La responsabilité politique

Définition

La responsabilité politique est une relation entre gouvernants et gouvernés dans laquelle les premiers doivent rendre compte de leurs actions aux derniers. On dit qu’un représentant est responsable devant ses représentés.

Avec cette définition minimale, on observe que rien ne garantit la prise en compte par les gouvernants des attentes et des besoins des gouvernés. Ceux-ci n’ont pas nécessairement le pouvoir de sanctionner les gouvernants en cas de mauvaise gestion.

Les députés, par exemple, sont responsables devant leurs électeurs. Ils leur rendent des comptes d’une manière non institutionnalisée, souvent lors de la campagne de réélection et, en retour, les électeurs peuvent sanctionner les élus en refusant de les réélire si leur mandat est jugé comme insatisfaisant.

Les élus agissent donc en anticipant ce que Bernard Manin appelle le « jugement rétrospectif » des électeurs, ce qui les empêche d’abuser de leur pouvoir et de succomber à la corruption.

La responsabilité politique au sens large comprend ainsi quatre composantes :

  • La responsabilité politique stricto sensu consistant pour un gouvernant à rendre des comptes à des gouvernés ;
  • La capacité des gouvernés à sanctionner les gouvernants en cas de mauvaise gestion ;
  • La prévention de la corruption des gouvernants par la crainte de la sanction ;
  • L’incitation des gouvernants à répondre aux attentes des gouvernés pour, une fois encore, ne pas écoper de la sanction.

Un représentant tiré au sort est-il politiquement responsable ?

Un représentant tiré au sort ne peut être tenu responsable de ses actes de la même manière qu’un élu, car il n’est pas soumis à la sanction électorale. Les citoyens n’ont aucun moyen d’agir sur la sélection d’un tel représentant et ne peuvent pas non plus le sanctionner. Mais cela veut-il dire qu’il n’a aucune forme de responsabilité politique ?

Dans la démocratie athénienne, le tirage au sort était vu comme l’outil anti-corruption par excellence. Les citoyens les plus riches ne pouvaient pas placer leurs fidèles aux postes clefs comme dans les oligarchies, car tout était attribué par le hasard. De plus, les représentants tirés au sort agissaient toujours en groupe, il fallait donc tous les corrompre pour obtenir leurs faveurs. Et quand bien même on parvenait à acheter un collège entier de magistrats, ses membres ne siégeaient que pour une année avant d’être renouvelés, ce qui, en définitive, limitait grandement l’intérêt financier de la corruption.

Les magistrats athéniens satisfaisaient à la notion stricto sensu de responsabilité puisqu’ils devaient rendre des comptes à la fin de leur mandat lors des euthynai et pouvaient être accusés à n’importe quel moment de l’année de corruption via une eisangélie. Ces procédures s’accompagnaient aussi d’une sanction judiciaire si les jurés étaient mécontents du bilan des magistrats tirés au sort (les sanctions n’étaient cependant pas aussi sévères que pour les magistrats élus).

Un représentant auto-sélectionné est-il politiquement responsable ?

À l’Ecclésia, tout citoyen pouvait prendre la parole pour défendre une loi ou émettre une contre-proposition législative. Si la loi était adoptée, elle était encore susceptible d’être cassée devant les tribunaux par la procédure de la graphè paranomon. Le citoyen qui avait proposé la loi pouvait alors écoper de sanctions lourdes s’il était reconnu coupable d’avoir agi contre l’intérêt du peuple.

Les représentants auto-sélectionnés étaient donc responsables et punissables dans la démocratie athénienne. Il faut cependant noter que ce genre de dispositif serait contestable de nos jours. Les budgets participatifs, par exemple, ne prévoient aucun moyen de sanctionner les participants s’ils adoptent un budget jugé contraire à l’intérêt général.

Au cours de l’histoire de la démocratie athénienne, les pouvoirs de l’Ecclésia ont été réduits en raison de sa propension à succomber aux paroles des démagogues. Les Athéniens lui ont préféré les tribunaux de l’Héliée, dont les membres tirés au sort étaient jugés plus responsables que les 6000 citoyens de l’Ecclésia. La responsabilité politique des représentants auto-sélectionnés était donc perçue comme assez faible, même à l’époque.

Un représentant élu est-il politiquement responsable ?

En matière de reddition des comptes, les élus sont poussés à faire un bilan de leur mandat à l’approche des élections, car cela fait partie des enjeux d’une campagne électorale. Cependant, cette pratique se déroule en dehors de tout cadre formel ou judiciaire comme pouvaient l’être les euthynai athéniens. Puisque chaque candidat cherche à apparaître sous son meilleur jour, il faut compter sur l’assiduité de ses adversaires ou de commentateurs indépendants pour mettre en avant les aspects négatifs de son mandat.

Le phénomène de sanction électorale, quant à lui, est critiqué. Certes, il est probable que certains électeurs votent de manière à sanctionner les élus dont le bilan est mauvais, mais combien votent uniquement sur la base des promesses énoncées par chaque candidat ? Et que dire des élus qui ne peuvent pas se présenter à leur réélection ? N’ont-ils aucune responsabilité politique si personne ne peut les sanctionner ? On peut aussi se demander si la menace d’un mauvais score aux prochaines élections est une sanction suffisamment sévère pour inciter les élus à agir dans les intérêts de leurs électeurs et à se défier de la corruption. De plus, les électeurs ne peuvent user de leur droit de sanction qu’à un moment précis, tous les quatre ou cinq ans, sans pouvoir distinguer les actes de l’élu qu’ils jugent contestables de ceux qu’il estime acceptables.

Conclusion

L’élection n’apparaît pas comme un moyen formidable de responsabiliser les dirigeants politiques et, surtout, elle n’a aucune raison d’en revendiquer le monopole.

Les représentants tirés au sort et auto-sélectionnés peuvent également, selon les outils de contrôle et de sanction en place, être politiquement responsables à plus ou moins fort degré. Le tirage au sort, en particulier, par sa nature aléatoire, responsabilise ses représentants par la réduction drastique de la corruption.

En outre, il ne faut pas oublier que la responsabilité politique ne doit pas être vue comme une qualité indispensable à la démocratie. Il s’agit plutôt d’un gage de bonne gouvernance des institutions.

Source

LANDEMORE – Open Democracy, chapter 4 : legitimacy and representation beyond elections (2020)

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