Après avoir défini les notions de représentation et de responsabilité, Hélène Landemore s’intéresse ici à un dernier élément constitutif de nos régimes politiques : la légitimité.
- La crise de la démocratie représentative
- Le mythe de la démocratie directe
- Élection et consentement
- Qu’est-ce que la représentation ?
- La représentation par tirage au sort
- La représentation par auto-sélection
- La responsabilité politique
- La légitimité politique
- Les représentants auto-sélectionnés sont-ils légitimes ?
- Les conflits de légitimité
- La démocratie liquide
- Comparaison entre la démocratie athénienne et la démocratie représentative
- La démocratie ouverte
- Les partis politiques sont-ils nécessaires ?
- L’efficacité de la démocratie ouverte
- Les critiques de la démocratie ouverte
- Peut-on changer la démocratie ?
Définition
La légitimité est un concept assez simple à définir, il s’agit de la propriété par laquelle une entité est moralement habilitée à gouverner et à donner des ordres. En revanche, comprendre d’où un représentant ou une institution tire concrètement sa légitimité est une tâche beaucoup plus ardue.
Les explications divergent et il n’existe pas de consensus parmi les chercheurs sur les facteurs qui entrent en jeu dans la construction de la légitimité. L’auteure choisit une approche qui consiste à séparer la légitimité en trois moments chronologiques dans le processus décisionnel :
- Qui prend la décision ? (légitimité en amont) ;
- Comment est prise la décision ? (légitimité de cheminement) ;
- Et quels sont les effets de la décision ? (légitimité en aval)

Pour les deux premiers types de légitimité, on parle de légitimité de procédure, tandis que pour le dernier, il s’agit d’une légitimité de substance.
Pour prendre un exemple, on peut imaginer un processus décisionnel qui est perçu comme légitime en amont parce qu’il est accompli par des représentants élus, légitime dans son cheminement parce que la décision est le fruit d’un compromis entre les différents courants politiques, mais illégitime en aval, car les décisions prises sont jugées mauvaises.
Il n’existe cependant pas d’indicateurs objectifs permettant de dire si une institution est ou n’est pas légitime. Il s’agit plutôt d’une échelle de valeurs où l’on va pouvoir placer un processus décisionnel entre « peu légitime » et « très légitime ». En fin de compte, la légitimité est une question de jugement de la part des citoyens dont les critères peuvent grandement varier d’un individu à l’autre.
Et ce n’est pas parce qu’une composante de la légitimité est jugée mauvaise que la légitimité globale devient elle aussi mauvaise. Un nouveau souverain qui n’appartient pas à la noblesse sera illégitime en amont, mais s’il accomplit des prouesses dans la gestion du royaume, cela peut suffire à lui donner la légitimité minimale pour régner, et inversement.
La légitimité démocratique
On peut distinguer une légitimité démocratique d’une légitimité non démocratique. Par exemple, les représentants d’une dictature qui siègent dans une institution internationale sont légitimes vis-à-vis de cette institution, car ils ont été choisis par le pouvoir en place, mais ils ne sont pas légitimes démocratiquement parce que ce pays n’a tout simplement pas d’institutions démocratiques.
Pour que la légitimité en amont puisse être qualifiée de démocratique, il faut au minimum que les représentants aient été autorisés à agir, directement ou indirectement, par une majorité de la population.
On peut donc se retrouver avec une situation dans laquelle une représentation démocratique est démocratiquement illégitime. Par exemple, une assemblée tirée au sort organisée par un mouvement social auto-sélectionné peut être considérée comme démocratique du point de vue de la représentation, mais non démocratique sur le plan de la légitimité, car la population n’a jamais donné son accord, directement ou indirectement, pour organiser cette assemblée.
À l’inverse, le Conseil constitutionnel est démocratiquement légitime, car son existence est prévue par la Constitution – texte ratifié par une majorité de citoyens –, mais son mode de représentation n’est pas démocratique, car il échoue à satisfaire aux critères d’inclusivité et d’égalité.
Conclusion
La légitimité est souvent confondue avec la représentation, tout simplement parce que les élus sont à la fois autorisés à gouverner et choisis par le peuple dans le même acte de vote.
Si la pratique des assemblées tirées au sort venait à être adoptée, représentation et légitimation interviendraient à deux moments distincts. La représentation démocratique se manifesterait au moment du tirage au sort, tandis que la légitimation aurait lieu lors de la ratification de la Constitution par les citoyens. Il n’y a pas lieu de considérer, d’un point de vue théorique, qu’une assemblée tirée au sort soit moins légitime en amont qu’une assemblée élue.
Source
LANDEMORE – Open Democracy, chapter 5 : legitimacy and representation beyond elections (2020)