Nouvelles du cycle d’Athéna (à lire dans l’ordre)
Le prénom
Cycle d’Athéna [1/7] Almodis doit choisir un prénom pour l’héritière du Duché.
La pièce
Cycle d’Athéna [2/7] Le hasard peut-il décider de tout à notre place ?
La statue
Cycle d’Athéna [3/7] Un matelot reçoit la statue la plus prestigieuse de la Cité.
L’île
Cycle d’Athéna [4/7] Des pirates imposent un jeu cruel à Athéna et ses compagnons.
La villa
Cycle d’Athéna [5/7] Athéna devient esclave au sein d’une prestigieuse villa.
Le sceptre
Cycle d’Athéna [6/7] Où s’arrête la responsabilité d’un citoyen tiré au sort ?
Le tribunal
Cycle d’Athéna [7/7] Athéna se défend devant le Juge et les jurés.
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Le bon maître Eusèbe convoque Athéna, son esclave la plus brillante.
— Laisse-moi te conter une heureuse nouvelle : j’ai décidé de t’affranchir, annonce-t-il en souriant.
Eusèbe a toujours traité Athéna avec bienveillance et, de longue date, lui avait promis sa libération.
— Votre décision m’honore, répond-elle en s’inclinant, mais elle me paraît soudaine.
— Si la surprise est trop grande, sache que tu peux rester à mon service, ajoute-il plaisamment.
— À force de gérer vos affaires, j’ai fini par vous connaître : il n’est rien que vous fassiez au hasard. Mon affranchissement, aussi généreux soit-il, doit s’inscrire dans une plus large pensée.
Athéna n’est point une esclave comme les autres. Son intelligence lui a très tôt valu de gagner la confiance de son maître. Tant et si bien qu’au fil de nombreuses et savantes discussions, ils ont fini par adopter entre eux une liberté de parole qui ne tient compte ni du rang de l’un ni du rang de l’autre.
— Comme toujours, tu ne manques pas de clairvoyance, Athéna. Je vais démystifier les contours de ma réflexion. Sais-tu que plusieurs réformes ont été adoptées à la cité ?
— Certes, on m’en a parlé. Désormais, les magistratures seront attribuées par le sort parmi les citoyens volontaires.
— Parfaitement, tu n’es pas étrangère à ces méthodes. On espère ainsi éviter à la cité de tomber sous le joug d’avides tyrans. La prochaine rotation des charges aura lieu dans un mois, et je souhaiterais que tu t’y présentes.
La proposition provoque chez Athéna de perplexes pensées. Assumer une magistrature suppose de grandes responsabilités et une connaissance fine des jeux politiques de la cité. Elle rêve plutôt de reprendre son voyage pour découvrir le monde. Cette charge lui mettrait sur les épaules un fardeau qu’elle n’a jamais désiré porter.
— Il ne vous échappera pas, ajoute-t-elle prudemment, que je ne suis point citoyenne. Je ne peux prétendre à ces hautes fonctions.
— Une fois affranchie, avec mon soutien, acquérir la citoyenneté te sera aisé.
— Ai-je les compétences requises ? N’y a-t-il pas, pour ces offices, des candidats de plus grande envergure ?
— Ne doute pas de tes capacités, Athéna. J’ai vu comment tu administrais mon domaine, j’y vois beaucoup de dévouement et de sagesse. Cette cité a besoin de bonnes âmes comme la tienne. Le savoir et l’expérience sont une chose, la manière de s’en servir en est une autre. Je n’exige de toi que cinq années, reprend le maître. Tu te présenteras tous les ans au tirage au sort et tu ne pourras quitter notre contrée. Après ce délai, ma foi, tu feras ce qu’il te chante. Je n’aurai plus de prise sur ta personne.
Eusèbe ne rend la liberté à son esclave que pour mieux l’asservir. Mais Athéna n’est guère en position de négocier.
— Soit, concède-t-elle, j’accepte vos conditions. De vous, bon maître, j’attendais nécessairement un peu de ruse dans cet accord et, sur ce point, vous n’avez pas trahi vos habitudes.
Le lendemain, Athéna redevient une femme libre. Eusèbe l’annonce au Tribunal, de sorte que de nombreux et estimés personnages puissent en témoigner. Avec d’habiles manœuvres, il convainc aussi les autorités de lui conférer la citoyenneté. Parée de sa nouvelle toge, Athéna se présente comme convenu au tirage au sort annuel. Dans la grande urne, l’huissier brasse les jetons, mais ne saisit jamais celui d’Athéna, à son grand soulagement.
