Au XVIIIe siècle, le mathématicien Nicolas de Condorcet élabore une méthode de vote dont l’objectif est de représenter plus fidèlement le désir des électeurs que dans les scrutins majoritaires classiques. Le scrutin de Condorcet appartient à la famille des votes par classement. Au cours de ses travaux pour trouver la meilleure forme de scrutin, Condorcet va mettre en évidence un paradoxe d’une importance majeure.
- Les modes de scrutin
- Le scrutin majoritaire
- Le scrutin de Condorcet
- La méthode Borda
- Le vote à second tour instantané
- La méthode Bucklin
- Le vote par approbation
- Le vote par notation
- Le jugement majoritaire
- Les scrutins proportionnels de liste
- Le vote par approbation proportionnel
- Le vote unique transférable
- Les scrutins majoritaires plurinominaux
Déroulement du scrutin
Forme des bulletins

Les électeurs doivent ranger les candidats par ordre de préférence. Dans l’exemple ci-dessus, l’électeur préfère le candidat B au candidat A et au candidat C. Son bulletin de vote peut se lire ainsi : B > A > C.
Mode de dépouillement
L’objectif de la méthode est de trouver le candidat qui est préféré à tout autre. Il doit donc vaincre tous ses adversaires en duel.
Prenons par exemple le cas d’une élection où trois candidats A, B et C s’affrontent. 1000 électeurs prennent part au scrutin.
Les résultats sont comptabilisés pour toutes les combinaisons de classement possibles, par exemple :
| Combinaisons | Bulletins |
|---|---|
| A > B > C | 241 |
| A > C > B | 112 |
| B > A > C | 185 |
| B > C > A | 105 |
| C > A > B | 170 |
| C > B > A | 187 |
| TOTAL | 1000 |
Ensuite, à partir de ces résultats, on simule des duels entre tous les candidats.
Duel A versus B :
| Combinaisons | Vainqueur | Voix pour A | Voix pour B |
|---|---|---|---|
| A > B > C | A | 241 | |
| A > C > B | A | 112 | |
| B > A > C | B | 185 | |
| B > C > A | B | 105 | |
| C > A > B | A | 170 | |
| C > B > A | B | 187 | |
| TOTAL | A | 523 | 477 |
Lecture du tableau : pour la combinaison A > B > C, A est préféré à B, il reçoit donc les 241 voix des électeurs ayant choisi cette combinaison.
Après avoir comptabilisé les résultats des six combinaisons, A remporte le duel contre B à 523 voix contre 477.
Duel A versus C :
| Combinaisons | Vainqueur | Voix pour A | Voix pour C |
|---|---|---|---|
| A > B > C | A | 241 | |
| A > C > B | A | 112 | |
| B > A > C | A | 185 | |
| B > C > A | C | 105 | |
| C > A > B | C | 170 | |
| C > B > A | C | 187 | |
| TOTAL | A | 538 | 462 |
Duel B versus C :
| Combinaisons | Vainqueur | Voix pour B | Voix pour C |
|---|---|---|---|
| A > B > C | B | 241 | |
| A > C > B | C | 112 | |
| B > A > C | B | 185 | |
| B > C > A | B | 105 | |
| C > A > B | C | 170 | |
| C > B > A | C | 187 | |
| TOTAL | B | 531 | 469 |
Le vainqueur de Condorcet
Le vainqueur du scrutin est le candidat qui parvient à remporter tous ses duels. On peut l’identifier en établissant un tableau qui récapitule le résultat des duels :
| Duels | A | B | C |
|---|---|---|---|
| A contre B | Gagne | Perd | |
| A contre C | Gagne | Perd | |
| B contre C | Gagne | Perd | |
| Nombre de victoires | 2 | 1 | 0 |
Dans notre exemple, A ne perd aucun duel, il est donc désigné vainqueur de l’élection. C’est ce qu’on appelle un vainqueur de Condorcet.
Le paradoxe de Condorcet
La méthode de Condorcet serait un système « parfait » s’il existait un vainqueur de Condorcet pour chaque scrutin. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. On peut en effet se retrouver dans la situation suivante :
| Duels | A | B | C |
|---|---|---|---|
| A contre B | Gagne | Perd | |
| A contre C | Perd | Gagne | |
| B contre C | Gagne | Perd | |
| Nombre de victoires | 1 | 1 | 1 |
C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Condorcet : il n’y a aucun vainqueur. Cette situation, bien qu’assez rare en pratique, nécessite de trouver un moyen de départager les candidats.
