouvoir. Enfin, il faut parler le « cursus honorum » fédéral: Un politicien se forge une réputation en tant que membre de la Chambre, acquière de l’expérience en tant que Sénateur, fait la preuve de sa valeur en tant que Secrétaire ou gouverneur et peut alors espérer briguer la Présidence des Etats-Unis.

    L’instauration d’un Sénat américain version Zakaras revient à jeter au feu le compromis du Connecticut, le cursus honorum et une certaine puissance de la branche législative reposant sur le Sénat. En contrepartie, l’action des lobbyistes qui « téléguident » les députés élus tous les deux ans à la chambre des Représentants serait contrecarrée par des sénateurs tirés au sort et délibérant à bulletin secret après audition des spécialistes dépêchés par les lobbies. On passe d’un lobbyisme fondé sur l’achat des votes par la promesse de faveurs à un travail d’avocat-expert devant un jury citoyen. Honnêtement, les Américains ne seraient-ils pas mieux servi par l’instauration d’une démocratie semi-directe fédérale sur le modèle Californien?

    Les réformes stochocratiques sont profitables aux plébéiens que lorsqu’il s’agit d’induire une dose de stochocratie populaire là où il n’y a pas de vote des plébéiens, pas quand le tirage au sort se substitue au vote des plébéiens. Dans le système fédéral américain, les commissions parlementaires sont très influents mais non élues. On peut sans doute tempérer leur influence en faisant élire les présidents de commission par leur chambre et en réservant une partie de sièges de chaque commission à des citoyens tirés au sort.

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