Financement illégal de campagne électorale

Comme cela a été montré dans le chapitre de Principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin dédié à la démocratie du public, les campagnes électorales ont une influence décisive sur le résultat d’une élection. Plus les candidats y consacrent de moyens, plus ils ont de chances de se faire connaître et de remporter le scrutin.

Cet article recense trois techniques mises en œuvre par certains élus pour améliorer l’impact de leur campagne au-delà de ce qui est légalement permis.

Le cadre juridique des campagnes électorales

Les dépenses de campagne ne peuvent dépasser un certain plafond (exemple : 22 509 000 € pour l’élection présidentielle de 2022). Les candidats sont remboursés après l’élection en fonction de leur score et du montant de leur apport personnel. En revanche, si le plafond de dépense est dépassé, l’État ne rembourse rien et le candidat doit même reverser au trésor public le montant des dépenses excédentaires. C’est notamment ce qui est arrivé à Nicolas Sarkozy lors de la campagne de 2012.

Ce plafond incite certains candidats à faire passer des dépenses électorales en dehors des comptes de campagne pour accroître leurs chances de succès au détriment des autres candidats.

Technique 1 : constituer une caisse noire, le cas des rétrocommissions

Avant de savoir comment gérer les dépenses de campagne, il faut se demander comment obtenir les fonds nécessaires. Pour les candidats fortunés, la question ne se pose pas, mais pour les autres, il faut faire preuve d’ingéniosité.

Les élus peu scrupuleux ont de nombreuses façons de constituer des « caisses noires » en prévision d’une campagne : détournement de fonds, corruption passive, favoritisme, etc. Il serait vain d’en faire l’inventaire, mais nous pouvons mettre en lumière une pratique qui a connu un certain succès dans les années 90 : les rétrocommissions.

Exemple : le Japon veut acheter dix frégates de dernière génération. Mais les ambitions navales du Japon inquiètent son voisin, la Corée du Sud. Plusieurs constructeurs sont mis en concurrence, la France propose de livrer les frégates pour 6 milliards d’euros. Elle verse 50 millions d’euros de commissions à des officiels japonais pour qu’ils choisissent la France au détriment des autres compétiteurs. Elle verse aussi 20 millions d’euros de commissions à des officiels coréens pour qu’ils ne gênent pas la vente.

Ces 70 millions d’euros de commissions passent par de nombreux intermédiaires pour éviter que le chantier naval français soit accusé de corruption. Une fois les commissions versées, les officiels japonais et coréens en rétrocèdent une partie aux intermédiaires (10 %, par exemple) qui les reversent ensuite aux élus français qui chapeautent la vente, soit 7 millions d’euros.

Une fois dans les caisses noires du parti, l’argent des rétrocommissions (ou d’autres délits) peut servir à financer toute sorte d’actions occultes durant une campagne électorale : paiement de « bénévoles » en espèces, achat de soutien parmi des personnalités publiques, etc. Autant de dépenses qui ne figureront pas dans les comptes officiels et qui échapperont à la règle du plafond.

Technique 2 : externaliser la propagande

L’accumulation de fonds occultes dans les mains d’un candidat est dangereuse, car elle laisse des traces susceptibles d’être identifiées par la Justice. C’est pourquoi les candidats peuvent agir de manière indirecte en favorisant des entreprises ou des personnes en échange de leur soutien lors de la campagne. Il s’agit d’entités qui ont une audience importante : presse écrite, influenceurs sur les réseaux sociaux, personnalités publiques, etc.

Exemple : l’entreprise A, société de conseil en BTP, facture des prestations fictives à des entreprises du BTP qui souhaitent obtenir des marchés publics. Lorsque les fausses factures sont payées, le maire octroie lesdits marchés aux entreprises. L’entreprise A achète ensuite de la publicité à un prix très élevé pour apparaître dans un journal de propagande qui défendra le maire sortant lors de sa prochaine campagne de réélection.

Dans ce montage astucieux, il est juridiquement difficile de poursuivre le maire pour un quelconque délit, puisqu’il ne perçoit aucune contrepartie directe.

Technique 3 : les avantages en nature occultes

Une autre technique courante consiste à percevoir des avantages en nature durant la campagne, c’est-à-dire des prestations de service données à titre gratuit. En principe, ces avantages doivent être déclarés dans les comptes de campagne pour leur valeur marchande, mais il est souvent difficile de prouver leur existence du fait de leur nature immatérielle (conseil stratégique, communication, influence sur les réseaux sociaux, etc.). Si les candidats ne les déclarent pas, la CNCCFP aura peu de chances de s’en apercevoir.

En revanche, les prestataires de services concernés n’agissent pas bénévolement : ils attendent d’être rémunérés d’une manière ou d’une autre. Pour les rétribuer, le candidat peut s’engager à passer des marchés publics importants avec eux s’il est élu. Il peut aussi les payer plus tard.

Exemple : une entreprise mobilise ses équipes en communication pour conseiller gratuitement un candidat durant sa campagne, car il a déjà atteint le plafond officiel de dépenses. Le montant de la prestation est estimé à 4 millions d’euros. Quelque temps après les élections, l’entreprise facture le parti politique pour des prestations fictives (organisation de meeting, conseil stratégique, etc.) à hauteur de 4,5 millions d’euros. Ainsi, la dette est payée. L’avantage de cette méthode est qu’elle fonctionne même si le candidat perd l’élection.

Une autre façon de bénéficier d’avantages en nature occultes est d’attribuer des emplois fictifs aux membres de son parti politique pour qu’ils travaillent sur la campagne à plein temps. Le candidat peut les embaucher dans son entreprise, s’il en a une, ou dans sa mairie s’il a un mandat de maire, par exemple. Dans le premier cas, il s’agit d’un délit d’abus de biens sociaux et, dans le second, d’un délit de détournement de fonds publics.

Sources

Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques

(les exemples sont librement inspirés d’affaires réelles)

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