Pendant quelque temps elle continue d’assister Eusèbe dans ses affaires, puis elle entreprend de visiter la région : elle arpente les collines et les montagnes, philosophe avec des bergers, écoute les légendes paysannes et apprend même les rudiments de l’herboristerie auprès d’une vielle femme de la forêt. Ce n’est qu’en rencontrant de nouvelles personnes et en découvrant de nouveaux paysages qu’Athéna s’épanouit.
Une année s’écoule ainsi. Une seconde fois, Athéna se présente à la cérémonie qui se déroule sur la place publique. De nombreux citoyens attendent ce moment, ils espèrent souvent être nommés aux fonctions les plus prestigieuses. Entre les rangs, à mesure que l’huissier tire les jetons au sort et annonce les noms, les intrigues vont bon train :
— Je me demande, cette année, qui va obtenir la magistrature du Trésor.
— Et moi, je souhaite à mon fils de recevoir la gestion des temples. Il y gagnera l’influence et le renom nécessaires à ses futurs projets.
Athéna, elle, n’attend rien. Elle souhaite simplement que son jeton reste bien au fond de ce vase et n’en ressorte jamais.
— Athéna, prononce solennellement l’huissier.
Le cœur de la jeune citoyenne se soulève.
— Vous occuperez la magistrature du patrimoine, poursuit-il.
Déjà, l’huissier plonge sa main dans l’imposante vasque et s’apprête à désigner le bénéficiaire de la prochaine magistrature. Athéna n’a pas la moindre idée de ce que sa fonction suppose. Lui demandera-t-on de régler les affaires de succession ? De prélever l’impôt ? La cérémonie achevée, elle se presse aux portes du palais pour se renseigner.
— Vous voilà, magistrate ! hèle un officiel. Je suis votre prédécesseur, mon rôle, avant de prendre congé, est de vous expliquer la charge qui désormais vous échoit.
— Cela me serait, en effet, d’un secours fort apprécié, avoue Athéna.
— Le magistrat du patrimoine est chargé de conserver, protéger et enrichir les œuvres et les reliques de la cité. À ce titre, vous disposerez des clefs des différents coffres, caveaux, et autres lieux d’exposition. Vous pourrez aussi demander des fonds au Trésor pour acquérir de nouvelles créations et entretenir les anciennes.
L’aimable citoyen visite avec Athéna les grandes salles où sont entreposés bronzes, bustes, marbres, orfèvreries et autres tapisseries d’inestimable valeur. Un amateur mourrait de vieillesse avant d’avoir pu en faire le complet inventaire. Athéna, quant à elle, ne connaît rien aux choses de l’art. Elle se trouve bien dépourvue face à ce trésor qu’on lui demande d’administrer.
Les premiers jours, elle essaye tant bien que mal de poursuivre les travaux de son prédécesseur. Elle revoit, avec les miliciens, le périmètre de leur tour de garde, de sorte qu’ils vérifient régulièrement les lieux d’entreposage. Cela, très tôt, lui vaut des ennemis au sein de l’armée :
— Nous serons beaux, dans cette cité, avec nos marbres et nos étoffes quand les barbares franchiront nos portes désertes !
Athéna apprend que la politique est un jeu qui consiste autant à décevoir qu’à satisfaire. Plus tard, quelques notables viennent se plaindre :
— Magistrate, cela fait moult temps que dans notre cité les œuvres n’ont pas changé. Ne serait-il pas judicieux d’apporter à notre patrimoine un brin de nouveauté ?
Eusèbe, qui fait partie du groupuscule, ajoute :
— L’art ne sert pas qu’à contenter la plèbe, il est aussi propice aux affaires. Parer la cité de nouveaux atours, c’est la rendre plus attrayante aux yeux des étrangers. Exhiber un riche apparat est un moyen simple de projeter puissance et respect à ses voisins. Il peut même, en certaines circonstance, éviter bien des conflits.
Lorsqu’elle demande quelques fonds au Trésor, voici ce qu’on lui répond :
— Bien sûr, acheter fait toujours d’heureuses affaires. Que la dépense est simple en ce monde ! Il suffit de donner pour être aimé. Magistrate, n’oubliez pas que dans nos coffres l’or n’est point endémique. Chaque pièce est arrachée au plaisir d’un citoyen dans le seul but de financer le bien commun. Ceux qui trahissent cette idée ne restent pas longtemps impunis.
