Modes de sélection des assemblées citoyennes

Introduction

Les gouvernements du monde entier ont de plus en plus recours aux assemblées citoyennes, car celles-ci permettent d’engager un dialogue démocratique avec des citoyens tirés au sort.

Cependant, l’organisation d’une assemblée citoyenne n’est pas standardisée et chaque pays, chaque ville utilise ses propres règles en fonction du contexte local et des conseils fournis par les experts en participation. Cela est d’autant plus vrai que ces assemblées sont rarement institutionnalisées, il s’agit le plus souvent d’expériences démocratiques isolées.

La méthode de tirage au sort des citoyens varie donc grandement d’une expérience à l’autre. L’auteure de l’article (voir source) s’intéresse à cette diversité et cherche à évaluer les différentes méthodes utilisées au regard de trois principes : aléatoire, représentativité, et égalité.

Les trois principes

Aléatoire

Par nature, le tirage au sort des membres d’une assemblée citoyenne est aléatoire. Cependant, en pratique, on observe plusieurs limitations :

  • Il est généralement impossible de trouver une liste ou un registre qui recense l’intégralité des citoyens. Certains individus sont donc exclus du tirage au sort (c’est notamment le cas si l’on utilise les listes électorales où tout le monde n’est pas inscrit).
  • Le biais d’auto-sélection. Les citoyens tirés au sort doivent accepter leur mandat, ce qui exclut de facto tous les citoyens qui le refusent (non volontaires) ; or il s’agit bien souvent des groupes les plus marginalisés de la population.
  • Les organisateurs sont obligés d’utiliser une méthode de stratification afin de respecter certains quotas démographiques (âge, genre, éducation, etc.), car s’ils ne le faisaient pas, la marge d’erreur statistique serait trop élevée compte tenu de la taille de l’échantillon qui excède rarement 200 personnes.

Représentativité

Les membres d’une assemblée citoyenne ne sont pas représentatifs parce qu’on les a choisis, mais parce qu’ils ressemblent à la population, c’est ce qu’on appelle une représentativité descriptive. Ainsi, on parle souvent de « mini-public » pour désigner les assemblées citoyennes, parce qu’elles constituent un échantillon représentatif de la population dans son ensemble.

Cependant, comme cela a été vu précédemment, le tirage au sort ne permet pas d’obtenir une assemblée véritablement représentative à cause du manque de registre fiable et du biais d’auto-sélection.

Dans le but de contrebalancer ces effets, certaines assemblées citoyennes décident de sur-représenter les groupes non volontaires, une pratique qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique, mais qui permet de mieux inclure ce public dans les délibérations.

Égalité

De la même manière que tous les citoyens éligibles ont le même droit de vote, tous les citoyens doivent avoir les mêmes chances d’être tirés au sort dans le cadre d’une assemblée citoyenne.

En outre, le tirage au sort et la rotation des postes de pouvoir permettent d’instaurer le sentiment que les gouvernants et les gouvernés sont égaux, puisque les gouvernants redeviendront gouvernés et que les gouvernés ont une chance de devenir gouvernants.

Or, cette égalité peut être compromise si la procédure de tirage au sort vise à satisfaire certains quotas démographiques ou à surreprésenter des groupes minoritaires.

Évaluation des méthodes de tirage au sort

L’auteure choisit de découper la procédure de tirage au sort d’une assemblée citoyenne en trois étapes :

  • La définition de la composition de l’assemblée par les organisateurs
  • Le premier tirage au sort qui sélectionne des volontaires parmi la population
  • Le second tirage au sort qui sélectionne l’échantillon final parmi les volontaires en respectant des quotas démographiques

Une trentaine d’assemblées citoyennes organisées en Europe (dont la moitié au Royaume-Uni) sont analysées dans le cadre de cette étude.

Étape 1 : définition de la composition de l’assemblée

Globalement, la composition initialement souhaitée des assemblées citoyenne est représentative de l’ensemble de la population visée.

On note toutefois une exception concernant la sur-représentation du critère géographique. Il arrive fréquemment que des sièges soient réservés aux habitants de certains territoires, régions, ou quartiers alors que leur poids dans la population totale est négligeable, ceci afin de garantir que tous les espaces géographiques soient représentés.

Concernant l’éligibilité des participants, l’âge minimal oscille entre 15 et 18 ans, mais il est de 16 ans dans la très grande majorité des cas. Parfois, le processus est réservé aux citoyens dotés du droit de vote et parfois il concerne l’ensemble des résidents, citoyens ou non. Dans la plupart des cas, les fonctionnaires gouvernementaux et les élus sont inéligibles au tirage au sort.

