Le contrôle des magistrats athéniens

Les Athéniens se méfient beaucoup des magistrats. Ils les associent avec le danger de l’oligarchie et de la corruption. Voilà pourquoi les citoyens ont accès à un large panel de procédures pour contrôler et accuser les magistrats devant les tribunaux en cas de malversations.

La docimasie

La docimasie, ou dokimasie, est la procédure par laquelle le Tribunal du peuple vérifie l’éligibilité des magistrats après leur tirage au sort ou leur élection. Par exception, la docimasie des 500 bouleutes et des 9 archontes n’est pas faite par l’Héliée, mais par la Boulè.

Les critères sont très précis, mais il ne s’agit pas de juger de la compétence des citoyens pour la charge à laquelle ils ont été choisis. Parmi ces critères, on trouve notamment :

  • la citoyenneté, car les métèques, les esclaves et les citoyens frappés d’atimie sont inéligibles à toute fonction officielle ;
  • l’âge, puisque la plupart des fonctions requièrent au minimum 30 ans ;
  • l’absence de renouvellement d’un mandat, car aucun citoyen ne peut occuper deux fois la même charge au sein de l’administration.

Cependant, l’Héliée peut aussi écarter un candidat jugé indigne de la fonction, c’est-à-dire qui est soupçonné d’avoir des sympathies pour l’oligarchie et qui risque donc de menacer la démocratie en son sein.

Concrètement, la docimasie consiste en un interrogatoire où le candidat répond à des questions en s’appuyant sur des témoins (ses parents, par exemple, pour prouver sa citoyenneté). La plupart du temps, elle ne dure que quelques minutes, mais peut s’étendre à plusieurs heures si quelqu’un accuse le candidat d’être indigne.

Puisqu’il y a environ 1200 docimasies à réaliser chaque année, la procédure prend un temps considérable, plusieurs semaines au moins. Cependant, il s’agit d’une routine : les candidats évincés à la suite d’une docimasie sont extrêmement rares. Les Athéniens trouvent certainement du plaisir à assister à ces auditions, car elles ne semblent pas révéler un grand intérêt politique.

L’eisangélie

L’eisangélie est une procédure de dénonciation que tout citoyen peut introduire devant la Boulè ou l’Ecclésia. Dans le premier cas, la dénonciation vise un magistrat pour sa mauvaise gestion, dans le second elle vise tout citoyen pour un crime politique (conspirer pour renverser la démocratie, trahir Athènes au profit d’une cité ennemie, tromper le peuple avec des promesses, ou user de ses talents d’orateur pour dévoyer le peuple).

Les motifs de recours à l’eisangélie sont interprétés très largement, ainsi un étranger qui séduit une Athénienne peut faire l’objet d’une eisangélie au motif qu’il met la démocratie en péril (les citoyens doivent être nés de deux parents athéniens). Le cas d’usage le plus fréquent est cependant la corruption politique.

Si l’eisangélie est introduite devant la Boulè, elle est jugée directement par celle-ci. Cependant, si l’affaire dépasse 500 drachmes, elle est renvoyée devant l’Héliée.

Les citoyens peuvent librement introduire une eisangélie lors de la première réunion de l’Ecclésia du mois, sans passer par un décret du Conseil. L’Assemblée débat, puis vote. En cas d’approbation, la procédure est renvoyée devant le Tribunal du peuple. Comme dans toute action publique, le dénonciateur s’expose à un risque : s’il se retire avant la fin de la procédure, il doit payer une amende de 1000 drachmes.

Les accusés peuvent être mis en détention préventive avant le procès, car un certain nombre d’entre eux, s’ils se savent en mauvaise posture, ont tendance à s’exiler. Toutefois, il devient plus difficile d’assurer sa défense et de réunir des témoignages lorsqu’on est en prison.

À l’issue du procès devant les jurés (dont le nombre est un multiple de 500 selon l’importance de l’affaire), accusé et accusateur proposent une sanction. Dans la grande majorité des cas, si l’accusé est reconnu coupable, il écope de la peine de mort.

Les eisangélies introduites devant l’Ecclésia concernent généralement les orateurs et les Stratèges, puisqu’il s’agit des magistrats les plus exposés et les plus importants en temps de guerre, tandis que les eisangélies introduites devant la Boulè visent plutôt les autres magistrats.

Il est fréquent qu’après une campagne militaire désastreuse, les Stratèges fassent collectivement l’objet d’une eisangélie. Ainsi, après la bataille navale des Arginuses, huit stratèges sont condamnés au motif de ne pas avoir recueilli les survivants, ce qui est assimilé à de la trahison. On voit que les motifs sont largement interprétés pour faire condamner des généraux jugés incompétents. Cette épée de Damoclès conduit souvent les Stratèges à s’exiler après une défaite plutôt qu’à rentrer à Athènes pour affronter la colère du peuple.

L’apophase

L’apophase est une variante de l’eisangélie. Au lieu d’être une action individuelle, il s’agit d’une action collective : l’Ecclésia ou l’Aréopage se saisissent d’une affaire de trahison ou de corruption. Des accusateurs publics sont nommés et l’Aréopage mène une enquête préliminaire qui est ensuite confiée à l’Héliée où les accusés sont jugés.

Les euthynai

Les euthynai consistent en une série de redditions des comptes en début d’année pour toute personne ayant eu à gérer des fonds publics l’année précédente. Dix logistes, des membres de la Boulè chargés de surveiller les comptes en cours d’année, réalisent un audit pour chaque magistrat.

Un procès se tient ensuite devant l’Héliée où les logistes présentent leurs conclusions et où des synégores peuvent accuser les magistrats d’avoir eu une mauvaise gestion des fonds publics. En l’absence d’accusation, l’affaire est classée, sinon les 501 jurés doivent rendre un jugement après avoir entendu la défense de l’accusé. En général, le magistrat doit rembourser à l’État le décuple de ce qu’il lui a fait perdre.

Durant les trois jours suivant le procès, les citoyens sont invités à accuser les magistrats de tous les autres délits mineurs qui n’ont pas déjà été soulevés. Ceci entraîne tantôt des poursuites publiques, tantôt des actions privées qui suivent alors le processus judiciaire classique.

La procédure, bien que plus importante que la docimasie, occasionne moins de condamnations que les eisangélies. Les euthynai font partie de la routine démocratique athénienne : les logistes doivent traiter un nombre d’affaires si grand (plus de 1000 sur une période de seulement un mois), qu’elles sont la plupart du temps expédiées en deux minutes à peine.

Conclusion

Les magistrats sont contrôlés en permanence. Les magistrats aux postes les plus exposés, notamment les Stratèges, sont certains de se faire accuser au moins une fois au cours de leur mandat.

L’eisangélie est une procédure anti-corruption, mais elle est si souvent utilisée qu’elle conduit parfois à condamner des magistrats et des stratèges honorables qui ont dû faire face à des circonstances malheureuses.

Pour aller plus loin

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 249-261)

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