La politique athénienne

Compte tenu des spécificités des institutions de la démocratie athénienne, il est intéressant de se demander à quoi ressemblait la vie politique d’Athènes au IVe siècle av. J-C. Qui participait à la prise de décision ? Y avait-il des partis politiques ?

La participation politique

En théorie, la politique est l’affaire de tous les Athéniens. Tous peuvent se porter candidats pour le tirage au sort des magistrats ou l’élection des stratèges. Tous peuvent se rendre à l’Ecclésia et monter à la tribune pour défendre une loi. Tous peuvent proposer des décrets auprès de la Boulè. Et tous peuvent intenter une action publique devant l’Héliée.

En pratique, cependant, les choses sont différentes. Parmi les 30 000 citoyens, une grande partie ne participe jamais aux décisions politiques, préférant mener sa vie loin de ces préoccupations. Ensuite, il y a ceux qui se rendent à l’Ecclésia ou au Tribunal pour voter, mais sans jamais prendre la parole. Et enfin, il y a ceux qui osent monter à la tribune et se présenter aux postes de magistrats. Parmi eux, on ne trouve qu’une vingtaine d’orateurs qui font véritablement de la politique leur métier et qui sont connus de tous les Athéniens.

Cette situation est quelque peu contraire au grand principe athénien selon lequel la politique ne doit jamais être l’œuvre de professionnels. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer.

Tout d’abord, s’exprimer à la tribune et proposer une loi comporte des risques que tous les citoyens ne sont pas prêts à courir. Être accusé de dévoyer les intérêts du peuple peut conduire à la peine de mort. Il en va de même pour les magistrats : nombre de stratèges et de trésoriers sont exécutés dès lors que le peuple est mécontent, soit à cause d’une défaite, soit d’un déficit.

Ensuite, les hommes politiques sont auto-désignés, ils peuvent donc exercer leur influence autant de temps qu’ils le désirent. Il n’y a pas de limite de mandat pour les postes élus et l’on connait de nombreux stratèges qui ont fait carrière pendant longtemps, 30 années pour Périclès et jusqu’à 45 pour Phocion.

Les magistrats et orateurs ne perçoivent aucun salaire pour leur activité, mais ils ont d’autres manières de s’enrichir : les stratèges reçoivent fréquemment des cadeaux de puissances étrangères et une part des butins de guerre, tandis que les orateurs peuvent louer leur service à des citoyens désireux de faire adopter telle ou telle loi. Enfin, ceux qui sont doués pour les plaidoiries peuvent se faire sycophantes et menacer les citoyens les plus riches de les accuser devant le Tribunal du peuple. Ces pratiques sont courantes et bien acceptées par les Athéniens, mais sitôt que l’homme politique n’est plus dans leurs bonnes grâces, il risque de se voir traîné au tribunal par ses détracteurs pour corruption.

Enfin, les citoyens ordinaires sont dissuadés de prendre part aux affaires politiques, car ils n’en sont pas des professionnels. S’exprimer devant l’Ecclésia ou l’Héliée nécessite une formation en rhétorique ou bien le recours à un logographe dont le métier consiste à rédiger des discours et des plaidoiries. Tout cela nécessite du temps et de l’argent, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses.

Les partis politiques

Bien qu’Athènes ne soit pas fondée sur le principe de la démocratie représentative et que les candidats aux différentes magistratures n’aient pas besoin de faire campagne au sens où nous l’entendons aujourd’hui, il est intéressant de se demander si les Athéniens avaient recours aux partis politiques.

Par parti politique, il faut entendre une structure organisée en compétition avec d’autres, menée par des dirigeants et composée d’un important groupe de partisans.

Les orateurs sont incités à former des groupes pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour proposer un décret, il faut obtenir l’accord d’un bouleute qui va ensuite défendre la proposition devant ses pairs. Cela nécessite d’avoir un réseau de partisans jusqu’à la Boulè (dont les membres sont tirés au sort).

De la même façon, pour sécuriser un vote à l’Ecclésia, il est utile d’avoir des partisans avec soi pour voter les bons textes et rejeter les mauvais. Sans compter que le public peut aussi huer ou applaudir les orateurs.

Enfin, les orateurs sont souvent en compétition et défendent des points de vue opposés (les anti et les pro-macédoniens) ou représentent des classes sociales différentes (Phocion pour les oligarques, Démosthène pour le petit peuple), ce qui justifie le recours à des partisans pour déstabiliser ses adversaires et faire basculer les votes.

Les orateurs s’appuient effectivement sur plusieurs structures existantes afin de renforcer leurs positions : les hétairies, des groupes de 20 à 30 citoyens de la haute société liés par l’amitié, et les symmories, des groupes fiscaux de 12 membres. Mais ces réseaux sont lâches et ne permettent pas de former une véritable coalition d’intérêts à l’Assemblée. En revanche, plusieurs orateurs ont recours à de la corruption massive afin d’acheter le soutien de centaines voire de milliers de citoyens à l’Ecclésia ou au Tribunal.

Il n’existe donc de parti politique au sens moderne du mot à Athènes. S’il y a des partisans, soit ils sont achetés, soit ils ne défendent un orateur que sur une question à l’ordre du jour, et peuvent très bien s’opposer à lui sur un autre point. En revanche, les orateurs s’appuient bien sur des réseaux d’influence pour faire avancer leurs propositions dans le système législatif athénien.

Conclusion

Le régime athénien se rapproche du nôtre en ce que les hommes politiques ont tendance à se professionnaliser et à appartenir à la même élite sociale. Il y a aussi la même ambivalence autour de ce rôle qui suscite tantôt la méfiance des citoyens, tantôt leur adulation.

Mais ils diffèrent sensiblement sur d’autres points. L’homme politique moderne est élu, tandis que les orateurs s’auto-désignent, ils ne font qu’exercer leur droit de monter à la tribune et de proposer des lois. Il est donc beaucoup plus facile pour le citoyen athénien d’intervenir en politique, ne serait-ce qu’occasionnellement pour défendre une loi qui lui tient à cœur. Cependant, il doit être prêt à en assumer les conséquences, puisque tout ce qu’il dit devant le peuple est susceptible d’être utilisé contre lui lors d’un procès.

Enfin, la politique moderne est organisée autour des partis, des structures totalement absentes du paysage politique athénien. S’il y a des alliances, elles ne sont que de circonstance, de très courte durée, et les citoyens ne restent jamais fidèles à un orateur bien longtemps. Il s’agit d’une configuration que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les cantons suisses qui organisent des Landsgemrinden où les habitants d’un village votent à main levée sans aucune affiliation politique.

Pour aller plus loin

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 307-330)

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