Athéna ne souhaite pas s’exposer outre mesure aux sanctions judiciaires, elle reste donc prudente. Mais le désir de nouveauté s’amplifie parmi les citoyens et conseillers qui chaque jour lui transmettent leurs doléances.
Un jour, un seigneur en exil transite par la cité. Il s’est échappé d’un lointain royaume et, dans sa fuite, a emporté quantité de précieuses reliques. La rumeur court qu’il souhaite en céder quelques-unes pour financer son coûteux voyage vers des terres où ses exploits demeureraient inconnus. Avisée de cette opportunité, Athéna inspecte les artefacts du noble fuyard.
Un sceptre retient son attention. Tout d’or plaqué, une grosse émeraude le surplombe. D’autres pierres, moins orgueilleuses, hérissent la surface de l’objet. Ce genre d’orfèvrerie est rare dans la région, il n’y a rien, dans ce qu’Athéna a vu du patrimoine, qui s’y rapporte. En jouant sur la situation précaire du seigneur exilé, elle obtient de lui une substantielle ristourne.
Le sceptre, désormais, trône dans la salle des ambassadeurs ; de sorte que les dignitaires étrangers, lorsqu’ils viennent parlementer avec les diplomates de la cité, puissent admirer ce puissant symbole. Athéna, par cet habile achat, a su contenter de nombreux partis. Sa tâche, à présent, lui semble moins rude : elle se contente des affaires courantes en attendant le terme de son mandat où elle pourra enfin retourner à la vie itinérante qu’elle affectionne.
Alors que l’échéance tant attendue approche, le gouverneur d’une cité voisine, connu pour ses passions artistiques, est invité pour régler un litige naissant. Dans la salle des ambassadeurs, son attention se porte sur l’ostensible sceptre. Afin de faciliter des négociations qui ne sont pas en leur faveur, les diplomates font décrocher le lourd symbole d’autorité, de sorte que le gouverneur puisse mieux l’admirer. En le prenant dans ses mains, d’abord impressionné il se montre ensuite curieux, puis franchement étonné :
— Qu’est-ce donc que cela ? Je vous savais avaricieux, mais pas au point de mentir sur votre art.
— Comment ? Que dites-vous ? s’inquiètent les diplomates.
— Vous osez me présenter à moi, grand connaisseur, une si piteuse imitation ? Songeriez-vous à m’insulter ? Ces gemmes sont factices, de pâles imitations en vérité ! N’importe quel amateur peut le réaliser.
Les diplomates se confondent en excuses. L’affaire prend un mauvais tournant lorsque le gouverneur menace de répandre la nouvelle aux quatre coins de la région, faisant de la cité la risée de tous. On saura alors qu’elle est trop pauvre pour s’offrir une réelle opulence, et assez fourbe pour prétendre en avoir. Les diplomates cèdent aux exigences du gouverneur, mais celui-ci, rentré dans sa cité, ne peut retenir sa langue et tout le pays est au courant.
Les notables se ruent dans les quartiers d’Athéna, la tirent de ses paisibles tâches.
— Qu’as-tu fait malheureuse ! Par ta faute, la cité hérite d’une réputation qu’un siècle ne suffira pas à laver !
— Toi, Magistrate du patrimoine, n’as pas su reconnaître une honteuse contrefaçon !
— Et tu as fait payer à la cité le prix fort pour ce bâton et ces quelques morceaux de verre !
— Calmez-vous ! implore la pauvre Athéna. Je vous rappelle que c’est vous-même, quelques mois plus tôt, qui m’avez poussé à l’achat. Vous déploriez le lamentable état du patrimoine, j’ai agi en ce sens.
— Bien sûr, mais nous voulions une œuvre authentique, pas ce genre de tromperie !
— Il m’était impossible, en tant que profane, d’apprécier les qualités de l’objet. Personne, d’ailleurs, ne l’a remarqué avant ce gouverneur. Admettez que la duperie était bien menée.
— Peu importe, c’est toi la responsable.
— Jamais je n’ai souhaité officier à cette magistrature ! se défend Athéna. Je n’ai d’habileté qu’avec les chiffres, il aurait fallu me placer au Trésor si vous souhaitiez éviter le scandale !
— Dans ce cas, tu n’aurais pas dû te porter volontaire. Diriger est un fardeau qui incombe à ceux qui peuvent en assumer les conséquences.
— Je ne suis que citoyenne, j’ai agi en tant que telle, il ne fallait pas attendre de moi d’autres qualités.
— Nous verrons bien, Athéna, ce qu’en dira le Juge.
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