La procédure législative athénienne

Les Athéniens n’ont pas une conception aussi nette de la hiérarchie des normes que nous. Ainsi, il n’existe pas de Constitution à proprement parler, et la frontière entre loi et décret est parfois un peu floue.

En revanche, les procédures d’adoption et de révision des textes sont précisément définies.

Décrets, lois et Constitution

Les textes juridiques sont séparés en deux catégories :

  • Les décrets traitent d’un sujet qui ne concerne qu’un ou plusieurs citoyens ou qui ne s’appliquent que pour une durée limitée ;
  • Les lois, quant à elles, sont de portée générale et s’appliquent à tous les citoyens sans restriction de durée.

Les traités conclus avec d’autres puissances font exception à cette règle : ils sont adoptés par décrets malgré leur caractère universel et non limité dans le temps. Cela s’explique pour deux raisons, d’un côté la politique étrangère est du ressort exclusif de l’Ecclésia, de l’autre, celle-ci ne peut adopter que des décrets.

Si les Athéniens votent de nombreux décrets (plus de 400 par an), les lois sont peu nombreuses et rarement modifiées.

Le corpus des lois n’est pas regroupé en codes thématiques comme nous en avons l’habitude (code civil, code pénal, code de commerce, etc.), mais selon l’institution qui est chargée de les appliquer. Ainsi, les lois qui régissent la procédure législative sont rangées parmi les « lois de la Boulè », tandis que les lois sur l’héritage font partie des « lois des neuf archontes » à côté des lois religieuses et des lois sur les métèques. Les codes recensent donc des lois qui n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres.

Les Athéniens ne font aucune distinction entre les lois « constitutionnelles », c’est-à-dire celles qui régissent le fonctionnement des institutions, et les lois ordinaires.

Concernant le droit coutumier, c’est-à-dire les règles non écrites, aucun magistrat ne peut s’en prévaloir pour prendre une décision. En revanche, les jurés de l’Héliée peuvent, s’il n’existe aucune loi s’appliquant à l’affaire qu’ils sont en train de juger, s’en référer à ce qui leur semble juste, c’est-à-dire la coutume, la jurisprudence. On trouve ainsi les bases du droit romain qui donnera naissance à notre droit continental moderne.

La procédure législative

Les décrets et propositions de loi sont rédigés par des citoyens ordinaires puis remis à la Boulè. Après avoir entendu l’avis du secrétaire du Conseil, les bouleutes débattent et approuvent ou non les textes. S’il s’agit d’affaires courantes, la Boulè est autorisée à prendre des décrets autonomes, sinon elle doit transmettre des décrets préliminaires à l’Ecclésia. Ces décrets sont ouverts (une simple intention) ou fermés (une proposition détaillée).

Une proposition de loi doit nécessairement adopter la forme d’un décret ouvert. À noter que les thesmothètes (les six archontes qui gèrent l’Héliée) peuvent soumettre des propositions de loi à l’Ecclésia, notamment pour supprimer des doublons ou résoudre des contradictions dans le corpus législatif.

Les décrets sont présentés à l’Assemblée par un bouleute. En général, les décrets fermés sont votés en rafale en début de séance et les décrets ouverts font l’objet de plus amples débats. Dans tous les cas, un citoyen peut émettre une contre-proposition qui se substitue au décret préliminaire.

Les propositions de loi, quant à elles, suivent une procédure plus lourde :

Lors d’une première réunion de l’Ecclésia, les citoyens acceptent ou rejettent la proposition de révision législative (il n’y a jamais d’ajout de loi pur et simple, les Athéniens procèdent par révision uniquement). À noter que la première réunion de l’année est consacrée à la révision des lois et tout citoyen peut alors proposer une modification sans passer par un décret préliminaire de la Boulè.

Lors d’une seconde réunion de l’Ecclésia, les citoyens décident du nombre de nomothètes (501 à 1501 selon l’importance de la législation) à tirer au sort parmi les héliastes et nomment les cinq avocats publics chargés de défendre les lois existantes.

Plus tard, les prytanes convoquent les nomothètes et un procès est tenu entre l’accusateur (celui qui a proposé une nouvelle loi) et les avocats publics qui prennent le parti du statu quo. Le procès dure toute la journée et est présidé par les neuf proèdres de la Boulè.

