La démocratie ouverte

Dans son ouvrage Open Democracy, Hélène Landemore analyse plusieurs modes de représentation ainsi que les différences majeures entre la démocratie athénienne et nos démocraties représentatives modernes.

Ni l’une ni l’autre ne semble souhaitable ou praticable dans notre monde actuel, c’est pourquoi l’auteure développe le modèle de la démocratie ouverte qui vise à « ouvrir » les institutions démocratiques à l’ensemble des citoyens.

Ce modèle repose sur cinq principes institutionnels :

  • Le droit de participer ;
  • La délibération ;
  • La règle de la majorité ;
  • La représentation démocratique ;
  • Et la transparence des gouvernants.

Le droit de participer

Dans la démocratie ouverte, le droit de participer à la vie politique ne peut se limiter au droit de voter pour des représentants. Il doit inclure une forme de pouvoir donné aux citoyens pour influencer directement la décision publique, notamment la définition de l’ordre du jour des institutions représentatives.

Cela peut prendre diverses formes concrètes :

  • Un droit d’initiative citoyenne permettant de soumettre une proposition de loi à l’étude du Parlement ;
  • Un referendum d’initiative citoyenne pour proposer ou abroger une loi (tel que le système d’initiative populaire suisse) ;
  • Un droit de participer à une assemblée tirée au sort dotée de pouvoirs législatifs (chaque citoyen aurait les mêmes chances d’être désigné).

Les initiatives citoyennes doivent prévoir un seuil minimum de signatures pour éviter l’engorgement du système, mais celui-ci ne doit pas être trop élevé pour que le dispositif demeure accessible (contrairement à l’actuel referendum d’initiative partagé en France, par exemple).

La délibération

La procédure décisionnelle au sein d’une démocratie ouverte doit nécessairement passer par un moment de délibération (voir la théorie de la démocratie délibérative de Habermas). Ce moment doit inclure tous les participants concernés et ne pas donner la parole uniquement aux orateurs les plus charismatiques.

Le moyen le plus pratique pour organiser ces délibérations est probablement une assemblée tirée au sort. Plusieurs raisons à cela :

  • Elle est statistiquement inclusive vis-à-vis de la population concernée (contrairement à une assemblée élue) ;
  • Le nombre de représentants est limité, ce qui rend la délibération possible (contrairement à la démocratie directe) ;
  • Les participants n’ont pas de carrière à défendre et sont donc susceptibles d’exprimer honnêtement leur point de vue (contrairement aux représentants d’une assemblée élue).

Mais le tirage au sort ne fait pas tout, la procédure de délibération doit assurer la répartition équitable des temps de parole en ayant recours, par exemple, à des facilitateurs pour arbitrer des débats en petits comités.

Ce genre de dispositif délibératif existe déjà, comme, par exemple, les Citzens Initiative Review de l’Oregon qui visent à informer les électeurs avant un referendum.

Par ailleurs, il peut être judicieux de mettre à disposition des assemblées délibératives des moyens de sonder l’opinion du public, que ce soit par le biais de sondage ou d’un referendum consultatif.

La règle de la majorité

Lorsqu’une décision doit être prise après une délibération appropriée, il faut utiliser une règle de majorité. Plutôt que de définir des « supermajorités » pour certains sujets jugés importants (la modification de la Constitution, par exemple), la démocratie ouverte préconise l’emploi du jugement majoritaire.

Il s’agit d’un mode de scrutin dans lequel les votants attribuent une mention (assez bien, bien, très bien, etc.) à chaque proposition ou candidat. L’option retenue est celle qui obtient la plus haute mention majoritaire en utilisant la méthode de la meilleure médiane. Les votants peuvent ainsi exprimer leurs préférences de manière plus précise que dans un scrutin majoritaire classique.

La représentation démocratique

Contrairement à la démocratie représentative, la démocratie ouverte ne repose pas sur une seule forme de représentation, mais sur une combinaison de l’élection, du tirage au sort et de l’auto-sélection.

Chaque mode de représentation a ses forces et ses faiblesses, sans compter toutes les variantes qui peuvent être imaginées – telles que la démocratie liquide pour l’élection –, c’est pourquoi il faut chercher un moyen de les articuler ensemble pour en tirer le meilleur sur le plan démocratique.

Les différents types de représentation doivent être poussés à leur maximum de démocraticité. L’élection, par exemple, doit assurer une rotation régulière du personnel politique en limitant le nombre de mandats dans une vie ou en créant des moyens de révocations des élus. L’objectif, quel que soit le mode de représentation, est d’empêcher autant que possible la professionnalisation de la politique.

La transparence des gouvernants

La transparence est un principe nécessaire pour assurer la solidité des institutions de la démocratie ouverte. Les gouvernants, quelle que soit la manière dont ils ont été sélectionnés, doivent rendre des comptes à la population de manière à ce que le public puisse observer et juger leurs actes. La transparence concerne d’abord le processus décisionnel et ensuite, à plus faible mesure, le contenu des décisions.

Concrètement, ce principe peut prendre la forme de comptes-rendus énoncés par les assemblées représentatives à destination du public ou encore de vidéos en direct des délibérations. Il est aussi possible d’envisager la transparence et, plus largement, la responsabilisation des gouvernants, par la mise au referendum de certaines propositions de loi (en matière constitutionnelle, par exemple).

Il ne faut cependant pas négliger les impacts négatifs que l’obligation de transparence peut avoir sur la qualité des délibérations, notamment pour une assemblée tirée au sort (un participant qui sait être filmé ne s’exprimera pas aussi honnêtement qu’à huis-clos). Il peut être admis, dans certaines conditions, que la transparence soit limitée pour faire respecter l’un des quatre autres principes, ou différée dans le cas des sujets qui sont confidentiels par nature.

L’intérêt de la transparence est double : d’un côté elle responsabilise les dirigeants politiques, de l’autre, elle leur permet d’avoir l’opinion et la réaction de la population sur la politique qu’ils envisagent de mener.

Cependant, la transparence ne peut se borner à rendre publics d’obscurs comptes-rendus de délibération ou d’interminables jeux de données (cette « fausse transparence » existe déjà de nos jours). L’information doit être rendue lisible et accessible pour tous les citoyens.

Conclusion

Les cinq principes institutionnels de la démocratie ouverte sont suffisamment souples pour être appliqués dans un grand nombre de contextes différents et selon de nombreuses variantes. Il s’agit de lignes directrices qui ne demandent qu’à être exploitées pour faire évoluer nos démocraties représentatives dont l’état laisse actuellement à désirer.

L’élément central de la démocratie ouverte est l’assemblée tirée au sort, autrement appelée mini-public. Elle a un rôle de premier plan en matière législative, et peut être déclinée soit pour traiter des questions particulières, soit des questions appartenant à des échelons politiques inférieurs (région, département, commune), afin de former un réseau d’assemblées agissant en commun.

Source

LANDEMORE – Open Democracy, chapter 6 : the principles of open democracy (2020)

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