Définition de la démocratie (Lafont)

Cette série de trois articles a pour objectif de retransmettre les principaux arguments avancés par Cristina Lafont dans son livre « Democracy without shortcut » où elle critique les modèles de type lotocratiques (tels que celui de Guerrero) et propose sa propre version de la démocratie délibérative.

Dans ce premier chapitre, l’autrice explique son idéal démocratique : l’auto-gouvernement.

L’auto-gouvernement

Selon la définition la plus exigeante de ce concept, la démocratie consiste en un système où les citoyens sont soumis à une loi dont ils sont eux-même les auteurs. En d’autres termes, la démocratie directe.

Il s’agit cependant d’un idéal impossible à atteindre dans nos sociétés modernes, la démocratie est donc plutôt un système politique dans lequel les citoyens ne participent qu’à certaines décisions (via des referendums, par exemple), ou participent à toutes les décisions, mais de façon limitée (en élisant des représentants).

Ce que la démocratie doit à tout prix éviter, c’est d’exiger des citoyens qu’ils se soumettent aveuglément à des décisions auxquelles ils ne s’identifient pas. Il doit donc exister un lien particulier entre les intérêts et les idées des citoyens d’une part, et les lois et les politiques d’autre part. Toute rupture entraînerait une aliénation des citoyens vis-à-vis de la communauté politique et donc un effondrement de la démocratie.

Cette exigence trouve racine dans le besoin de justice des citoyens : le système politique ne doit pas leur imposer de décisions manifestement injustes qui vont à l’encontre de leurs libertés individuelles ou de celles d’autres citoyens. Or, la manière la plus efficace de garantir des décisions publiques justes aux yeux des citoyens est de faire participer ces derniers au processus décisionnel.

D’autre part, la démocratie ne peut admettre que certains citoyens exercent une domination sur d’autres citoyens : le pouvoir politique doit être réparti équitablement.

La démocratie est le régime qui parvient à éliminer aussi bien l’aliénation des citoyens que la domination des uns par rapport aux autres, elle doit donc être participative et égalitaire. Un régime dans lequel le pouvoir serait distribué équitablement, mais où les citoyens ne pourraient pas se sentir associés à la décision publique ne pourrait pas être qualifié de démocratique selon cette définition.

La participation et la macro-délibération

Une démocratie ne peut être participative au sens de l’autrice que si les citoyens ont bel et bien les moyens d’influencer la décision publique. Attention, cependant, cela ne signifie pas nécessairement que tous les citoyens doivent être politiquement actifs, car l’on sait bien que nombre d’entre eux sont peu intéressés par la politique et restent relativement passifs dans ce domaine.

L’opinion publique, c’est-à-dire ce que pense la majorité des citoyens, a une influence considérable sur la décision publique. Certaines lois peuvent ne pas être appliquées par le gouvernement s’il est manifeste que l’opinion publique y est défavorable. Et tous les citoyens participent à la formation de l’opinion publique, qu’ils soient ou non engagés politiquement. Ce phénomène n’existe pas dans les autocraties où le dirigeant est le plus souvent indifférent à l’opinion publique.

La majorité silencieuse a souvent bien plus de poids que la minorité politiquement active, précisément parce que l’activisme politique a souvent pour objet de remédier à des inégalités ou à une situation d’exclusion d’une minorité.

La démocratie participative représente donc toutes les manières formelles ou informelles par lesquelles les citoyens, politiquement actifs ou passifs, expriment leurs préférences et influencent la décision publique (par le biais de manifestations, d’élections, de sondages, de referendum, etc.).

La « macro-délibération » est un processus global, une discussion permanente entre les attentes des citoyens et les institutions démocratiques à l’écoute de ces attentes. Cette vision s’oppose à la « micro-délibération » telle qu’elle est mise en œuvre dans les assemblées citoyennes où seule une petite fraction des citoyens participe.

La macro-délibération se distingue de la participation dans le sens où le dialogue, quelle que soit sa forme (discussion informelle, débat encadré, etc.) et le lieu où il se tient (un plateau télé, une table entre amis, etc.), fait évoluer l’opinion des citoyens au fil du temps. Mais ce sont deux notions voisines, car la macro-délibération nécessite une participation des citoyens pour fonctionner. Pour l’autrice, cependant, la micro-délibération n’est pas participative, car, par définition, elle se coupe de la majorité des citoyens (nous y reviendrons dans l’article suivant).

Or, puisque la démocratie doit reposer sur la participation de masse pour ne pas aliéner les citoyens comme nous l’avons montré précédemment, la micro-délibération doit prouver qu’elle permet, par ses résultats, de contribuer à l’inclusion de tous les citoyens à la décision publique, ce qui n’est certainement pas une chose acquise.

Les raccourcis démocratiques

Certaines conceptions de la démocratie cherchent à prendre des « raccourcis » en ignorant une partie des prérequis énoncés précédemment.

La démocratie pluraliste est un courant de pensée qui a une approche délibérative de la démocratie, mais dans le seul but de révéler les conflits d’idées au sein de la société. Les défenseurs de ce modèle considèrent que de nombreux conflits politiques ne peuvent être résolus : dès lors, le consensus apparaît comme une fausse piste et il convient de s’appuyer sur des procédures démocratiques pour prendre une décision légitime. En d’autres mots, il faut se reposer sur la règle de la majorité : ceux qui ont le plus de voix remportent le conflit.

Cette conception « procédurière » de la démocratie est un raccourci, car elle empêche les minorités politiques d’influencer la décision publique de manière équitable et se traduit de fait par une tyrannie de la majorité. C’est en participant à une délibération de qualité dont l’objectif est le consensus (bien qu’il ne soit pas toujours possible de l’atteindre) que les minorités peuvent réellement exercer une influence sur le pouvoir.

Un autre raccourci peut être identifié dans l’approche purement épistémique de la démocratie, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la délibération a pour seul but de produire la meilleure décision possible. Cette approche n’est démocratique que dans le sens où les citoyens sont vus comme les acteurs les plus aptes à prendre des décisions (voir l’article sur la diversité cognitive et l’intelligence collective). C’est un raccourci, car rien ne garantit la participation de l’ensemble des citoyens à ce processus ni leur alignement avec les décisions adoptées.

Conclusion

L’autrice a exposé sa vision de l’idéal démocratique : un système dans lequel les citoyens s’identifient aux décisions publiques.

Il existe globalement deux manières de tendre vers cet idéal à partir de nos systèmes politiques actuels : améliorer la qualité de la macro-délibération entre les citoyens et les instances de pouvoir, et garantir que les résultats de cette délibération aient une influence concrète sur les décisions publiques. Le prochain article mettra en perspective cette définition de la démocratie avec le modèle de la lotocratie qui souhaite mettre la micro-délibération au cœur du système politique.

Source

LAFONT – Democracy without Shortcuts: A Participatory Conception of Deliberative Democracy (2020)

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