Étape 2 : premier tirage au sort

Les modes de sélection des volontaires varient beaucoup en fonction du contexte :

  • Dans près de 80 % des cas, des invitations sont envoyées par courrier à des adresses tirées au sort. Cela convient notamment aux assemblées se déroulant à l’échelle locale et qui ne font pas de distinction entre citoyens et non-citoyens. En outre, puisque les invitations ne sont pas nominatives, n’importe quel membre du foyer peut accepter le mandat.
  • Les participants peuvent aussi être choisis en appelant des numéros de téléphone au hasard. Cette méthode est plus commode pour les assemblées se déroulant au niveau national. Elle a notamment été utilisée pour la Convention citoyenne pour le climat.
  • Dans de rares cas, lorsque le tirage au sort est institutionnalisé, les membres de l’assemblée sont choisis parmi des registres officiels tenus par les mairies.
  • Enfin, il est aussi possible de lancer un appel à volontaires afin de demander aux citoyens de s’inscrire directement sur une liste. Cette méthode a l’avantage d’être moins coûteuse, mais elle introduit un plus grand biais d’auto-sélection. Elle est peu utilisée en pratique.

Il a fréquemment été constaté des entorses au principe d’égalité concernant le tirage au sort des adresses. En effet, cette méthode serait parfaite si chaque adresse comptait le même nombre de citoyens, mais en pratique ce n’est pas le cas. Ainsi ceux qui habitent seuls ont plus de chance d’être tirés au sort que ceux qui habitent à plusieurs. En outre, lorsque l’invitation arrive dans un foyer, cela crée un biais supplémentaire, puisque ce sont les membres du foyer qui décident lequel d’entre eux participera. Or, cela peut conduire à l’exclusion de personnes déjà peu actives politiquement.

Il en va de même pour les numéros de téléphone, cela exclut de facto ceux qui n’ont pas de téléphone, ceux qui ne répondent jamais à des numéros inconnus, ou ceux qui ne sont pas disponibles sur la tranche horaire de travail de l’institut de sondage.

Étape 3 : second tirage au sort

Les citoyens volontaires sont invités à s’enregistrer sur une plate-forme en ligne, par courrier ou téléphone afin de fournir leurs données démographiques, puis un algorithme se charge de tirer au sort tout en respectant les quotas imposés : il s’agit de la stratification. Pour ce faire, trois types d’algorithmes sont utilisés :

  • L’algorithme « glouton » qui attribue les sièges un à un, en priorité aux profils démographiques peu représentés. Par exemple, s’il est arrivé au 40e siège et qu’il manque des femmes ainsi que des personnes de plus de 60 ans, alors il va attribuer le siège par tirage au sort parmi les volontaires femmes de plus de 60 ans.
  • Le « recuit simulé » est un algorithme qui tire au sort une première composition d’assemblée, puis qui cherche à l’affiner de plus en plus jusqu’à ce qu’elle satisfasse les différents critères démographiques.
  • L’algorithme LEXIMIN génère d’abord toutes les compositions d’assemblées possibles qui satisfont les critères démographiques imposés, puis crée un groupe de compositions qui garantit une juste répartition parmi l’ensemble des volontaires. Enfin, la composition finale est tirée au sort parmi les compositions retenues.

En pratique, les organisateurs d’une assemblée citoyenne n’ont pas toujours les moyens de vérifier si l’algorithme respecte bien le principe d’égalité. En effet, la plupart de ces algorithmes sont des « boîtes noires » dont le code est inaccessible, car propriété d’instituts de sondage. En revanche, il existe quelques alternatives open source (notamment LEXIMIN) qui permettent d’être audités par des experts indépendants.

Il arrive fréquemment que le second tirage au sort soit complété « manuellement » en catastrophe parce que certains quotas ne peuvent pas être remplis, faute de volontaires. Cela est particulièrement problématique lorsque la sélection de ces membres ne fait pas l’objet d’une procédure égalitaire de tirage au sort. Cela arrive généralement lorsque le premier tirage au sort est mal calibré et que le nombre d’invitations est insuffisant. En effet, il est assez difficile de prévoir à l’avance quel sera le taux de volontaires dans une population donnée, cela dépend du contexte et de la légitimité de l’événement aux yeux des citoyens.

Conclusion

L’auteure montre que les principes de représentativité et d’aléatoire sont globalement respectés, mais que l’égalité est régulièrement mise à mal dans la procédure de tirage au sort des assemblées citoyennes. Cela s’explique, car le manque d’égalité n’est pas directement perceptible par les citoyens, alors qu’un manque de représentativité est plus facilement observable. C’est donc ce dernier qui est priorisé par les organisateurs.

En outre, elle souligne aussi que dans un nombre important de cas, les organisateurs ne sont pas assez transparents sur les méthodes utilisées, ce qui ne permet pas d’en faire l’évaluation.

Ainsi, il ne suffit pas de tirer au sort pour que chaque citoyen ait une chance équivalente de participer à la vie politique, encore faut-il le faire dans les bonnes conditions, avec la bonne méthode et les bons outils.

Source

GASIOROWSKA – Sortition and its Principles: Evaluation of the Selection Processes of Citizens’ Assemblies (2023)

Laisser un commentaire