Introduction
On constate une volonté de plus en plus marquée d’inclure davantage de démocratie directe dans nos systèmes politiques. Des revendications qui prennent souvent la forme du referendum et de l’initiative citoyenne.
Cependant, de tels dispositifs consistent généralement à poser une question complexe à un public peu intéressé et peu informé.
Les auteurs de cet article (voir source) cherchent justement à proposer un modèle qui puisse réconcilier démocratie directe et délibération afin que les citoyens puissent, en bonne intelligence, choisir les lois auxquelles ils acceptent de se soumettre.
Le modèle
Dans le modèle de Richards et Gastil, le processus d’initiative législative est articulé en trois phases :
- L’identification d’une problématique ;
- La proposition d’une solution ;
- Le vote de la loi.
À chacune d’elles correspond un dispositif de démocratie délibérative. Il faut noter que ces dispositifs viennent se greffer à un modèle de démocratie représentative classique, composée d’un Parlement et d’un gouvernement élus.

La conférence de priorité
En amont du processus (tout à gauche sur le schéma), la conférence de priorité est composée de 400 citoyens tirés au sort. Elle peut être initiée par le Parlement ou une simple pétition citoyenne. Sur une durée de quatre jours, les citoyens ont pour objectif de classer un ensemble de thèmes, de sujets et de problématiques par ordre de priorité.
Les membres de la conférence étudient les sujets donnés par le Parlement ou ceux inscrits dans la pétition, mais ils peuvent aussi en ajouter d’autres de leur cru, si nécessaire. Ils peuvent également commencer à explorer quelques solutions, mais il ne s’agit pas de leur objectif principal.
À la fin de la conférence, les citoyens rédigent un rapport dans lequel ils demandent à ce qu’on légifère sur tel ou tel problème sous un délai de tant de mois. Certains membres sont chargés de suivre la prise en compte ou non de leurs recommandations par le Parlement. En cas d’échec, cela déclenche automatiquement l’organisation d’une assemblée citoyenne.
Le panel de conception
Un panel est composé de 24 citoyens tirés au sort chargés de délibérer pendant cinq jours. Un panel peut être convoqué par n’importe quel citoyen (dit « le sponsor ») qui souhaite prochainement récolter des signatures dans le cadre d’un referendum d’initiative citoyenne. Le fait de passer par un panel de conception réduit le seuil de signature nécessaire pour initier un referendum.
L’objectif du panel est d’écouter les différentes parties prenantes et de déterminer si la proposition de loi mérite des modifications avant d’aller plus loin.
À la fin du processus, le sponsor décide ou non de prendre en compte les modifications proposées par le panel. Généralement, il a intérêt à les accepter, car cela renforce la crédibilité de sa proposition de loi.
Pour éviter un usage abusif du processus, c’est le sponsor qui doit prendre en charge les coûts d’organisation du panel, et celui-ci est encadré par les services de l’État.
L’assemblée citoyenne
Composée de 150 citoyens tirés au sort, l’assemblée citoyenne délibère pendant 8 week-ends. Elle peut être convoquée par le Parlement ou bien se réunir automatiquement en cas d’inaction du Parlement suite à une conférence de priorité. Typiquement, le Parlement peut avoir intérêt à passer par une assemblée citoyenne pour les sujets que les élus n’arrivent pas à résoudre d’eux-mêmes (exemples : réforme du système électoral, sujets sensibles qui divisent l’électorat, etc.).
L’objectif est d’élaborer des recommandations pour résoudre un problème précis, déterminé en amont. Le processus est étalé sur une grande durée pour permettre aux citoyens tirés au sort de contacter des experts et recourir à des dispositifs participatifs.
Les recommandations finales sont transmises au Parlement. En l’absence de contre-proposition majoritaire, les recommandations sont directement soumises au referendum.
La revue d’initiative citoyenne (CIR)
Le CIR se tient juste avant qu’une proposition soit soumise à referendum. Il est composé de 24 citoyens tirés au sort qui se réunissent pendant une semaine afin de délibérer sur le thème du referendum.
L’objectif est de rédiger une synthèse des arguments pour et contre qui doit tenir sur une page. Pour ce faire, le CIR reçoit des parties prenantes des différents camps politiques et recense les idées les plus importantes et pertinentes de chacun. Le CIR doit rester neutre et ne pas conclure sur la meilleure option.
Cette synthèse est ensuite communiquée à l’ensemble des électeurs avant le scrutin, dans le courrier officiel qui contient les bulletins de vote.
Le jury citoyen
Composé de 50 citoyens tirés au sort, le jury citoyen délibère pendant deux semaines sur une proposition de loi qui émane soit du Parlement, soit d’une pétition citoyenne.
Dans le premier cas, le jury se substitue au Parlement pour voter et nécessite une majorité de deux tiers pour que la loi soit promulguée. Cette supermajorité résulte de la marge d’erreur statistique dans la composition du jury.
Dans le second cas, la majorité est simple, car la loi devra de toute manière passer au Parlement si elle est adoptée par le jury. Le processus peut paraître inutile, mais en réalité il donne plus de poids et de crédibilité à une proposition citoyenne.
Conclusion
Le modèle de Richards et Gastil essaye principalement de combattre l’influence que peuvent avoir des intérêts privés sur la démocratie directe. En effet, le résultat d’un referendum dépend beaucoup de la campagne communicationnelle et des moyens mis en œuvre par chaque camp pour faire valoir ses idées.
La conférence de priorité permet de briser cette emprise en donnant la possibilité aux citoyens d’exprimer sobrement leur avis de manière à constituer un agenda politique indépendant. Le panel de conception sert avant tout à donner de la crédibilité aux petites propositions peu soutenues financièrement. L’assemblée citoyenne et les CIR essayent de ramener de l’objectivité dans le débat public en analysant et en listant les arguments de chaque camp. Et enfin les jurys citoyens essayent de se détacher des campagnes référendaires en plaçant leurs membres dans un cadre propice à exprimer leur intime conviction.
Cependant, les auteurs reconnaissent aussi les limites de leur modèle :
- La mise en œuvre initiale est difficile, car ces cinq dispositifs doivent pouvoir se greffer dans le système actuel sans être rejeté par les élus ;
- Confier la rédaction des lois à de simples citoyens peut causer des problèmes de compatibilité avec les lois existantes ou la Constitution, d’où la nécessité de recourir systématiquement à des experts en droit ;
- Il y a toujours un risque que les intérêts privés parviennent à influencer ces dispositifs, notamment en concourant à leur organisation et/ou en les finançant directement.
Source
GASTIL et RICHARDS – Making direct democracy deliberative through random assemblies (2013)