La graphè paranomon

Selon la hiérarchie des normes athéniennes, les lois sont supérieures aux décrets. Cela signifie que tout décret qui ne respecte pas une loi doit être annulé sur le champ. Ce principe vaut même pour les lois nouvellement votées qui invalident d’anciens décrets.

Tout citoyen qui estime qu’un décret est illégal (ou inconstitutionnel au sens moderne) peut intenter une action appelée graphè paranomon auprès de l’Héliée. La procédure peut aussi servir à dénoncer un vice de forme dans l’adoption du décret. En pratique, la graphè est souvent introduite pour des raisons politiques et les motifs de fond ou de forme ne sont que des prétextes pour faire abroger un décret jugé contraire aux intérêts du peuple.

Comme dans toute action publique, l’accusateur s’expose à un risque : il doit payer une amende de 1000 drachmes si les jurés lui donnent tort ou s’il abandonne la procédure. Son action est dirigée contre la personne qui a proposé le décret. Si l’accusé perd le procès, non seulement le décret est annulé, mais il est redevable d’une amende, tantôt symbolique, tantôt exorbitante. De plus, s’il est condamné trois fois pour avoir proposé un décret illégal, l’accusé se voit frapper d’atimie (déchéance des droits civiques).

L’accusé ne peut pas se prévaloir du fait que son décret a été adopté « démocratiquement » par l’Ecclésia, même à l’unanimité. Les Athéniens considèrent que le peuple ne peut pas avoir tort, mais qu’il peut se faire abuser par des orateurs mal intentionnés, surtout dans une Assemblée où les débats sont parfois chaotiques. En outre, si l’on prend le temps de lui expliquer correctement la situation au cours d’un procès, il finira forcément par prendre la bonne décision. C’est pourquoi les décisions de l’Héliée l’emportent toujours sur celles de l’Ecclésia. Il faut aussi préciser que les votes à l’Assemblée se font à main levée et qu’il est possible d’y subir des pressions, tandis qu’au Tribunal le scrutin est secret.

Cependant, la popularité de la graphè paranomon a des conséquences. En voulant combattre la corruption des orateurs, les Athéniens en ont créé une autre forme : les sycophantes. Craignant d’être assignés en justice, les rédacteurs de décrets préfèrent les confier à des prête-noms professionnels (les sycophantes) qu’ils paient pour prendre les risques à leur place. Or, les Athéniens redoutent énormément la professionnalisation de la politique et voient les sycophantes comme des nuisibles (une eisangélie peut être spécifiquement intentée pour les dénoncer).

En ce qui concerne les lois, les citoyens peuvent intenter une action similaire : la graphè nomon mè épitèdeion theinai. Puisqu’il n’existe pas de Constitution au sens propre, on ne peut pas dire qu’une loi est inconstitutionnelle. En revanche, les lois peuvent être abrogées si l’on estime qu’elles sont incompatibles avec l’intérêt général ou avec des lois plus anciennes. Ce principe est surprenant, car dans nos démocraties modernes, c’est toujours les lois plus récentes qui l’emportent sur les lois plus anciennes. Mais les Athéniens sont nostalgiques de la démocratie des anciens du temps de Dracon et de Solon et considèrent les lois de cette époque comme étant plus sacrées.

Si la graphè paranomon est régulièrement utilisée (environ une fois par mois), la graphè nomon est beaucoup plus rare, certainement en raison du faible nombre de lois par rapport aux décrets.

Conclusion

Bien que la procédure législative ne soit probablement pas toujours rigoureusement respectée, il n’en demeure pas moins que le système juridique athénien est remarquablement stable. Les lois bougent peu tandis que les décrets sont éphémères et régulièrement remis en cause pour des raisons juridiques ou politiques.

On remarque un principe fondamental de la démocratie athénienne : les décisions sont prises plusieurs fois par plusieurs collèges différents avant de réellement entrer en vigueur. Ainsi, un décret passe normalement par trois étapes : il est d’abord validé par la Boulè avant d’être adopté par l’Ecclésia et enfin d’être confirmé après une graphè paranomon à l’Héliée.

Pour aller plus loin

Source

HANSEN – La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène (p. 195-212)

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