Tous les citoyens n’ont pas accès aux mêmes facilités de crédit (aux États-Unis, notamment), nous en avons déjà longuement parlé dans cette série d’articles, mais cette inégalité se retrouve aussi dans les supports d’investissements disponibles : les plus riches peuvent investir dans de nombreux secteurs et à moindres frais, tandis que les ménages ne peuvent souvent placer leurs économies que dans les très grosses entreprises à travers des fonds de pension coûteux en frais de gestion. La majeure partie de la richesse étant aujourd’hui créée sur les marchés boursiers, les inégalités n’en sont que renforcées.
Pour Lenore Palladino (économiste spécialisée dans le partage de la valeur), nous disposons aujourd’hui de tous les outils nécessaires afin de créer de véritables plates-formes d’investissement à destination du grand public pour lui permettre de placer son argent dans les moyennes voire petites entreprises près de chez soi. C’est tout l’enjeu de cet article.
Inégalités d’investissement
Les inégalités d’investissement trouvent leur origine dans un fait très simple : les petits épargnants sont mal informés et n’ont qu’un faible pouvoir de négociation avec leur intermédiaire financier (banque, fonds de pension, etc.) qui, bien souvent, cherche à maximiser sa rémunération au détriment de la rentabilité de ses clients. À l’inverse, les gros investisseurs ont accès à des conseillers en patrimoine et peuvent négocier des conditions avantageuses auprès de leur intermédiaire financier, car ils ont d’importantes sommes à placer.
En outre, accéder à certains placements (le capital-risque, notamment) est strictement réservé à des investisseurs « qualifiés », c’est-à-dire dont le patrimoine est supérieur à un certain montant. Cette restriction est compréhensible, car elle empêche les petits épargnants sans connaissance financière de prendre des risques inconsidérés, mais ce faisant, elle les éloigne aussi des marchés les plus rentables.
Ce déséquilibre a en partie contribué à l’accroissement des inégalités : les plus riches détiennent chaque année une part de plus en plus importante du nombre total d’actifs financiers en circulation. Aux États-Unis, les 10 % les plus riches détenaient 80 % des actifs financiers en 1989 et 88% en 2020.
Quelques innovations ont vu le jour pour contrebalancer ce phénomène, notamment le crowdfunding (financement participatif) qui permet aux petits épargnants d’investir dans des start-up. La plate-forme de crowdfunding présélectionne les projets pour éliminer ceux qui présentent un niveau de risque trop élevé. Toutefois, les montants investis restent marginaux.
Plate-forme d’investissement publique
L’autrice souhaiterait que l’investissement, au même titre que la monnaie ou l’accès au crédit, soit considéré comme un bien public, une infrastructure sociale, non seulement car il est une source d’enrichissement, mais aussi parce qu’il permet aux entreprises d’accéder à des financements non bancaires. Puisque le secteur privé n’a pas été capable de résoudre le problème des inégalités d’investissement, même avec l’émergence du crowdfunding, c’est à l’État d’intervenir.
Le problème des plates-formes de crowdfunding privées est qu’elles sont nombreuses et n’ont pas toutes les mêmes standards en matière de risque et d’information financière. Ainsi, les petits épargnants peuvent être rebutés, car ils ont peur de tomber sur une plate-forme qui présente des projets excessivement risqués qui n’ont pas fait l’objet d’un audit sérieux.
La création d’une plate-forme d’investissement publique résoudrait ce problème en instaurant des standards financiers de qualité. Les frais seraient réduits par rapport aux plates-formes privées afin d’offrir un meilleur rendement aux épargnants et de faire jouer la concurrence du secteur privé. De plus, les projets ne seraient pas exclusivement tournés vers des start-up, mais aussi des petites entreprises traditionnelles (restaurant, petite usine, etc.).
Cette plate-forme publique ne servirait pas uniquement d’intermédiaire pour le crowdfunding, elle pourrait aussi proposer des fonds indiciels aux petits épargnants avec un minimum de frais de gestion. Les fonds indiciels, dont les plus connus sont les ETF, sont des fonds qui cherchent à répliquer un indice boursier (le CAC40, par exemple). Ce produit d’investissement permet de diversifier le risque et de dégager une rentabilité généralement supérieure aux fonds qui cherchent à surperformer le marché (mais en tant que produit boursier, les ETF restent, par nature, des fonds risqués).

En plus des fonds indiciels classiques, la plate-forme pourrait proposer un fonds indiciel qui réplique la valeur de toutes les petites et moyennes entreprises qui participent à son programme de crowdfunding. Ainsi, au lieu de prendre le risque d’investir son épargne sur un seul projet et de tout perdre si l’entreprise fait faillite, un utilisateur pourrait acheter ce fonds indiciel et investir dans tous les projets en même temps, mutualisant ainsi le risque.
Conclusion
Une plate-forme publique d’investissement permettrait aux petits épargnants d’investir aussi bien dans quelques projets locaux qui leur tiennent à cœur que dans des fonds indiciels moins risqués qui ont aussi pour effet de financer les entreprises locales. Cette réforme améliorerait les rendements des petits épargnants et contribuerait à réduire les inégalités.
La création de richesse des marchés financiers serait mieux partagée, mais il subsisterait toujours des inégalités considérables entre les investisseurs les plus riches et les plus pauvres. Le développement de cette plate-forme doit donc s’inscrire dans un ensemble de réformes plus larges, tel que celui décrit dans les autres articles si l’objectif est de véritablement « démocratiser » la finance.