Méthode de Black
Cette méthode consiste simplement à refaire le dépouillement avec la méthode de Borda (un autre vote par classement qui sera détaillé dans un article à venir) si aucun vainqueur de Condorcet n’est identifié.
Méthode de Tideman
De la même manière, en cas de paradoxe de Condorcet, les bulletins sont à nouveau dépouillés en utilisant un autre type de scrutin par classement, à savoir le vote à second tour instantané (détaillé dans un article à venir).
Méthode de Copland
Dans la méthode de Copland, le vainqueur est celui qui a remporté le plus de duels. Cette méthode ne fonctionne que s’il y a un grand nombre de candidats, sinon les ex æquo sont fréquents.
Par exemple, s’il y a cinq candidats, le tableau des duels peut être le suivant :
| Duels | A | B | C | D | E |
|---|---|---|---|---|---|
| A contre B | Perd | Gagne | |||
| A contre C | Gagne | Perd | |||
| A contre D | Gagne | Perd | |||
| A contre E | Perd | Gagne | |||
| B contre C | Perd | Gagne | |||
| B contre D | Gagne | Perd | |||
| B contre E | Perd | Gagne | |||
| C contre D | Perd | Gagne | |||
| C contre E | Gagne | Perd | |||
| D contre E | Perd | Gagne | |||
| Nombre de victoires | 2 | 2 | 2 | 1 | 3 |
On voit qu’il n’y a pas de vainqueur de Condorcet puisqu’aucun candidat n’a remporté tous ses duels. En revanche, E est le vainqueur de Copland, car il a remporté plus de duels que tous les autres.
Méthode Minimax
Cette méthode consiste à identifier, pour chaque candidat, la défaite la plus défavorable. En reprenant l’exemple précédent, A a subi deux défaites, une contre B et une contre E. S’il n’a eu que 43% des voix contre B et 46% contre E, on retient 43%. Voici ce à quoi pourrait ressembler le tableau des duels avec les scores des défaites :
| Duels | A | B | C | D | E |
|---|---|---|---|---|---|
| A contre B | Perd (43%) | Gagne | |||
| A contre C | Gagne | Perd (17%) | |||
| A contre D | Gagne | Perd (45%) | |||
| A contre E | Perd (46%) | Gagne | |||
| B contre C | Perd (32%) | Gagne | |||
| B contre D | Gagne | Perd (33%) | |||
| B contre E | Perd (41%) | Gagne | |||
| C contre D | Perd (29%) | Gagne | |||
| C contre E | Gagne | Perd (40%) | |||
| D contre E | Perd (44%) | Gagne | |||
| Nombre de victoires | 2 | 2 | 2 | 1 | 3 |
| Plus mauvaise défaite | 43% | 32% | 17% | 33% | 40% |
Ici, le candidat A est celui dont la plus mauvaise défaite est la plus élevée, c’est donc lui qui remporte le scrutin.
Méthode de Kemeny-Young
Il s’agit ici d’attribuer un score à chaque combinaison de classement des candidats (A > B > C ; B > A > C ; etc.). Le score est calculé en fonction des résultats des duels. Par exemple, B > A > C a un score équivalent à la somme des voix qui classent B > A, B > C, et A > C. Si l’on reprend les chiffres du premier exemple, pour B > A > C cela donne 477+531+538 = 1546. Le classement de toutes les combinaisons donne :
| Combinaisons | Score |
|---|---|
| A > B > C | 1592 |
| A > C > B | 1530 |
| B > A > C | 1546 |
| B > C > A | 1470 |
| C > A > B | 1454 |
| C > B > A | 1408 |
La combinaison A > B > C obtient le plus haut score, c’est donc A qui remporte le scrutin (puisqu’il est préféré à tout autre dans cette combinaison).
Méthodes utilisant un graphe orienté
Dans ce type de méthode, les duels sont représentés sous forme graphique : les candidats deviennent des sommets reliés entre eux par des flèches. La flèche part du gagnant et pointe le perdant du duel, elle est porteuse d’une valeur correspondant au nombre de voix d’avance dans le duel. Par exemple, dans le premier cas pratique, le duel A contre B se soldait par une victoire de A à 523 voix contre 477. Cela se traduit graphiquement par une flèche de A vers B avec une valeur de 523-477 = 46, noté AB (46).
Il existe plusieurs méthodes pour trouver un vainqueur à l’aide du graphe.
La méthode du rangement des paires par ordre décroissant vient de Condorcet lui-même. Elle consiste à placer les flèches par ordre décroissant sur le graphe. Toutefois, si placer une flèche a pour effet de créer une boucle à l’intérieur du graphe, elle doit être retirée (les boucles sont à l’origine du paradoxe de Condorcet qui empêche de trouver un vainqueur). Le vainqueur est le sommet qui n’est visé par aucune flèche.
