Le tirage au sort vu par les élus

Introduction

Les « mini-publics » sont des échantillons représentatifs de la population sélectionnés par tirage au sort afin de produire des recommandations sur un sujet précis, déterminé en amont par les pouvoirs publics. Les mini-publics entrent dans la catégorie des outils de démocratie délibérative, puisque le processus cherche avant tout à faire discuter les citoyens entre eux et avec les parties prenantes (experts, associations, entreprises, etc.) afin d’aboutir à un consensus.

Cette pratique, de plus en plus courante (ex : Convention citoyenne pour le climat, Assemblées citoyennes irlandaises, Assemblée citoyenne de Paris, etc.), bouleverse les habitudes du pouvoir politique traditionnel. Cet article s’intéresse précisément aux différents types d’attitudes que peuvent adopter les politiciens face aux mini-publics et leurs recommandations.

Pour étudier ces particularités, Christoph NIESSEN, l’auteur de l’article, s’est intéressé au cas du Parlement Citoyen Climat lancé en 2015 dans la province de Luxembourg en Belgique. Composé de 33 citoyens tirés au sort, le parlement s’est réuni pendant trois week-ends afin de délibérer sur les mesures à prendre pour atteindre une neutralité carbone en 2050.

Une divergence d’intérêts

Tout d’abord il faut bien comprendre que la politique traditionnelle et les mini-publics reposent sur des principes opposés :

Politique traditionnelleMini-public
CompositionReprésentants qui exercent le pouvoir au nom de leurs électeursÉchantillon représentatif de la population sélectionné par tirage au sort
Mode de discussionLutte compétitive entre la majorité et l’opposition, parfois soutenue par des intérêts privésDélibération raisonnée où chacun est invité à s’exprimer
ObjectifSolution majoritaireConsensus

L’arrivée des mini-publics vient donc perturber un processus bien établi entre les élus d’une part et les groupes d’intérêts d’autre part qui, jusqu’ici, ne se préoccupaient pas directement de l’avis des citoyens. Les élus ne deviennent plus les seuls instigateurs des politiques publiques, et les groupes d’intérêts perdent en influence, ne devenant plus qu’une partie prenante parmi d’autres.

Cela étant, les groupes d’intérêts peuvent aussi trouver dans les mini-publics un moyen de redorer leur image publique, de restaurer la confiance et de diffuser des informations auprès du public.

Quatre attitudes

L’auteur a dénombré pas moins de quatre différentes postures que peuvent adopter les élus et les groupes d’intérêt vis-à-vis des mini-publics. Les chiffres donnés ci-après sont le fruit d’une enquête auprès des parties prenantes du Parlement Citoyen Climat (PCC) belge.

Avant de rentrer dans la typologie, il faut noter que tous les acteurs politiques et économiques ne sont pas nécessairement informés de l’existence même d’un mini-public (surtout le monde économique), notamment s’il n’est pas voué à devenir une institution permanente. Ainsi, au-delà des attitudes, il existe un certain manque de considération de la part du monde politique traditionnel pour la démocratie délibérative.

Cependant, dans le cas du PCC, plus de 80 % des élus et groupes d’intérêts avaient une opinion positive du mini-public et de ses recommandations. Les avis divergeaient beaucoup plus quant à leur transposition dans la loi, et ce avant même que les recommandations soient écrites par le mini-public. Ainsi, le monde politique apprécie l’effort délibératif tant qu’il n’a aucune conséquence législative.

Quel que soit le profil des acteurs politiques et économiques, tous ont jugé les mini-publics sur la base de deux critères : la représentativité et la capacité à exprimer une opinion politique via les recommandations. C’est à la fois un moyen d’évaluer la qualité d’un mini-public, mais aussi de comparer le rôle d’un citoyen tiré au sort et d’un élu.

Les quatre attitudes sont présentées ci-après avec, entre parenthèses, leur popularité parmi les acteurs politico-économiques dans le cas du PCC.

Les élitistes (14 %)

Cette catégorie, notamment présente parmi les élus et les associations, considère que la démocratie représentative se suffit à elle-même et n’a pas besoin de mini-publics pour légiférer. Seuls les élus, en vertu de leurs compétences et leur légitimité, devraient être décisionnaires sur ces sujets. Les mini-publics ne font qu’émettre une opinion que les élus sont libres de prendre en compte ou non. De plus, les citoyens ne sont pas qualifiés pour comprendre et délibérer sur ces sujets, souvent techniques et complexes.

Les experts (18 %)

D’une manière similaire aux élites, les experts considèrent que les citoyens ne font qu’émettre des opinions subjectives et ont tendance à raisonner à leur échelle individuelle plutôt qu’à celle de leur communauté. Ces opinions peuvent être utiles s’il s’agit de mesurer la popularité de certaines mesures parmi le public visé. Mais, en tout état de cause, ce sont les experts qui devraient délibérer et produire des recommandations aux pouvoirs publics. Ou bien, à défaut, ce sont eux qui devraient encadrer, former et organiser les mini-publics pour que les citoyens puissent délibérer dans de bonnes conditions.

Les reconnecteurs (50 %)

Cette catégorie voit les mini-publics comme un moyen de réconcilier les citoyens et la politique. Ils font le constat d’une perte de confiance généralisée des citoyens envers les institutions, souvent basée sur une méconnaissance des sujets, du processus politique et des institutions elles-mêmes. Les mini-publics placent les citoyens au cœur du processus, ce qui leur permet de mesurer toute la difficulté pour trouver la « bonne décision » et pour concilier les multiples intérêts des parties prenantes. Cependant, les recommandations des citoyens ne doivent pas avoir force de loi, le législateur légitimement élu doit avoir le choix de les adopter ou non.

Les réinventeurs (18 %)

Les réinventeurs considèrent que la démocratie est malade et qu’elle a besoin d’être revisitée grâce à des innovations démocratiques dont les mini-publics font partie. Ils ne considèrent pas que les élus soient plus compétents ou légitimes que des citoyens tirés au sort pour prendre une décision. Naturellement, les réinventeurs sont ceux qui souhaiteraient conférer un caractère contraignant aux décisions des mini-publics, pour que leurs recommandations soient obligatoirement suivies d’effets.

Conclusions

La diversité des profils montre bien que les mini-publics sont encore loin de faire l’unanimité dans le monde politico-économique. Même s’ils sont d’accord avec les recommandations, les élitistes et les experts s’opposeront à la création de mini-publics, car ils ne correspondent pas à leur conception de la démocratie.

Quant au pouvoir à accorder aux mini-publics, seuls les réinventeurs sont prêts à les substituer au pouvoir législatif élu. Mais cette catégorie est très minoritaire parmi les hommes et les femmes politiques, puisqu’eux-mêmes tirent leur légitimité de l’élection.

La mise en œuvre de mini-public impacte le débat public à deux niveaux : non seulement il interroge sur le sujet en question (l’écologie, par exemple), mais il permet aussi une réflexion plus large sur la place du citoyen dans la décision publique. Ces quatre visions entrent donc fréquemment en confrontation à l’occasion de ces expériences démocratiques.

Sources

NIESSEN – When Citizen Deliberation Enters Real Politics: How Politicians and Stakeholders Envision the Place of a Deliberative Mini-public in Political Decision-making (2019)

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