Exemple avec une élection de cinq candidats A, B, C, D et E. Après avoir fait s’affronter tous les candidats en duel, on obtient les valeurs de flèche suivantes par ordre décroissant : BD (21), ED (17), AD (15), CB (13), DC (11), EB (9), AC (7), BA (5), CE (3), et EA (1).


La méthode de Schulze repose également sur un graphe. Toutes les flèches sont posées, puis on élimine progressivement les flèches de plus petite valeur jusqu’à ce qu’un sommet ne soit visé par aucune flèche.
Exemple avec les mêmes données que précédemment :


On remarque que le vainqueur (E) n’est pas le même que le vainqueur déterminé par la méthode du rangement des paires par ordre croissant (A).
Méthode de Condorcet randomisée
La méthode de Condorcet randomisée se base sur des loteries. Une loterie donne à chaque candidat un certain pourcentage de chance d’être élu par tirage au sort, par exemple : 50% pour A, 50% pour B et 0% pour C. Le but de la méthode consiste à déterminer la loterie qui arrive à battre toutes les autres loteries potentielles en duel. Il s’agit donc d’un second scrutin de Condorcet, sauf que celui-ci ne peut déboucher sur aucun paradoxe, il y a forcément une loterie vainqueuse. Celle-ci est utilisée pour tirer au sort le candidat vainqueur de l’élection si le premier scrutin débouche sur un paradoxe. Cependant, déterminer la « loterie de Condorcet » demande des calculs mathématiques sophistiqués, car le nombre de loteries potentielles est extrêmement grand.
Avantages et inconvénients
La grande qualité des scrutins de Condorcet est, bien évidemment, de trouver un vainqueur de Condorcet lorsqu’il existe, ce qui en fait potentiellement d’excellents systèmes de vote pour traduire la volonté des électeurs. Par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2007, François Bayrou aurait été élu avec le scrutin de Condorcet, car il battait tous les autres candidats en duel selon les sondages, même Nicolas Sarkozy, le vainqueur de l’élection.
Les méthodes par graphe orienté sont les plus robustes, car elles sont indifférentes aux clones et aux options non pertinentes : le résultat ne change pas si des candidats supplémentaires sont ajoutés. En revanche, ce sont aussi les plus complexes.
Les scrutins de Condorcet ne sont pas insensibles au vote stratégique, notamment la technique de l’enterrement (burial en anglais) qui vise à placer un candidat populaire en bas du classement pour l’empêcher de gagner, alors que ce n’est pas le candidat que l’on juge le plus mauvais.
Toutes les méthodes de Condorcet souffrent d’un problème de complexité lié au dépouillement. Condorcet admettait lui-même que son scrutin avait peu de chance d’être utilisé en pratique, car la simulation des duels et le nombre de combinaisons sur les bulletins de vote augmentent de manière exponentielle avec le nombre de candidats. Dépouiller des millions de bulletins et déterminer le vainqueur est une opération fastidieuse qui ne peut se faire aussi simplement que dans un scrutin majoritaire.
De plus, le vote par classement ne permet pas aux électeurs d’exprimer toute la nuance de leurs préférences. En effet, ils peuvent préférer très largement un candidat à un autre et, au contraire, trouver deux candidats équivalents, mais ils n’ont aucun moyen d’exprimer cette pondération.
Comme pour tous les votes par classement, remplir un bulletin exige des efforts de réflexion bien plus poussés de la part des électeurs que pour un scrutin majoritaire où il suffit de choisir un candidat favori.
Utilisation
La méthode Schulze est utilisée par plusieurs partis politiques (parti pirate, parti des Socialistes démocrates d’Amérique, Volt Europe, etc.) et quelques organisations et associations, notamment dans le milieu informatique.
La méthode de Copeland est parfois utilisée dans des tournois sportifs.
Sources
Wikipédia ENG – Condorcet method
Wikipédia ENG – Condorcet efficiency
Wikipédia ENG – Comparison of electoral systems
Vidéo de Lê Nguyên Hoang, l’inventeur de la méthode de Condorcet randomisé :
L’avantage caché des méthodes de scrutin d’une telle complexité (dans le dépouillement notamment), c’est que le choix stratégique (ou « vote utile ») s’en retrouve grandement affaibli. D’une part, car chacun se prononce sur plusieurs candidats, d’autre part parce que l’électeur moyen est incapable de comprendre l’impact réel des différentes stratégies possibles. Il faut avoir fait math sup pour ça, haha !
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